Lorsque les entrepreneurs arrivent à imposer leurs vues aux financiers… Presqu’un cas d’école.
Elle avait beau être considérée comme l’une des étoiles montantes de la finance parisienne et européenne. Cela n’a pas empêché les actionnaires d’Eurazeo, Jean- Charles Decaux en tête (18% du capital et 25 % des droits de vote) de pousser vers la sortie Virginie Morgon, l’une des rares femmes à diriger un groupe financier de cette taille.
Une banquière d’affaires de 53 ans, qui fut aussi à 32 ans la plus jeune associée gérante de Lazard, rentrée chez Eurazeo en 2008, et qui aura fait, après Patrick Sayer, de la société d’investissement fondée en 2001 par Michel David-Weil l’un des leaders de l’investissement non coté français avec 33 milliards d’euros sous gestion.
Virginie Morgon ne se doutait absolument pas du sort qui allait lui être réservé. Elle donnait encore la semaine dernière une grande interview aux « Échos « pour illustrer et justifier sa stratégie pour l’un des plus grands fonds du private equity. Entreprendre lui avait consacré dès 2018 un portrait la qualifiant déjà notamment de « Wonderwoman de la finance ».
C’est le grand banquier, Michel David-Weill, qui était allé chercher cette fille de médecins l onnais passée par Sciences Po Paris au moment de la création d’Eurazeo. Mais il n’est plus là pour protéger celle qu’on appelle aussi la « guerrière ».
Changementcd’époque ; désormais, les entrepreneurs actionnaires du fonds semblent avoir repris la main. Et en l’occurrence le clan Decaux réputé soudé et désireux d’optimiser leurs positions.
Rappelons que les héritiers du fondateur du premier groupe mondial d’abribus n’étaient venus investir dans Eurazeo qu’à la demande express des actionnaires et pour venir jouer le rôle de chevalier blanc face aux ambitions de Tikehau Capital.
Un groupe challenger de gestion d’actifs (29 milliards d’euros sous gestion) à la réussite figurante fondé par Antoine Flamarion et Mathieu Chabran, et qui voulait clairement prendre le contrôle de son concurrent. L’arrivée des Decaux aura eu le mérite de sauver l’intégrité d’Eurazeo (370 salariés) et de lui donner une nouvelle dynamique.
Virginie Morgon a certes impulsé de son côté de nombreuses prises de participations, 532 sociétés en tout, dont de nombreuses pépites comme, Doctolib, Dessange, Ornikar ou Mano Mano. Eurazeo a su également dans un passé récent accompagner les stratégies de fleurons tels Danone, Edenred ou Moncler.
Sauf que sur le papier, cela ne s’est pas traduit d’une remontée des cours boursiers.
Ainsi lorsque JCDecaux Holding a investi en 2017, Il a déboursé quelques 792 millions d’euros pour racheter les parts détenues par le Crédit Agricole, sur une base de 70 euros l’action. Sauf que 7 ans après, le cours d’Eurazeo tourne encore autour de 65 euros. Et c’est là que le bat blesse.
Rappelons qu’avec 55% de flottant, Eurazeo est côté sur Euronext Paris.
Sans compter que l’entente ne semblait pas parfaite entre Virginie Morgon et les dirigeants de l’empire Decaux, à la tête du numéro un mondial de la communication extérieure avec 3,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde, une réussite française planétaire et exemplaire. On ne parlait pas le même langage.
Ce qui est étonnant quand on connaît la courtoisie et les valeurs humaines de la famille Decaux, Ayant la chance de connaître Jean- Charles, 54 ans, tant il est rare de rencontrer des entrepreneurs aussi performants et accessibles. Quant à Virginie Morgon, grisée par sa fonction et son exposition médiatique, elle semblait de plus en plus vouloir faire cavalier seul.
À moins qu’une des véritables raisons de la rupture réside dans les ambiguïtés de certaines rémunérations jugées par trop généreuses. On parle de parts de plus-valûes reversées aux gérants du private equity lors de la cession d’une entreprise qui n’auraient pas été toujours bien « lisibles ». À vérifier …
Dimanche 4 février 2023, les actionnaires d’Eurazeo se sont réunis 10 heures durant au siège parisien de la société avant de pouvoir sceller le départ de l’ex- petite princesse de la finance. Même si on peut lui faire confiance pour s’en remettre.
N’est pas Dominique Sénéquier qui veut, l’autre grande réussite au féminin de la finance parisienne qui, à 70 ans, est à la tête de son fonds Ardian, devenu un leader mondial du capital investissement avec 130 milliards d’euros d’actifs sous gestion. À 55 ans, Virginie Morgon a encore le temps de faire fructifier son talent et son expérience acquise en lançant pourquoi pas un nouveau fonds de private equity. Ce qui ne peut que renforcer encore un peu plus le capitalisme tricolore. C’est tout le mal qu’on peut lui souhaiter !
Robert Lafont
