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États-Unis : le droit à l’avortement menacé ? 

Entreprendre - États-Unis : le droit à l’avortement menacé ? 

Par Marc Alpozzo et Emmanuel Jaffelin, philosophes et essayistes.

Tribune. A-t-on encore le droit de dire que cet enthousiasme obligé pour une avancée sombre peut déranger quelques personnes ? On parle de « droits humains », ou de « droits des femmes ». Est-ce qu’avorter est un choix, ou une obligation morale ?

Il ne s’agit pas de dire dans une tribune si l’on est pour ou contre, mais de questionner un phénomène de société absolument hallucinant. Il semble à l’heure où l’on vous parle que le droit à l’avortement serait en péril[1]. Aux États-Unis, l’avortement étant un « vrai » débat politique, à l’inverse de nous en France, puisqu’on considère l’avortement comme un « droit acquis » et un « droit moral ». Cet abus juridique et moral est curieux, mais c’est ainsi.

L’argument du droit des femmes est lui-même un abus. On a la thèse consistant à dire que la femme a le droit de disposer de son corps comme elle le souhaite. En ce qui s’agit d’elle-même cela semble un droit non seulement évident mais bien sûr fondamental. Mais qu’en est-il de l’avortement ?

Deux jurisprudences permettent de recourir à l’avortement aux États-Unis. Chez nous, l’interruption volontaire de grossesse (IVG) peut être décidé pour des raisons non médicales dans le cadre légal instauré par la loi Veil du 17 janvier 1975 (dispositif légal est inscrit aux articles L.2211-11 et suivants du Code de santé publique). Le délai légal était de 12 semaines et a été repoussé à 14 semaines récemment. Aux États-Unis c’est entre 22 et 24 semaines. Et en Espagne, c’est de 8 mois.

Force est de constater que le droit à l’avortement reste un marqueur politique chez nous aussi, puisqu’il suffit que l’on s’y oppose au moins philosophiquement (cf. Éric Zemmour, Marion Maréchal) pour que l’on soit classé à l’extrême droite, et que certains médias de la gauche parlent alors de la « fachosphère ». Criminaliser une autre éthique que celle du droit « absolu » et sans concession d’interrompre une grossesse en cas de nécessité ou de désir de ne pas garder l’enfant est une attitude commode pour éviter le débat.

Pourtant le débat a toujours lieu, mais bien évidemment de manière cachée, puisque les « pro-life » comme on les appelle, ceux qui sont pour le « droit à la vie » (ce qui en soi est beau, non ?) doivent trouver des subterfuges pour que l’on ne puisse pas leur reprocher d’être politiquement contre, et bientôt juridiquement contre un « droit » que d’aucuns considèrent comme une « avancée morale » majeure.

Les délais légaux de l’I.V.G. sont aussi très inégaux entre les pays. Entre 14 semaines chez nous et 8 mois chez les Espagnols, il y a de quoi se questionner sur la légitimité de cette légalité. À quel moment le fœtus est-il réellement un être humain en cours de conception ? C’est une vraie question que la démocratie française n’aime pas. Appelons le problème intellectuel posé par l’avortement un sorite. Pour mémoire, un sorite, c’est un questionnement qui nous interroge sur le passage de la qualité à la quantité : par exemple, au bout de combien de grains considérons-nous que nous avons un tas de sable ? Autre exemple : à partir de combien de cellules considérons-nous qu’un fœtus ou un embryon sont des êtres humains ?  Cette question n’a jamais été ni formulée ni discutée ; en revanche, les sociétés du XXe et du XXIe siècle lui répondent sans se l’être posée, la réponse reposant plus sur le droit de la femme que sur l’être de l’enfant (et donc son droit). L’un des paradoxes de cette indigence intellectuelle repose sur la naissance d’enfants prématurés qui peuvent être plus jeunes que ceux qui sont Les objets de l’avortement.

C’est ainsi que Curtis, né le 5 juillet 2020 en Alabama, est sortie du ventre de sa mère au bout de 21 semaines et un jour, soit 4 mois (131 jours) avant la date prévue ! Mais dans ce même pays, une loi a été votée par le Sénat qui dit dans son premier paragraphe : « une femme pourra désormais avoir recours à l’avortement jusqu’au dernier jour de sa grossesse, si sa santé ou celle de l’enfant est en danger, ou encore si le fœtus n’est pas jugé viable ». Ce qui signifie qu’un État peut mettre fin à une vie sous le contrôle médical qui permet de ne pas considérer la suppression de cette vie comme un crime, mais au contraire comme un grand progrès du confort et de l’humanité. Et si le jugement médical est faux – ce qui est fréquent puisque la médecine n’est pas une science, mais un savoir-faire qui s’appuie sur des sciences (chimie, biologie, etc.) – personne ne le saura car elle devient une nouvelle forme d’autorité. Nous sommes passés en occident (mais pas aux Etats-Unis qui est une jeune nation) de la théocratie à la démocratie, mais nous sombrons actuellement dans la médico-cratie !

Est-ce si évident d’affirmer que l’enfant n’étant pas encore sorti du ventre de sa mère n’est pas encore un être humain avec des droits fondamentaux, comme celui de vivre ?

À la différence de nous, aux États-Unis il n’y a jamais eu de loi, ce qui permet encore le débat, même s’il l’on peut déplorer que cela revient aux juges, ce qui fait que ce n’est pas seulement Trump qui met en cause le droit à l’avortement, mais les juges américains eux-mêmes par leurs décisions. En France, les choses paraissent plus simples. Il y a une loi qui légalise l’avortement depuis 1975. Depuis, on dit, comme on peut le lire sur le site d’Amnesty international, que « Les lois contre l’avortement portent atteinte au droit de vivre dignement et de disposer de son corps » (c’est nous qui soulignons). Mais qu’en est-il vraiment du droit de vivre dignement, lorsqu’on sait qu’un enfant est condamné à mort, dans le corps de sa mère, sans disposer du droit élémentaire de contester cette condamnation définitive ? Rappelons-nous que Serge Gainsbourg a failli ne pas naître car sa mère, bien avant la loi de Simone Veil, avait le désir d’interrompre sa grossesse.

Rappelons-nous aussi, que Dalida, dans les années 70, avant la loi Veil, ne pouvant avorter en France des fruits d’un amour fugace, retourna en Italie où elle demanda à ce que l’on élimine le fœtus ; elle en paya un lourd tribut, puisque, quinze ans plus tard, elle réalisa qu’elle était devenue stérile. C’est aussi cela les drames de l’avortement clandestin. Ceci expliquant en partie la pertinence de la loi Veil, en 1975, elle qui voulait protéger les femmes, le temps que les avancées techniques développent des moyens de contraception efficaces. Or, ces deux exemples à eux seuls, montrent que le débat ne peut être tranché trop rapidement, et ne doit pas l’être par quelques phrases et un peu d’idéologie, car il nécessite une réflexion collective, et approfondie. Cela démontre également que l’I.V.G. a été considéré un peu hâtivement comme un acquis social et moral, alors que dans l’esprit du ministre qui fit voter la loi de l’époque, ce n’était qu’un moyen temporaire de protection et d’émancipation des femmes.

Notons également les paradoxes de cette démocratie du XXIe siècle : ceux qui prônent le droit à l’avortement (ce qui peut s’apparenter à une sorte de mise à mort) sont contre la peine de mort tandis que ceux qui sont favorables à la peine de mort (ce qui peut s’apparenter à un crime d’État) sont anti-avortement au nom du droit à la vie. Comique ?

De quoi donc se demander si le débat sur le droit à l’avortement n’a pas été un peu rapidement refermé chez nous, pour empêcher qu’il soit remis en cause. Il faut tout de même se souvenir que Simone Veil a marqué la lutte pour les droits des femmes, en présentant devant les députés, le 26 novembre 1974, alors ministre de la Santé, son projet de loi sur l’avortement.  Le 17 janvier 1975, la loi Veil promulguée légalisait l’interruption volontaire de grossesse. Or, jusque-là, avorter pour une raison non médicale était un délit, passible de prison. Il nous faut donc se figurer aujourd’hui le droit à l’avortement comme une avancée en matière de « libération » de la femme, et revenir, sur le sujet, ne serait-ce que philosophiquement, est considéré par un grand nombre de personnes comme « porter atteinte aux droits des femmes ».

Pourtant, chez nous, l’avortement, qui est de plus en plus considéré comme un moyen de contraception comme un autre, est à l’origine entre 90.000 et 300.000 avortements selon les années (ce chiffre n’est pas précis – nous avons montré plus haut l’écart existant en réalité dans la divulgation des chiffres officiels). Il y a de quoi se questionner ! On peut aussi se questionner sur la réalité concrète de l’interruption volontaire de grossesse. Est-ce véritablement éthique, à défaut d’être moral (puisque le Bien et le Mal sont des valeurs à géométrie variable seront les époques et les mœurs en cours) ? Quelles sont les conséquences sur la mère qui a avorté dans le temps ? Et, est-ce bien responsable de faire passer une loi qui supprime un enfant en cours de procréation comme une loi émancipatrice et libératrice des femmes ? Autant de questions que l’on n’aura jamais résolues, tant l’omerta et l’impossibilité aujourd’hui de débattre de ce sujet dans ce pays sont importantes.

Marc Alpozzo
Philosophe, essayiste
Auteur de Seuls. Éloge de la rencontre, Les Belles Lettres

Emmanuel Jaffelin
Philosophe, essayiste
Auteur de Célébrations du bonheur, Michel Lafon


[1] Des révélations explosives sur la Cour suprême des Etats-Unis, qui semble prête à renvoyer le droit à l’avortement 50 ans en arrière, ont poussé mardi le président Joe Biden à battre le rappel d’une gauche en état de choc. (Source : TVMonde) Un quotidien américain s’est procuré le brouillon de la cour suprême américaine visant à supprimer l’arrêt qui consacre l’accès des femmes à l’avortement. C’est précisément la revue Politico qui révèle que la Cour suprême s’apprêterait à abroger l’arrêt historique « Roe v. Wade » du 22 janvier 1973 légalisant l’avortement. Depuis, de nombreuses sociétés américaines ont manifesté leur soutien, en interne ou publiquement, au droit des femmes à avorter, au moment où celui-ci est de plus menacé aux États-Unis, et notamment le géant Amazon. (Source : Le Figaro).


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