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Guy Savoy, plus que jamais au sommet de la gastronomie mondiale

Il a perdu sa troisième étoile dans le guide Michelin mais il reste le meilleur restaurant du monde. Guy Savoy est devenu grand chef par vocation. Dans cet entretien exceptionnel avec Éric de Riedmatten, il se dévoile en patron artiste qui gère 5 établissements dont un à Las Vegas (Etats-Unis).

Guy Savoy (Photo Thibaud Moritz/ABACAPRESS.COM)

Guy Savoy nous affirme aussi que l’art de vivre à la française est désormais connu au fin fond des États-Unis par des habitants des états les plus reculés. Une façon de dire que la haute gastronomie n’est plus réservée aux seuls New-Yorkais de la 5ème avenue et que ce savoir-faire fait école et des émules partout dans le monde. Mais attention. Tout est fragile. Les grèves et les manifestations à répétition pourraient remettre en cause cet équilibre. Une chute de fréquentation de 15 % pourrait mettre en péril son entreprise. Alors stop à la morosité. Stop au pessimisme ambiant et mettons le travail au cœur de nos vies. Voilà qui pourrait être la devise de cet homme qui trouve son inspiration dans de longues marches en montagne où il peut flirter avec les sommets de l’excellence.

Vous avez été nommé meilleur restaurant du monde. C’est quoi aujourd’hui la gastronomie française ?

Guy Savoy : Tous les pays ont leur propre cuisine mais la France a une gastronomie exceptionnelle ; c’est différent. Elle est unique au monde parce que nous avons une diversité de produits qu’il suffit d’acheter sur les marchés. Nous avons la grande chance d’avoir en France des artisans de la terre et de la mer, agriculteurs, éleveurs, pêcheurs, maraîchers, vignerons et aussi boulangers, charcutiers, bouchers, pâtissiers…, qui ont des méthodes de travail ancestrales et enfin, nous proposons des associations mets et vins uniques. C’est ça qui permet d’obtenir la gastronomie française.

Et cela n’existe pas ailleurs ?
Non, cette variété et cette excellence sont propres à la France ! Mon producteur de volaille de Bresse, il est nulle part ailleurs, et ses méthodes de travail sont celles de ses grands-parents, rien n’a changé depuis des années. Cette constance fait que notre cuisine fait rêver le monde entier. C’est pour cela que nous sommes le pays de la gastronomie.

Mais la clientèle a évolué non ?
Oui, elle a beaucoup changé. Il y a 15 ans, les restaurants gastronomiques étaient fréquentés par les Américains, les Japonais et quelques Européens. Nous avions essentiellement des New-Yorkais, des Californiens et des clients venant de Floride. Aujourd’hui, le champ s’est élargi. Nos clients viennent du fin fond des États-Unis comme par exemple de l’Indiana et du Montana etc…
On a aussi des Canadiens attirés par la gastronomie française et de plus en plus de Thaïlandais, Chinois, Indonésiens, Philippins ; les Coréens constituent même aujourd’hui notre première clientèle.

Qu’est-ce qui a changé ?
Aujourd’hui, c’est la planète entière qui s’intéresse à la cuisine. Les pays d’Amérique du sud découvrent les joies d’aller dîner dehors. Ils font exactement ce que nous avons fait dans les années 70 lorsque les critiques gastronomiques comme Henri Gault et Christian Millau ont démocratisé l’accès aux restaurants à travers leurs guides très populaires

Pourquoi ce changement ?
Le fait d’aller au restaurant est devenu un acte culturel. La France a ouvert la voie. Grâce à elle, le paysage culinaire et planétaire s’est élargi mais c’est la France qui est restée le seul pays de la gastronomie grâce à sa diversité des savoir-faire et des produits.

Et pourtant, le monde de la restauration semble souffrir, vous comprenez vos collègues ?
Le véritable problème dans notre profession, c’est le recrutement. Et l’on souffre de la concurrence internationale. Nos sommeliers, nos pâtissiers, nos chefs de rangs nous sont littéralement pillés. Où que vous alliez dans le monde, vous trouverez toujours un Français qui a quitté son pays pour travailler dans la restauration ou l’hôtellerie.

Où vont-ils ?
Le record c’est Londres ! Si on rapatriait tous ces collaborateurs, on n’aurait plus de pénurie de main-d’œuvre ! Le problème avec la restauration, c’est que l’on vient apprendre le métier en France et l’on file à l’étranger. Notre terrain de jeu est la planète entière ! Dans n’importe quel hôtel ou restaurant vous verrez des Français.

Et pourtant, des économistes nous disent que la France est en déclin. Je pense à Jean Tirole ou Philippe Aghion tous deux sévères pour notre pays.
Lorsque l’on a la chance d’avoir un art de vivre comme celui que nous avons, je ne comprends pas que l’on dise que la France est en déclin. Notre pays a des atouts et malheureusement, ces atouts ne sont pas mis en avant. Nous n’avons même pas de ministre du Tourisme alors que la France accueille 90 millions de touristes par an. Oui ! La France est le premier pays du tourisme au monde et elle ne dispose que d’un secrétaire d’État rattaché au quai d’Orsay !

Pour vous le tourisme c’est de l’or ?
Un touriste, c’est quelqu’un qui est heureux de venir découvrir notre pays, qui vient chez nous dépenser son argent et à qui on ne remboursera jamais un centime. Pas même ses frais médicaux. Pas même sa retraite, pas même le chômage. Oui, c’est un bien précieux, alors développons le tourisme !

Oui mais 90 millions de touristes, n’est-ce pas un peu trop ?
Au contraire ! Il en faudrait 120 ou 130 millions. Ces touristes viennent découvrir nos hôtels, nos restaurants, nos magasins de luxe, Hermès ou Chanel ! Ils aiment tout ce qui est exceptionnel, ils honorent le savoir-faire français, unique au monde. Qu’ils viennent découvrir et dépenser encore plus !

Oui mais c’est le luxe tout cela ?
Le luxe, c’est notre atout. C’est une diversité de matières premières associées à une diversité de savoir-faire qui sont uniques. Et ça, c’est la France.

Nous sommes les seuls au monde ?
Non, les Italiens sont également très performants, ils ont le feeling mais ils n’ont pas cette gamme et cette diversité qui font la force de notre pays.

Qui se retrouve dans nos grandes entreprises fleurons du luxe ?
J’inclus tout, y compris les vins, les spiritueux. Bernard Arnault et François Pinault ne se trompent pas. Quand LVMH investit dans Château Yquem, il sait que c’est unique au monde. « C’est de la lumière bue » comme disait Frédéric Dard. Hélas, la France se fait du mal ! Arrêtons cette propension à être négatifs. On essaye de faire dire aux Français que le luxe c’est que du fric. Voyons plutôt les retombées économiques. Combien de Français vivent de ce secteur ? Combien de touristes viennent chez nous pour en profiter ? On devrait être fiers de nos atouts !

Nicolas Sarkozy est votre ami ?
Oui, Nicolas Sarkozy vient souvent ! Emmanuel Macron est également venu. Mais il vaut mieux rester discret quand on est Président. Si cela s’ébruitait, il faudrait passer par des explications.

La réussite des grands restaurants est-elle durable ?
Avec notre gastronomie oui, tout cela s’inscrit dans la durée. On le voit avec les nouvelles nationalités qui rêvent de venir chez nous. C’est un phénomène nouveau. Chaque jour, nous avons des Thaïlandais, des Indonésiens, des Philippins. Cela n’existait pas auparavant. Et cette clientèle continuera d’exister encore longtemps pour une raison simple : nous sommes 8 milliards sur la planète, j’ai juste besoin de 120 personnes chaque jour dans mon restaurant.

Oui mais avec le « wokisme » qui déconstruit notre société ? Et le véganisme qui détruit notre gastronomie ? Le risque existe ?
Ce wokisme ne constitue pas une armée très dense ! Combien de divisions s’il vous plaît ? Tout cela est « peanuts ». Nous sommes à une époque où les minorités font plus de bruits que la majorité et ce n’est pas cela qui va tuer le métier. Au contraire, quand je vois la diversité de nationalités qui vient chez nous, je sais que nous sommes dans le juste. Un grand nombre de pays sont obligés d’inventer leur monde comme le Qatar avec ses pistes de ski ou Vegas avec sa fausse tour Eiffel. En France, nous avons tout ! Les minorités qui veulent déconstruire nos acquis feraient mieux d’être fières de leur pays !

La question des retraites vous inquiète-t-elle ?
Je préfère profiter du travail que de la retraite. Je vais passer pour un « réac » mais on laisse s’installer de fausses idées dans les écoles françaises. On devrait inculquer aux enfants l’art du bonheur au travail. Ce n’est pas un discours que vous entendez à l’école. On ne sait dire qu’une chose : que le travail profite à quelqu’un mais pas à celui qui travaille. Arrêtons de nous enliser dans le négativisme !

Et vous ne vous êtes jamais fatigué ?
Non, cela fait 53 ans que j’exerce ce métier. Je fais deux journées en une, cela fait donc 106 ans que je travaille ! Un urgentiste, un avocat, un journaliste, ont tous la passion de leur métier et c’est pour cela qu’ils ne comptent pas leurs heures. Le travail doit passer par les efforts et non par les contraintes !

Le covid, la crise en Ukraine, l’inflation, le coût de l’énergie, on a connu meilleure fortune non ?
Je ne veux pas faire fi de la misère du monde mais ne nous sapons pas le moral. Mon père était jardinier à Bourgoin Jallieu, ma mère tenait la buvette qui est devenue un restaurant. On voit bien que tout est possible.

Qu’est-ce qui vous fait vibrer après toutes ces années ?
C’est l’hyper instantané de ce métier qui me plaît. On reçoit les produits le matin, on les touche, on en parle avec l’équipe, on les transforme et de l’autre côté de la cloison on les déguste instantanément. C’est un kif !

Mais avec les charges et les coûts des matières premières, comment vous en sortez-vous ?
Tout cela est fragile. Certes, nous sommes un restaurant coûteux. Mais une baisse de 15 % du chiffre d’affaires serait catastrophique ! Et une chute peut aller très vite actuellement. Les mouvements sociaux sont notre pire menace. Surtout après ceux que nous avons vécu depuis les gilets jaunes.

La gastronomie est-ce le meilleur ambassadeur de France ?
Notre art de vivre est le meilleur ambassadeur. Regardez nos exportations de vins et spiritueux. Nous avons battu le record l’an dernier. (NDLR : 15,5 MDS€). Or, vous n’en entendez jamais parler ! C’est pourtant un secteur majeur. C’est de l’emploi non délocalisable. On peut dire merci à Bernard Arnault et à François Pinault. C’est grâce à eux que l’on a gardé ce patrimoine français. Sinon, d’autres s’en seraient emparés sans hésiter !

Et la transmission d’entreprise, vous y pensez ?
Rien que d’y penser, cela combat mon optimisme ! Je ne pense qu’à entreprendre et à ouvrir des restaurants.

Votre plat préféré ?
C’est celui qui correspond à la saison, au lieu et à la compagnie qui va avec. Si je suis en Suisse, cela peut être une raclette et un bon verre de Fendant ou une saucisse de veau avec un rösti avec une bonne moutarde forte. Si je suis en Bretagne, ce sera un homard avec quelqu’un que l’on veut séduire. Mais je n’irai pas manger une fondue à Paris !  

Votre secret pour être en forme ?
Vive la marche dans les grands espaces ! Quand je suis à pieds, je crée, je range mes tiroirs et je réorganise mes pensées. Mais je ne me vide pas la tête !

Eric de Riedmatten


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