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Jean-Clément Texier : « La présence au cœur de l’univers médiatique de Bernard Arnault est une chance pour la France ! »

C’est sans doute le meilleur spécialiste français actuel du monde de la presse et des médias. Conseil de nombreux grands éditeurs, Jean-Clément Texier, président de Coficom et de l’École de Journalisme et de la Communication de l’Université d’Aix-Marseille (Ejcam), répond en exclusivité aux questions de Robert Lafont sur les mouvements en cours dans le monde de la presse et des médias.

Entreprendre - Jean-Clément Texier : « La présence au cœur de l’univers médiatique de Bernard Arnault est une chance pour la France ! »

La montée en puissance de Bernard Arnault est-elle une bonne chose pour les médias français ?

La présence au cœur de l’univers médiatique de Bernard Arnault est une chance exceptionnelle pour la France, non pas parce qu’il vient en milliardaire conforter des entreprises qui sans lui auraient pu être rayées de la carte, mais parce qu’il manifeste pour ce secteur fragile et chahuté un intérêt constant depuis un demi-siècle.

Au fil des années, je l’ai connu propriétaire du Chasseur Français, alors une belle truffe au sein des magazines, repreneur de la Tribune en manque de soutien chez ses actionnaires, partenaire de l’Expansion pour épauler sa vaine internationalisation, avant de s’imposer aux Echos puis au Parisien à partir desquels, avec Pierre Louette, il construit un groupe diversifié.

Bernard Arnault patiemment tisse sa toile, n’hésitant pas à accepter des positions d’attente comme sa présence dans Madrigal, la holding de Gallimard Flammarion et peut-être demain son arrivée dans Webedia.

À terme, un rapprochement de Webedia et des Echos Le Parisien ferait enfin émerger un acteur mariant l’ancien et le nouveau monde. Pour les deux quotidiens, ce serait un stimulant accélérateur non seulement pour leur conversion numérique mais aussi pour toucher de nouveaux publics grâce à des canaux complémentaires.

Manquons-nous d’une presse quotidienne de qualité par rapport aux autres pays européens ?

L’Hexagone est plutôt bien loti en « quality newspapers ». Avec Le Monde, Le Figaro et Les Echos, nous avons des titres dont la force éditoriale et la renommée n’ont rien à envier aux confrères britanniques The Times, The Guardian, The Daily Telegraph ou The Financial Times. Même Le Parisien peut être considéré comme un populaire haut de gamme avec une rare capacité à bien détecter les faits de sociétés marquants. Mais à tous ces titres manque la puissance car l’écosystème doublé de barrières anti-concentration dépassées interdit la constitution de grands groupes pérennes et rentables.

Au début du siècle, trois H – Hachette, Hersant, Hutin – affichaient des chiffres d’affaires supérieurs au milliard d’euros. Depuis, Hachette a été démantelé, Hersant vendu et Ouest France démuni de ses gratuits. Désormais les leaders nationaux – Le Figaro et EBRA – se positionnent autour du demi-milliard d’euros de volume d’affaires. Dans le même temps, la Belgique a vu ses champions – Mediahuis et DPG Media – doubler de taille. Et la Suisse dispose de deux entreprises – TX Group et Ringier – qui connaissent une exceptionnelle percée au niveau des plateformes numériques. Dans ces petits pays, on applaudit de posséder des intervenants millionnaires sachant dégager du profit pour investir.

À juste titre, le courageux Nicolas Seydoux, président de Gaumont, dans sa remarquable rétrospective « le cinéma, cinquante ans de passion », déplore que la fusion entre TF1 et M6 ait été entravée. Souhaitons vraiment que les États Généraux de l’Information comprennent que ce qui fait défaut à la France, c’est la taille critique de ses acteurs médias.

Le papier a-t-il un avenir ou va-t-il être submergé par le numérique ?

La belle résistance du secteur du livre dont on annonçait la mort lors de l’apparition de e-books montre que le papier a encore de beaux jours devant lui, sans doute avec des gammes plus limitées et plus ciblées. Saluons l’acte de foi d’un pure player du numérique, Maurice Botbol, Indigo Publications, qui prend, à 70 ans passés, le risque de relancer ce mois-ci le mook XXI.

Notons que désormais les opérateurs en croissance investissent autant sur le créneau du livre que celui de la presse: Bolloré avec Lagardère, Kretinsky avec Editis, et Vincent Montagne avec La Martinière Le Seuil.

L’avenir du papier dépend aussi fortement d’une accélération du changement des conditions industrielles dans lequel il s’épanouit. Seule la massification tant de la production que de la distribution lui assureront la nécessaire compétitivité. L’avenir du papier passe par la survie des points de vente et par une attractivité renouvelée pour le portage.

Et dans la mesure où la presse d’information redevient un produit de luxe tant pour les quotidiens que les news, il convient que les éditeurs inventent une offre rédactionnelle originale et forte pour conserver, voire reconquérir, des acheteurs.

Propos recueillis par Robert Lafont


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