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Emmanuel Sauvage : « Airbnb nous a permis de nous réinventer »

Ancien directeur du Burgundy, Emmanuel Sauvage a co-fondé Evok Hôtels Collection, un groupe qui possède déjà cinq hôtels, dont quatre à Paris, et compte en ouvrir trois à l’étranger d’ici 2022.

Entreprendre - Emmanuel Sauvage : « Airbnb nous a permis de nous réinventer »

Agé de 42 ans, Emmanuel Sauvage a toujours évolué dans le secteur de l’hôtellerie. Ancien directeur du Burgundy, un hôtel cinq étoiles situé dans le 1er arrondissement, il a co-fondé Evok Hôtels Collection avec Romain Yzerman et l’investisseur Pierre Bastid. Le groupe possède déjà cinq hôtels, dont quatre à Paris, et compte en ouvrir trois à l’étranger d’ici 2022.

Comment êtes-vous entré dans le secteur de l’hôtellerie ?

Emmanuel Sauvage : J’ai passé un BTS gestion hôtelière, j’ai ensuite fait des stages à Paris, puis j’ai été embauché dans différents hôtels. Vers 23-24 ans, j’ai obtenu un poste de direction. J’ai ensuite rejoint Guy de Durfort (propriétaire de plusieurs hôtels à Paris – ndlr). On a ouvert un hôtel à la Bastille, puis je suis entré au Burgundy (un hôtel cinq étoiles situé dans le 1er arrondissement – ndlr). C’est mon vrai tremplin. Le Burgundy était l’un des premiers boutiques-hôtels. Mais il a été vendu et je n’avais pas le même relationnel avec les nouveaux acquéreurs.

Cette vente aura finalement une importance cruciale dans votre trajectoire.

En effet. Sans la vente du Burgundy, peut-être que l’ aventure Evok n’aurait jamais commencé.

La marque Evok Hôtels Collection, que vous avez lancée en 2014 avec Romain Yzerman, co-fondateur, et l’homme d’affaires Pierre Bastid, (ingénieur de 57 ans, ex-Pdg de Converteam revendu à GE, il détient aussi 14% de Carmat), est-elle née d’une page blanche ?

En dehors de quelques immeubles qu’ils avaient achetés en amont, nous sommes vraiment partis d’une page blanche. Pour lancer la marque Evok, on a commencé avec le restaurant du Palais Royal qu’on a ouvert en juin 2015, puis avec le Nolinski, notre premier hôtel, en juillet 2016. En parallèle, on a lancé les chalets du Hameau de la Volière à Courchevel. Le Brach a ouvert en octobre 2018, le Sinner en septembre 2019, et la Cour des Vosges en octobre 2019. L’année 2019 fut donc très chargée.

Ces multiples ouvertures ont-elles des conséquences sur la stratégie du groupe ?

On est en train de se stabiliser et de structurer le groupe. Nous partons désormais à l’international. Nous avons acheté la chambre de commerce de Venise qu’on a transformé en Nolinski Venise. On a également acheté deux immeubles à Madrid et à Rome pour créer le Brach Madrid et le Brach Rome avec Philippe Starck. Ce sont les prochaines ambitions de développement du groupe. On est encore un groupe à taille humaine (500 salariés – ndlr). On ne doit pas aller trop vite pour ne pas prendre de risque.

On entend souvent les nouveaux entrepreneurs de l’hôtellerie affirmer qu’ils cassent les codes du secteur. Est-ce également votre ambition ?

Bien peu de monde casse les codes aujourd’hui. Il faut distinguer deux choses : hôtellerie et hôtellerie de luxe. Beaucoup de choses ont évolué au sein de l’hôtellerie lifestyle, dans les trois ou quatre étoiles, à l’image de Mama Shelter (groupe fondé par Serge Trigano – ndlr) ou Mob (créé par Cyril Aouizerate – ndlr). Dans cette catégorie, les codes ont été déverrouillés, et on constate une vraie évolution depuis quelques années. En revanche, dans le luxe, il n’y a aucune évolution. Il suffit de regarder l’hôtellerie parisienne, que ce soit au Peninsula ou au Shangri-La (deux palaces situés dans le 16ème arrondissement – ndlr), ou chez les nouveaux qui sont assez classiques. Après, tout dépend ce qu’on appelle « casser les codes » ? Dans l’hôtellerie lifestyle, on a fait évoluer le service, on a misé sur le côté détente, etc. En hôtellerie de luxe, on est encore très ancré dans le savoir-vivre à la française, les traditions, des codes extrêmement classiques. C’est vrai partout, au Crillon, au Peninsula, au Burgundy, au Royal Monceau… À l’ international, c’ est beaucoup plus simple : de nombreux hôtels de luxe ont une atmosphère plus cool et détendue.

Quels sont les facteurs qui pousse les acteurs de l’hôtellerie à évoluer ?

Il y a Airbnb. Même si le Airbnb de luxe n’a pas pris parce qu’il n’y a pas de services. Et puis, les attentats à Paris. Ils nous ont obligé à revoir nos modes de fonctionnement. Même en luxe, c’est très important de mixer la clientèle locale et internationale. Au Brach, ça fonctionne de 7h30-8h jusqu’à 2h du matin. Il y a toujours une grosse effervescence grâce au club de sport. Nous avons 1000 membres. On a une vie locale très animée. Pour cela, on s’est adapté à tous les niveaux : tarification, service, codes, personnel… Nous avons fait évoluer beaucoup de choses, mais finalement, bien peu d’hôtels ont suivi le mouvement.

Airbnb est-il une sonnette d’alarme pour les professionnels de l’hôtellerie ?

Oui. Cela nous a permis de nous réinventer, comme les taxis avec les plateformes de VTC. À l’époque, Airbnb était un nouvel acteur qui n’était pas régulé, c’était donc de la concurrence déloyale. Le luxe a été plus épargné. Mais cela a quand même été pour nous un facteur déclencheur. On devait travailler différemment. L’idée d’Airbnb, c’était de vous permettre de vivre l’expérience d’un Parisien lorsque vous veniez à Paris. Sauf que dans un appartement parisien, il ne se passe rien. Pour moi, ce qui est très important, c’est de faire revivre l’expérience d’être Parisien avec des Parisiens.

Comment considérez-vous Booking ? Est-ce un partenaire ?

Booking est simplement une nouvelle façon de travailler. Certains confrères sont vent debout contre Booking. À une époque, on avait des commerciaux qui traversaient la planète entière pour aller voir des agences de voyage et des tour-opérateurs. Ce temps est fini. Ces commerciaux ont été remplacés par des sites Internet qu’on appelle des OTA (agences de voyages en ligne – ndlr). Ce sont des partenaires. Oui, il y a des commissions, mais chaque hôtel doit savoir gérer ses partenaires. On fonctionne très bien avec eux. Booking nous permet de nous ouvrir sur différents marchés que nous n’aurions pas eu avant. Il faut savoir travailler ce partenariat pour que l’hôtel reste maître à bord. Un hôtel doit mixer sa clientèle – en direct, via les sites Internet ou les agences – et les nationalités pour limiter les risques.

La clientèle de vos hôtels a-t-elle beaucoup évolué ces dernières années ?

Oui. Les gens sont plus jeunes et plus riches, grâce par exemple à des ventes de start-up. Ils ont tous des styles de vie différents. La clientèle est également très différente d’un établissement à l’autre, même si nous avons beaucoup de clients qui passent de l’un à l’autre. Les nationalités sont celles qui correspondent aux marché du luxe : France, Etats-Unis, Moyen-Orient, Russie… Nous avons peu de Chinois.

Quelle est l’ADN d’Evok Hôtels ?

Notre idée est d’essayer de faire revivre le savoir-vivre à la française, cette tradition d’hôtellerie des palaces du début du 20ème siècle. Et cela fonctionne plutôt bien.

Vous possédez quatre hôtels à Paris (le Nolinski près du Louvre, le Brach dans le 16ème, le Sinner et la Cour des Vosges dans le Marais). En quoi leur localisation est-elle importante ?

Elle joue un grand rôle. Ce qu’on fait dans le Marais, on ne peut pas le faire dans le 8ème ou le 16ème, et inversement. Si on veut avoir une clientèle locale, il faut s’adapter au quartier. De son côté, la clientèle internationale fait ses choix en fonction de ses affinités : artististiques, bourgeoises… Après, il y a des quartiers où il est impossible d’aller quand on évolue dans le luxe…

Par exemple ?

Je ne cache pas que c’est plus compliqué dans l’Est parisien, c’est une autre clientèle… Vous avez un seul palace dans le 7ème, mais tout le reste est concentré dans l’Ouest parisien. Quant au Marais, c’est le bout de cette zone.

Fin 2021, vous ouvrirez votre premier hôtel à l’étranger, à Venise. Comment abordez-vous cette étape stratégique ?

C’est un vrai virage pour nous. En interne, on est en train de se réorganiser, on restructure le siège de manière à pouvoir fonctionner à l’international. Cela passe notamment par des recrutements et une organisation différente. Tous nos process de gestion et de commercialisation seront les mêmes, on devra juste s’adapter à chaque culture locale.

Après les prochaines ouvertures auront lieu à Madrid et à Rome. Comment choisissez-vous les villes où vous vous déployez ?

On choisit des destinations en fonction du potentiel et du feeling. Par exemple, on n’a pas choisi Londres qui était pourtant un marché prioritaire au départ. On aime les villes d’histoire, raison pour laquelle nous n’avons pas choisi Lisbonne. On essaie de cibler des villes plus importantes avec de l’histoire.

Avez-vous d’autres villes en perspective ?

On ne cherche pas d’autres destinations pour le moment. Avec Venise, Rome et Madrid, nous avons trois projets à sortir en même temps. Il faut une durée de 4 ans entre le choix d’un pays et l’ouverture d’un établissement. Il faut acheter l’immeuble, obtenir les autorisations administratives, les travaux… Pour l’heure, on ne cible que du moyen courrier, on se concentre sur l’Europe. Pour une question de structure, on ne se lancera pas à court terme dans les destinations lointaines. Un jour, nous irons plus loin et notamment aux Etats-Unis. Mais il faut prendre son temps pour trouver le bon mode de fonctionnement à l’international.

Quelle est votre vision d’Evok à horizon 10ans ?

D’ici 5 ans, le groupe se sera étendu à Venise, Rome, Madrid et peut-être dans une ville européenne supplémentaire. D’ici 10 ans, on espère avoir cinq autres hôtels dans des destinations plus lointaines. On souhaite vraiment s’implanter à New York. Nous avons la volonté de ne pas nous disperser à travers le monde. Avoir un hôtel en Chine et un autre en Amérique latine, par exemple. On veut regrouper nos établissements dans des zones cohérentes.

Propos recueillis par Thibaut Veysset


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