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Iran : quand le régime fait mine de reculer sur la question du hijab

Entreprendre - Iran : quand le régime fait mine de reculer sur la question du hijab

Par Hamid Enayat*

M. Jalali, religieux de son état et député de la ville de Rafsanjan (située sur le plateau iranien, dans la province de Kerman) a déclaré lors d’une rencontre avec les journalistes de sa ville qu’un plan hijab avait été finalisé après 300 réunions du Conseil de la sécurité nationale et de la révolution culturelle. Ce plan a pour objectif de laisser à penser aux observateurs non avertis (essentiellement étrangers) que le régime se serait assoupli sur la question du port du hijab.

Le fait est que le plan en question promet effectivement que les femmes non voilées ne subiront plus d’agressions physiques de la part de l’ex police des mœurs. Toutefois, ce programme visant sept infractions caractérisées concernant les femmes sans hijab (dans les voitures, au restaurant, dans les bureaux, au sein des centres éducatifs, dans les aéroports, dans la rue et même dans les espaces virtuels utilisés par les célébrités…) sanctionnera toutes les contrevenantes systématiquement, les peines allant du retrait de permis à l’interdiction d’accès internet, en fonction de l’infraction retenue par la police.

En vérité, il est impossible pour le régime iranien de reculer sur la question du hijab. Un recul serait pire qu’une compromission. Il résonnerait comme une trahison à la Révolution Islamique, une perte d’identité religieuse, identité qui est le fondement du régime théocratique. Le moindre recul sur un symbole de la philosophie qui doit guider la nation sonnerait le glas du régime. Comme le répètent à l’envi les opposants aux mollahs ; le premier recul sera le dernier.

Le volcan entre en éruption

Indépendamment du plan philosophique, un recul sur cette question centrale de l’organisation de la société en Iran aurait également des répercussions, très positives, sur le moral des rebelles et des opposants. Un peu comme si le ressort, comprimé depuis plus de 40 an, lâchait d’un coup. Aujourd’hui déjà, on peut constater que de nombreuses femmes ne portent pas de hijab. Et il ne s’agit en aucun cas d’une forme de tolérance de la part du régime, mais bien d’une volonté affichée et assumée des femmes iraniennes de poursuivre leur combat pour leurs droits, coûte que coûte ! Quel que soit le plan que le gouvernement mettra en place, il ne permettra jamais au régime de retrouver son équilibre antérieur.

Contrairement à l’opinion de certains médias occidentaux, qui décrivent une révolution en voie d’extinction, le régime iranien s’attend à une véritable éruption volcanique, bien plus violente encore que les secousses enregistrées depuis le meurtre de Mahsa Amini en septembre dernier. Pour preuve, la déclaration récente d’Hassan Karami, commandant des unités spéciales des forces de police iraniennes. Ce dernier, tout en déplorant la faiblesse de ses forces dans la répression de la révolution, a dressé un tableau musclé de l’année iranienne 1402[i] : « Nous devons doubler notre capacité. Pour faire face aux troubles, couvrons 400 points. » Selon le réseau national de lé résistance, à peine plus de 200 points chauds avaient été recensés dans le pays sur les six derniers mois de l’année 1401…

Tremblements de terre dans les fondements du pouvoir

« La structure du pouvoir politique a subi un changement qualitatif. Dans le groupe qui constituait la base principale du pouvoir, il y a eu de sérieux doutes dans la mentalité de ce groupe. Bien que cela ne se soit pas produit du jour au lendemain, les événements de cette année 1401 l’ont fait apparaître clairement. » Cette déclaration est issue d’un édito lu dans un journal proche[ii] du CGRI, le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique.

Alors même que les fondations du régime tremblent, le réseau de résistance à travers l’Iran commence à se réorganiser. Il se constitue d’unités de résistance (UR), chaque unité étant composée de plusieurs personnes, dispersées dans tout l’Iran, et jouissant d’une très grande mobilité afin de mener à bien leurs missions, variables selon les objectifs fixés. Plus ces missions gagnent en efficacité, plus la discorde gagne les cercles du pouvoir. L’une des dernières actions de ces UR a été d’attaquer des bâtiments appartenant à la milice Bassidj. Action symbolique s’il en est puisque cette milice, dépendant directement du CGRI sans aucun contrôle du gouvernement, est celle qui sème la terreur par excellence au nom du pouvoir. En agressant directement l’agresseur, les UR effacent la peur du cœur des iraniens et décuplent la confiance et la détermination des manifestants.

Cent mille arrestations !

Citant un activiste politique, le site web proche du régime Khabarban écrit : « Nous avons atteint un point où nous avons interpelé plus de 100 000 personnes lors de manifestations. Lors d’arrestations massives de manifestants. » Il faut le reconnaître, l’appareil de répression a fait de son mieux pour arrêter les leaders, des simples membres aux commandants des unités de résistance qui dirigeaient les manifestations. Cependant, selon le Réseau national de la résistance iranienne, les unités de résistance ont vu leurs effectifs croître de plus de 500 %. Et ces unités étaient la garantie de la poursuite de la révolution. Dans les faits, chaque arrestation massive a dynamisé la révolution.

L’échec de la répression systématique de la révolution dans un pays où l’ensemble de l’appareil de sécurité est conçu pour étouffer les protestations souligne l’enracinement d’un mouvement de résistance organisé qui refuse définitivement la tyrannie. L’étendue des unités de résistance dans tout le pays, leur croissance et leur niveau d’organisation démontrent que la résistance est plus que jamais ancrée dans l’histoire iranienne.

Perspectives

Déjà, en 1988, 30 000 jeunes, dont 90% étaient membres de l’OMPI[iii], ont été massacrés dans les prisons en raison de leur loyauté à la cause, suite à une fatwa émise par le guide suprême d’alors Rouhollah Khomeini. Ce massacre de l’été 88 n’a jamais freiné la résistance. Au contraire, les sentiments d’injustice et de barbarie n’ont cessé de nourrir la rébellion. La jeune génération d’aujourd’hui, forte de ce soutien historique, affiche son audace sur tous les terrains et se montre qu’elle est prête à en payer le prix fort. Si bien qu’aujourd’hui, c’est tout le pays qui s’enhardit. Le renversement est devenu une revendication générale et n’est plus limité à une couche ou à une classe sociale.

Le front réactionnaire fourbit ses armes et prépare ses hommes, doublant les moyens mis à disposition par l’état pour éteindre la braise sous le volcan. De son côté, la résistance souffle sur les tisons pour entretenir la flamme démocratique. Le choc frontal n’est plus très loin. Ce n’est sans doute plus qu’une question de semaines avant que le pays ne s’embrase littéralement. Quel que soit le vainqueur, il pourra siéger plus tard en compagnie de Pyrrhus. Mais qu’importe. Le canyon qui sépare aujourd’hui la philosophie dogmatique érigée en texte sacré des mollahs et le désir de liberté du peuple est bien trop large et bien trop profond pour envisager que l’une ou l’autre des parties ne décide de faire le moindre pas en avant. Au cours de sa longue histoire, le peuple perse puis iranien, n’a jamais connu la liberté. Les griefs sont trop importants. Le camp qui emportera ce combat là règnera pour longtemps. Gageons que la détermination et la soif de liberté l’emporte sur la force brute. Les jeunes rebelles des UR ne se sont-ils pas promis, lors des cérémonies du Norouz[iv], que cette année 1402 serait l’année du renversement ?

Hamid Enayat
Hamid Enayat est un analyste iranien basé en Europe. Militant des droits de l’homme et opposant au régime de son pays, il écrit sur les questions iraniennes et régionales et en faveur de la laïcité et des libertés fondamentales.


[i] Le jour de l’an en Iran est le 21 mars. L’année 1402 vient donc de débuter.

[ii] Site web de Mashregh, affilié au CGRI, le 17 mars 2023

[iii] Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien, principale organisation de résistance au régime, déjà à l’œuvre du temps du Shah

[iv] Nouvel an iranien


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