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Claude Lelouch, itinéraire d’un génie français

À 86 ans, il reste ce passionné de cinéma qui n’a aucune envie de prendre sa retraite. Nous l’avons rencontré dans ses bureaux du Club 13, tout près de l’Arc de Triomphe, où il nous a parlé de son nouveau projet musical « Ciné Spectacle Symphonique », de son prochain film, de sa carrière, de sa complicité avec Francis Lai et d’autres sujets. Une légende du 7ème art qui a attiré des millions de Français dans les salles, mais qui se considère toujours comme un amateur. Un homme libre à qui on n’a jamais rien imposé.

Le réalisateur Claude Lelouch (Eliot Blondet/ABACAPRESS.COM)

Comment vous est venue l’idée de ce spectacle « Ciné Spectacle Symphonique » ?

Claude Lelouch : On est venu me proposer ce projet que j’ai trouvé tout de suite formidable, à savoir de revisiter mes 50 films à travers la musique et les bandes originales, interprétées par un grand orchestre symphonique. Même si sur le moment, j’ai eu un peu peur car je ne suis pas un artiste de variétés (rires)… Tous mes longs métrages ont toujours été très musicaux, la musique joue un rôleimportant non seulement dans ma vie mais aussi dans mes films, car j’enregistre toujours la bande originale avant. J’ai le sentiment que la musique parle à ce qu’il y a de meilleur en nous. C’est mon médicament, j’en ai besoin pour vivre, j’aime toutes les musiques, avec sans doute une préférence pour le jazz qui correspond plus à ma façon de filmer. La musique a des vertus que j’utilise au maximum.

Est-ce que les gens qui ne sont pas spécialement des fans de vos films pourront apprécier le « Ciné Spectacle Symphonique » ?

Bien sûr, je pense que la musique pourra peut-être leur donner envie de voir mes films. Récemment, un jeune de 16 ans m’a demandé un selfie dans la rue et je lui ai dit s’il avait vu un de mes longs métrages. Et il m’a répondu : « Mes parents m’ont forcé à en regarder et depuis, c’est moi qui force mes copains ! » (rires). Vous savez, j’ai le sentiment de n’avoir fait qu’un seul film avec des personnages normaux qui ne sont ni des super héros ou des super salauds. L’homme parfait n’existe pas ! Si mes films ont rencontré à un moment donné le public, c’est parce que j’ai toujours demandé à mes acteurs comme Annie Girardot, Jean-Paul Belmondo, Jean-Louis Trintignant, Lino Ventura ou dernièrement Kad Merad, qui est la vedette de mon prochain film « Finalement », d’être des personnes crédibles, des gens de la rue. Je n’ai jamais adapté de livres, à part une fois « Les Misérables », ni de pièces de théâtre, tout vient de mes observations, de ma curiosité, de ce que j’entends…

Vous avez commencé en réalisant les premiers scopitones (les clips-vidéos dans les années 1960) de nombreuses vedettes de la chanson. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

C’était la plus belle période de ma vie, je ne me suis jamais autant amusé. Je tournais pour les plus grandes stars de l’époque comme Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Claude François, Sheila, Claude Nougaro, Jacques Brel, Dalida ou Françoise Hardy. C’était une époque insouciante, joyeuse et j’ai tout de suite compris que la musique jouerait un rôle essentiel dans mes films. La musique donne la chair de poule qui est un sentiment fantastique alors que le scénario et les dialogues vous font rire ou pleurer.

Est-ce que cette époque était plus facile qu’aujourd’hui ?

Non, au contraire, aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile ! Avec un téléphone portable, on peut faire un film maintenant. Dans les années 1960, il fallait se remuer les fesses pour donner naissance à un long métrage. Je connais plein de cinéastes amateurs qui font des films avec 3 000 euros. Ce qui est formidable dans le cinéma, c’est qu’on peut faire des films de riches et des films de pauvres. Moi, ce sont mes films de pauvres qui ont le plus rapporté d’argent (rires).

Est-ce que si vous n’aviez pas connu Francis Lai, votre ami et votre principal compositeur disparu en 2018, et à qui on doit, entre autres, la célèbre musique d’« Un homme et une femme », votre carrière de cinéaste aurait été différente ?

Sûrement. Avec Francis Lai, on a fait 35 films ensemble, ce n’est pas rien. C’est Pierre Barouh (le parolier d’« Un homme et une femme » et d’autres chansons, décédé en 2016, qui état aussi chanteur et scénariste) qui me l’avait présenté en me disant : « Il fait de la musique comme tu fais tes films, tu devrais le rencontrer. » Et Pierre Barouh avait raison : avec Francis Lai, cela a été un vrai coup de foudre. Et si Francis Lai était encore avec nous, notre collaboration se poursuivrait… Je vais vous raconter une anecdote. Quand j’ai connu Francis, il habitait dans une toute petite loge au rez-de-chaussée d’un vieil immeuble. Pour la fameuse musique d’« Un homme et une femme », je lui avais demandé quelque chose d’à la fois simple et qui nous transporte, qui nous émeut. Pour ne pas faire de bruit, on s’était mis sous une couverture dans son lit, avec son accordéon, et il a commencé à jouer la mélodie. Et je lui conseillais telle ou telle note, c’était magique…

Mais vous n’avez jamais tourné de véritables comédies musicales ?

Mes films sont tous très musicaux. La comédie musicale, c’est génial, ça coûte beaucoup d’argent et les Américains ont parfaitement réussi dans ce registre. J’approche la comédie musicale comme avec « Les uns et les autres » ou mon prochain film, qui s’apparentera à un opéra. On a mis le paquet avec Ibrahim Maalouf qui a composé une bande originale magnifique et Didier Barbelivien pour les paroles. Mais la comédie musicale, c’est un genre où on fait des numéros musicaux, sans aucun prétexte. Dans mes films, quand les gens chantent ou dansent, c’est qu’il y a une raison.

Comment jugez-vous le cinéma français d’aujourd’hui ?

Il va bien, il se porte bien, d’abord grâce aux aides et au système d’avance sur recettes. On est le pays qui a inventé le cinéma donc nous avons une mission, c’est aussi un art tout, qui a tout l’avenir devant lui, avec toutes les nouvelles technologies en plus. Et il y a beaucoup de cinéastes qui ont plein de talent et que j’admire comme Xavier Giannoli, Albert Dupontel, Stéphane Brizé, Nicolas Bedos et aussi d’autres…Je crois au cinéma comme d’autres croient en Dieu : je pense qu’un jour, un film sera tellement beau et tellement réussi qu’en 2 heures, il pourra peut-être changer beaucoup de choses. Et je reste un cinéphile passionné puisque je regarde 1 film par jour. J’ai la chance d’avoir une salle de projection au Club 13, donc dès que j’ai 2 heures devant moi, je vois un film.

Vous pouvez-nous en dire un peu plus sur votre 51ème film qui s’appellera « Finalement » ?

Ce sera un film en 2 parties avec Kad Merad, Michel Boujenah, Elsa Zylberstein, Sandrine Bonnaire, Clémentine Célarié et Françoise Fabian. Kad Merad campe le fils de Lino Ventura et Françoise Fabian qui étaient ensemble dans « La bonne année ». D’ailleurs, je peux vous le dévoiler : ce sera la suite de « La bonne année » et de « L’aventure, c’est l’aventure ».

L’histoire parlera d’aujourd’hui, de ce monde fou dans lequel nous vivons, qui peut aller vers la fin du monde ou un nouveau monde. Cela dépendra de ceux qu’on aura au pouvoir. On est dans une période charnière, avec autant d’outils formidables que destructeurs. Avec « Finalement », je veux aussi rendre hommage à la France, mon pays que j’aime et qui m’a donné toute la liberté depuis 86 ans.

Vous êtes l’un des rares réalisateurs à tenir la caméra quand vous tournez. Pourquoi ?

Vous imaginez un peintre à qui on tiendrait le pinceau ? C’est ma façon de peindre, je suis un cinéaste amateur, je ne suis pas un cinéaste professionnel, je fais ça pour le plaisir. Pour moi, le cinéma, ce n’est pas une industrie, je ne fais pas de films de commande. Je dirige tout de A à Z en m’entourant de nombreux talents, on ne m’a jamais rien imposé. Voilà pourquoi je ne fais pas de séries pour la télé, c’est trop fastidieux, presque de l’esclavagisme et je respecte ceux qui le font. Être derrière la caméra, c’est la meilleure place quand on réalise, sinon je serai mal placé (rires).

Quel est le pire souvenir de votre vie ?

C’est la mort de mon père. Un homme que j’admirais et à qui je dois cette joie de vivre, ce côté positif, je lui dois tout. Pour le reste, comme les échecs professionnels ou les séparations amoureuses, j’ai fait avec, je me suis accommodé.

Est-ce qu’il y a des acteurs avec lesquels vus regrettez de ne pas avoir tourné ?

Je devais tourner avec Jean Gabin pour « Le chat et la souris », mais il est mort. Je voulais reconstituer le duo Michèle Morgan-Jean Gabin de « Quai des brumes » et c’est donc Serge Reggiani qui l’a remplacé. J’avais aussi rencontré Louis de Funès, cela m’aurait bien amusé de travailler avec lui, mais en même temps, cela aurait été du de Funès, il était tellement omniprésent, il fallait se mettre à sa disposition. Et puis, il y avait Patrick Dewaere avec qui j’allais tourner « Édith et Marcel » en 1982, on avait tout préparé et il s’est suicidé. On déjeunait ensemble 1 heure avant au Club 13 et il est parti se donner la mort chez lui dans le 14ème arrondissement. Cela restera l’un des moments les plus compliqués de ma vie parce qu’on se demande pourquoi, ça fait partie des périodes difficiles que j’ai traversées.

Quels sont vos rapports avec la presse, car cela a toujours été tendu entre vous et les critiques de cinéma ?

Le problème, c’est que la presse ne comprend pas, ou pas toujours, les films d’amateurs. Je vous le répète, je suis un cinéaste amateur, je fais des films par amour, je ne fais rien à la commande. Quand vous me demandez s’il pourrait y avoir un autre Lelouch travaillant à ma façon, je vous réponds que oui, à condition de le vouloir et d’en assumer les risques aussi. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes cinéastes veulent un fauteuil avec leurs noms, une grue, des grosses caméras. Moi, je suis très heureux de réaliser avec une petite caméra ou avec un téléphone portable…

Des nouveaux films, le spectacle « Ciné Spectacle Symphonique », une école de cinéma à Beaune et un futur ciné-bistrot à Trouville qui ouvrira en 2025 : vous ne connaissez pas du tout le mot retraite ?

À un moment donné, on va me dire stop car, vu mon âge, les statistiques ne sont pas de mon côté ! (rires) Mais tant que je peux m’amuser, je m’amuse. Je ne peux pas rester en place, je dois toujours avoir des projets. Vous me mettez en vacances, je me suicide ! (rires). Je m’amuse trop à faire des choses et j’espère que cela continuera encore longtemps.

Propos recueillis par René CHICHE

« Ciné Spectacle Symphonique ».
En novembre : le 2 au Zénith de Rouen, le 3 aux Docks du Havre, le 10 au Zénith de Caen, le 11 à la Barroise de Bar-le-Duc, le 15 à la salle Pleyel de Paris. En décembre : le 3 au Zénith de Lille.


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