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Qui est Edouard Philippe, le nouveau Premier ministre ?

Rarement, sous la Ve République, un choix de Premier Ministre aura été aussi attendu. Edouard Philippe a milité, dans sa jeunesse, pour le PS, avant de devenir l'un des plus fidèles lieutenants d'Alain Juppé. Son parcours de jeune militant politique a séduit Emmanuel Macron dont la décision est éminemment politique.

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Rarement, sous la Ve République, un choix de Premier Ministre aura été aussi attendu. Edouard Philippe a milité, dans sa jeunesse, pour le PS, avant de devenir l’un des plus fidèles lieutenants d’Alain Juppé. Son parcours de jeune militant politique a séduit Emmanuel Macron dont la décision est éminemment politique.

Le nouvel hôte de Matignon, réputé pour sa grande ouverture d’esprit et sa faculté à avoir de bonnes relations avec les hommes politiques de tous bords, doit, tout à la fois, mener la bataille des législatives et incarner le logiciel progressiste et transpartisan que souhaite appliquer le nouveau Chef de l’Etat.

Le secret avait été bien gardé mais beaucoup d’indices donnaient à penser qu’Edouard Philippe, proche d’Alain Juppé, serait le prochain Premier Ministre. Il est resté à Paris, ce week-end; il n’a jamais voulu répondre aux sollicitations des journalistes et son agenda est resté libre pour cette semaine.

Sa nomination est historique, car il est le premier chef de gouvernement de droite nommé par un ancien ministre d’un gouvernement de gauche, hors cohabitation. C’est également la première fois, hors cohabitation toujours, que le Premier Ministre est issu d’un mouvement politique qui ne soutient pas officiellement le chef de l’État. Lors de la primaire de la droite et jusqu’à la veille du second tour de la présidentielle, Edouard Philippe a exprimé de nombreuses critiques contre le nouveau Président de la République.

Ils s’apprécient beaucoup

Il le percevait notamment comme le candidat des médias, manquant d’expérience politique et au bilan ministériel trop insatisfaisant pour accéder la fonction suprême. Le député-maire du Havre n’a pas toujours cru en l’ancien ministre de l’Economie. « Pour gagner la présidentielle, il faut avoir fait le tour de France, jugeait-il en 2016 auprès du JDD, en ajoutant: «Il y a de la place pour les jeunes, mais l’enracinement, le lien charnel avec le pays, c’est important».

Selon plusieurs proches du nouveau Président de la République, Emmanuel Macron et Edouard Philippe s’apprécient toutefois beaucoup. En septembre 2016, interrogé par L’Opinion, il lâche: « Je l’aime beaucoup à titre personnel car c’est quelqu’un de sympathique et d’intelligent. J’ai de l’estime pour son intelligence et il pense à 90% la même chose que moi », tout en rajoutant: «Il y a deux Macron, celui des discours, avec lequel je suis souvent d’accord et celui des actes (…) dont on ne peut pas dire qu’il ait fait des choses considérables ».

Transgression et tradition

Il faut dire, qu’à cette époque, Edouard Philippe est convaincu qu’Alain Juppé peut remporter la primaire de la droite. En janvier 2017, dans une chronique publiée dans Libération, Edouard Philippe écrit à propos d’Emmanuel Macron: « Pour certains, impressionnés par son pouvoir de séduction et sa rhétorique réformiste, il serait le fils naturel de Kennedy et de Mendès France. On peut en douter: le premier avait plus de charisme, le second plus de principes ».

Emmanuel Macron ne lui aura pas tenu rigueur, aussi, de son jugement sévère exprimé après la fête du premier tour de la Présidentielle, à la Rotonde. En même temps, Edouard Philippe disait beaucoup de bien d’Emmanuel Macron, ces derniers mois, en disant de lui qu’il était « jeune, intelligent et compétent »  Edouard Philippe, principal lieutenant d’Alain Juppé, interrogé par l’AFP, jeudi soir, alors qu’il lançait la campagne des législatives dans sa ville, se contentait de dire que si Emmanuel Macron choisissait la « transgression » plutôt que la « tradition », en prenant un Premier Ministre extérieur à son mouvement, alors la situation serait totalement nouvelle. Selon lui, la « tradition » voulait dire qu’un Président élu désigne un Premier Ministre issu de sa majorité.

Un parcours classique

Mais alors qui est Edouard Philippe? Peu connu du grand public, le maire Les Républicains du Havre depuis 2010 est aussi député de la 7ème circonscription de la Seine-Maritime depuis 2012. Il a déjà annoncé qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat en juin prochain, préférant conserver uniquement son mandat exécutif local du Havre. Envisageait-il déjà un poste plus important sur Paris?

Difficile de l’affirmer, mais Edouard Philippe est arrivé à un stade de sa carrière où d’autres montrent de grandes ambitions. A 46 ans, Edouard Philippe, né à Rouen, marié et père de trois enfants, est le fils de deux professeurs de français. Il a connu un parcours assez classique pour un responsable politique français. Il est passé dans le même moule que le nouveau Président de la République, avec quelques d’années d’avance sur lui.

Diplômé de Sciences Po Paris, n 1992, uis de l’ENA (promotion Marc Bloch, 1995-1997). Il sort dans la « botte » (les quinze premières places du classement final) et il choisit le Conseil d’État. « C’était un vrai centriste, drôle et sympathique. Ami aussi bien avec des gens de gauche que de droite, Edouard était aussi l’un de ceux qui voulaient faire sa vie en politique» se souvient son ex-camarade de promo à l’ENA, Julien Carmona, aujourd’hui Directeur Général délégué de Nexity.

Militantisme à gauche

Édouard Philippe a d’abord milité au sein du Parti Socialiste, pour l’aile rocardienne et sociale-démocrate. Dans une interview accordée au Point, au lendemain du décès de Michel Rocard, le maire du Havre rapportait les raisons de ce soutien:

« J’avais grandi dans un milieu plutôt à gauche où l’on votait socialiste et il y avait, chez lui, un côté social-démocrate assumé qui m’allait bien. J’aimais ses discours sur l’exigence de réforme », déclarait-il. Édouard Philippe y reconnaissait aussi les proximités idéologiques entre l’ancien Premier Ministre de François Mitterrand et Alain Juppé, qu’il a suivi lors de la création de l’UMP en 2002. Son militantisme à gauche, en tant que tel, a été de courte durée. Après l’éviction de Michel Rocard de la tête du PS, il rend sa carte du parti et se rapproche de la droite:

« Je n’ai pas été emballé par ce que j’ai vu au PS, notamment quand François Mitterrand a décidé d’avoir la peau de son ancien chef de gouvernement. » En 2001, spécialisé dans le droit des marchés publics, le jeune énarque se rapproche d’Antoine Rufenacht, maire du Havre de 1995 à 2010 et ancien collaborateur de Raymond Barre.

Deux modèles

C’est alors, à l’occasion de la fusion des familles de la droite et du centre, qu’Édouard Philippe devient Directeur Général des services de l’UMP, sous l’égide d’Alain Juppé, qui va devenir son mentor. Les deux hommes ne se quitteront plus. Lorsque ce dernier est condamné, en 2004, dans l’affaire des emplois fictifs du RPR, et démissionne de la présidence du parti majoritaire, Edouard Philippe rejoint un cabinet d’avocats américain.

Après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, qu’il soutient, il reprend brièvement du service politique en étant embauché au cabinet d’Alain Juppé, éphémère ministre de l’Écologie. Comme Emmanuel Macron, il a connu plusieurs expériences dans le privé.

En 2009, celui qui est alors directeur des affaires publiques d’Areva a d’ailleurs siégé au sein de la commission sur le Grand emprunt, présidée par ses deux modèles, Michel Rocard et Alain Juppé. Elu maire du Havre, en 2010, après la démission d’Antoine Rufenacht, il est réélu en 2014 en obtenant, en 2012, le siège de député de la 7ème circonscription de la Seine-Maritime.

De plus en plus discret

Un mandat qu’il ne tentera pas de renouveler, en juin, conservant uniquement son exécutif local du Havre, pour respecter la loi sur le cumul des mandats. Un gage donné à Emmanuel Macron.

Quand Alain Juppé se déclare candidat à la primaire de la droite et du centre, à l’été 2014, Edouard Philippe est bien sûr de la partie: porte-parole et conseiller politique. « Ils ont une très grande confiance réciproque et se ressemblent sur de nombreux points : leur intelligence, leur culture, leur vision de la société », observe l’ex-responsable de la campagne digitale d’Alain Juppé, Aurore Bergé, qui a depuis rallié Emmanuel Macron.

Edouard Philippe accompagne alors Alain Juppé, en 2016, pour la campagne de la primaire de la droite et du centre. Après la victoire de François Fillon, rapidement obscurcie par l’affaire des emplois présumés fictifs de son épouse et de ses enfants, il se fait de plus en plus discret et il quitte la matrice présidentielle des Républicains en s’éloignant de François Fillon. Mais jusqu’au mois de mars, il n’abandonne pas le navire. « La loyauté est une des qualités premières d’un juppéiste », affirmait-il à L’Express, début février.

Un hommage appuyé

A la suite de son retrait de la campagne, le maire du Havre débute des chroniques hebdomadaires pour le quotidien Libération, où il y décrit la campagne présidentielle vue de l’intérieur. « Je l’ai regardé dans mon bureau, au Havre. Lundi matin. Tout seul. A 10h25, j’ai allumé la télévision », écrit-il à propos du discours d’Alain Juppé, le 6 mars, confirmant qu’il ne serait pas candidat à la Présidence de la République, après l’annonce de la mise en examen de François Fillon. « Je savais ce qu’il allait dire. Il ne me l’avait pas dit, parce qu’il prévient rarement. J’ai l’habitude. »

La défaite d’Alain Juppé, face à François Fillon, scellera la fin de leur histoire commune. Édouard Philippe signera, dans Libération, où il tient une chronique durant la campagne présidentielle, un hommage appuyé à Alain Juppé: « Que nous laisse-t-il? Une forme de mystère et l’essentiel: l’ambition de parler juste et d’agir bien, le souci de rassembler, le refus des facilités démagogiques, la primauté du fond, le sens de l’Etat.

Et la niaque d’être à sa hauteur » écrit-il le 8 mars. Interrogé, mardi dernier, à propos de la possibilité de voir son ancien lieutenant s’installer à Matignon, Alain Juppé a quant à lui répondu que le maire du Havre « est assez grand garçon pour décider par lui-même », louant « un homme de grande qualité ».

Sur la même ligne

Politiquement, le juppéiste Édouard Philippe semble en tout point compatible avec Emmanuel Macron. « C’est un réformateur issu de la droite humaniste, sociale», indique Aurore Bergé, qui a suivi le cours de droit public qu’Edouard Philippe donnait à Sciences-Po. «La seule petite différence est sur le plan économique:

Emmanuel Macron me paraît plus libéral que lui », rajoute-t-elle. Edouard Philippe est, d’ailleurs, sur la même ligne que le Président élu, s’agissant de la refonte du système politique français. « Le vainqueur de dimanche n’aura pas le choix, écrivait-il dans Libération le 3 mai dernier. «Si c’est Emmanuel Macron, il devra transgresser. Sortir du face-à-face ancien, culturel, institutionnalisé et confortable de l’opposition droite-gauche pour constituer une majorité d’un nouveau type ».

Le député des Républicains a aussi publié un premier roman en 2007, L’heure de vérité (Flammarion), co-écrit avec son ami Gilles Boyer, ancien directeur de cabinet d’Alain Juppé à la mairie de Bordeaux. Au printemps 2011, ils éditent ensemble Dans l’ombre (JC Lattès), un roman de politique fiction dans lequel « les politiques et les apparatchiks vivent ensemble. Ni les uns, ni les autres ne peuvent survivre seuls », note le site de l’éditeur.

Un proche d’Attali

Autre point commun entre les deux hommes: leur volonté de miser, plus que jamais, sur le couple franco-allemand. L’élu havrais, qui a passé son bac à Bonn, où son père avait été muté comme directeur du lycée français, a d’ailleurs, dans ce domaine, un atout dans sa manche, pour Matignon, puisqu’il parle également l’allemand couramment. Les deux hommes ont aussi grandi dans l’admiration d’un même homme politique: Michel Rocard.

Et comme Emmanuel Macron, Edouard Philippe, est un proche de Jacques Attali qu’il accueille tous les ans au Havre pour un Forum consacré à l’économie positive. Édouard Philippe nourrit aussi d’excellentes relations avec l’ancien lieutenant de Jean-Luc Mélenchon au Parti socialiste, Jérôme Guedj, passé par l’ENA, un an avant lui. Le député-maire LR a aussi accepté, en 2014 et 2016, de se laisser filmer par son « ami de gauche » comme il le confie, le réalisateur Laurent Cibien, rencontré en khâgne et qui en a tiré un documentaire: « Edouard, mon pote de droite ».

Des critiques balayées

Mais l’édile du Havre, qui ne demeure pas moins un ambitieux, possède aussi son lot de détracteurs. Dans « Lapins et merveilles », la journaliste Gaël Tchakaloff, qui a passé 18 mois avec l’équipe de campagne d’Alain Juppé, lors de la Primaire de la droite, dépeint cette « petite mascotte juppéiste » comme une « bête de communication », une « girouette attachante », mais « dénuée d’états d’âme ».

Derrière « l’apparence débonnaire », l’auteure pointe du doigt « une arrogance, un excès de confiance en soi, une ambition démesurée ». Un portrait, peu amène, que corrobore le député filloniste de Haute-Savoie Lionel Tardy, dans Challenges: « c’est un homme froid et distant, une énigme pour moi», réagit-il. «Je l’ai peu vu à l’Assemblée, hormis à la buvette, avec Benoist Apparu. Je connais plus certains députés socialistes qu’Édouard Philippe », ajoute-t-il.

Des critiques qu’a tenu à balayer, sur RTL, son ami Gilles Boyer, directeur de campagne d’Alain Juppé lors de la Primaire de la droite : « si j’étais Président de la République, je le nommerais Premier Ministre ». Et d’ajouter: « Emmanuel Macron a placé son élection sous le signe de l’audace, expliquez-moi pourquoi il cesserait d’être audacieux au moment précis où il vient d’être élu? ».

Sa passion de la musique et du cinéma

Selon son premier adjoint à la mairie, Luc Lemonnier, Édouard Philippe est un «bosseur». Selon le site de BFMTV il passe beaucoup de temps à la salle de boxe où il a ses petites habitudes: «Il boit de la bière et il aime bien la Corona, comme un certain grand homme d’Etat par le passé », raconte Sébastien Tasserie, son adjoint aux sports, en référence à la boisson préféré de Jacques Chirac.

Il a une peur bleue du dentiste et il aurait aimé être chef d’orchestre. Ces trois détails « intimes » ont un seul point commun : c’est Edouard Philippe lui-même qui les a livrés dans un portrait chinois, publié en 2010, dans Le Point. « J’ai des peurs absurdes. Je suis effrayé à l’idée d’aller chez le dentiste. J’ai peur des requins. Du coup, je ne suis pas à l’aise quand je nage dans la mer », confesse-t-il par exemple. S’il était un personnage de roman, Edouard Philippe pense à « Cyrano de Bergerac, parce qu’il est le plus français des héros. Il a la manière, le courage, un amour du fond et de la forme ».

Toujours sur le plan culturel, le maire du Havre évoque sa passion de la musique, pour Bruce Springsteen, et du cinéma, pour Sean Connery: « un Ecossais formidablement classe. Il est beau jeune, vieux et dans tous ses films » et pour le film « Le Parrain », de Francis Ford Coppola: « Je l’ai vu au moins cinquante fois. C’est juste une tragédie parfaite en trois actes, merveilleusement interprétée et d’une beauté visuelle à couper le souffle ». Une autre réponse prend un sens singulier au regard du destin que l’on prête désormais à Edouard Philippe.

Un amour des mots

Dans cet article du Point, Édouard Philippe se laissait aller au jeu du portrait chinois. S’il devait choisir un métier pour se représenter il ajoutait: «je choisirais le métier de chef d’orchestre. Mais malheureusement, je n’avais pas le talent pour cela. J’ai débuté par le violon, mais je suis très vite passé aux percussions, plus adaptées à l’enfant hyperactif que j’étais ! », confiait-il. Peut-être vivra-t-il un peu de ce rêve de direction et de baguette à Matignon ?

Haut fonctionnaire, avocat, élu local en Seine-Maritime, Édouard Philippe a aussi coécrit plusieurs ouvrages, dont le succès « Dans l’ombre ». Gilles Boyer, directeur de campagne d’Alain Juppé lors de la primaire de 2016, qui a co-écrit deux romans avec lui, précise: «il a l’expérience et les épaules pour assumer la fonction de Premier Ministre ».  Un amour des mots qui provient sans nul doute de ses parents, tous deux professeurs de français. «Il était interdit d’abîmer les livres, le seul bien de luxe de la famille», se souvenait-il dans un portrait intimiste du Point.

Sa sœur est elle aussi devenue professeure de lettres. De quoi tisser des liens intellectuels avec le couple Macron qui a la littérature et le théâtre au cœur. Maintenant, l’heure est à la réflexion et à la composition discrète de l’équipe gouvernementale. Les bruits de couloirs circulent, les indiscrétions et les noms se répètent avec insistance. L’enjeu pour ce prochain gouvernement est de taille: représenter la modernité et le renouveau, dépasser les frontières partisanes traditionnelles et présenter une équipe capable de séduire l’électorat pour les prochaines législatives.


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