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Une France souveraine et indépendante, réalité ou illusion ?

Entreprendre - Une France souveraine et indépendante, réalité ou illusion ?

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

La France souveraine et indépendante, nombreux sont ceux qui en parlent sur le ton du regret. La France n’est plus ce qu’elle a été, cette Nation phare de l’Europe et du Monde dans les siècles passés. Sans « réécrire » l’histoire, et sans regarder dans le rétroviseur, rappelons sans arrogance ni dédain quelques évènements qui illustrent cette France puissante et rayonnante.

Pour ne pas remonter trop le fil de l’Histoire de France, nous pouvons évoquer Louis XIV, le monarque absolu, la figure mythique du Roi de France à la longévité exceptionnelle pour l’époque, mais figure de l’Ancien Régime, qui a utilisé les ressources du pays à sa propre gloire, à sa propre mise sur un piédestal, et qui, s’il nous a laissé nombre de palais et de bâtiments d’État, témoignages de la grandeur de son règne, a accablé le peuple de taxes et de corvées. Sans parler des guerres qui ont saigné la masse populaire des campagnes.

Louis XIV régnait en despote sur l’Europe et la culture française était « le nec plus ultra » pour les cours et arrière-cours de l’époque. C’est son descendant, Louis le seizième, qui assumera la responsabilité de siècles d’autocratie et terminera son règne sous la lame « froide » de « l’invention » du célèbre Guillotin. Pour de prétendus équilibres républicains, les « bourgeois » de l’époque, au nom de « l’égalité » des citoyens, ont décidé en toute impunité de « décapiter » ceux qui représentait le pouvoir. Ce pouvoir que « cette caste bourgeoise » s’est arrogé au détriment du « Peuple », une fois de plus, « dindon de la farce ». La volonté d’indépendance et d’équité n’est qu’un leurre, chaque « révolution » enfante un nouveau régime, une nouvelle « aristocratie » qui rassemble tous les pouvoirs entre les mains de quelques-uns. En fait, rien ne change, et la France n’assume toujours pas le régicide de 1793.

Nous devons bien-sûr évoquer Napoléon 1er qui a donné à la France sa structure administrative et son corpus juridique d’origine, code civil et code pénal, et tant d’autres textes. Le créateur de la France moderne a néanmoins mis le pays à genoux dans la conduite des conflits qui l’ont opposé à l’Europe entière pour satisfaire ses propres ambitions et accroître la superficie de son empire. Une grande partie de l’Europe a été conquise, le droit français appliqué par des souverains choisis dans la famille Bonaparte et parmi les proches de l’Empereur. Napoléon 1er régnait de façon tout aussi personnelle sur une Europe encore plus étendue que sous l’ancien régime, et il a contribué à la structuration administrative et juridique des pays sous influence française.

Mais l’homme auquel on fait aujourd’hui référence, quand on évoque l’idée d’une France souveraine et indépendante, c’est le général de Gaulle, ce héros de la France Libre qui a dit non à la collaboration avec l’occupant nazi et a contribué à faire admettre la France dans le clan des alliés qui ont libéré le pays et mis fin à la seconde guerre mondiale. Écarté de la vie publique à la Libération, c’est par son discours de Bayeux en 1946, véritable introduction à la Constitution du 4 octobre 1958, que Charles de Gaulle a défini les principes qui allaient fonder les valeurs de la 5ème République, son retour aux affaires en mai 1958 et l’adoption d’une nouvelle Constitution par un référendum du 4 octobre 1958.

Investi en 1958, puis élu au suffrage universel en 1965, le général de Gaulle a été le 1er chef de l’État de la 5ème République, et son action a sans cesse été fondée sur sa volonté de souveraineté nationale.

Les exemples en sont nombreux, en matière de positionnement de la France vis-à-vis de des pays étrangers, notamment des USA, et en matière de politique de défense avec la dissuasion nucléaire. L’indépendance a également été affirmée par le développement du nucléaire civil, car à l’époque déjà, l’exécutif estimait dangereux le seul recours au pétrole et au gaz venu d’ailleurs, même si ses principaux fournisseurs étaient encore pour quelques années des colonies ou d’anciennes colonies. La France a également assis son indépendance sur une politique active dans les domaines industriels, économiques et financiers.

Le général de Gaulle puisait dans son éthique personnelle et une honnêteté scrupuleuse, l’exigence fondamentale et les valeurs qui fondent une grande nation. Autrement dit, le régime politique de la 5ème République, même s’il a pu être qualifié par certains de « coup d’état permanent », ne pouvait exister que dans l’association entre des institutions de qualité et une personnalité hors du commun. Qui plus est, cet équilibre entre un président fort de son élection, un gouvernement nommé par lui et responsable devant le parlement et une assemblée nationale élue au suffrage universel, tenait aussi à une époque sur laquelle, après le départ du général de Gaulle, des décennies sont passées, que des technologies nouvelles ont été développées et que le monde est devenu une sorte de petit village à la fois resserré et éparpillé.

Et aujourd’hui ?

La souveraineté définit le rapport d’un État indépendant des autres, politiquement, administrativement, judiciairement. Et en usant de bien des précautions, on peut affirmer que la France est effectivement souveraine.

Mais elle n’est sans doute pas totalement indépendante. Car si, politiquement, elle n’a pas à rendre compte à quiconque de ses actes, elle est malgré tout liée, tant sur le point juridique, puisqu’elle fait partie de l’UE, que sur le plan économique, car elle ne peut pas assumer la satisfaction de l’ensemble de ses besoins sur ses seules ressources.

Aujourd’hui, malheureusement la politique prête souvent à rire, et on ne compte plus ceux qui, de tous bords (et j’entends par là le mot au sens étymologique de « frontières ») et qui défendant donc des projets parfois bien éloignés des principes démocratiques, en appeler à l’héritage gaullien et aux valeurs de la France des Trente Glorieuses, et évoquer la force de notre pays d’avant 1970. C’est assez amusant, au demeurant, de voir toutes ces « élites », toute cette nouvelle aristocratie sans scrupules, et dont certaines n’étaient d’ailleurs pas nées à l’époque, appeler de leurs vœux le retour à une grandeur passée.

Dans un article récent, j’ai justement fait état de la faillite des élites, mais j’ai également proposé diverses pistes pour une relance de l’activité, afin de sortir de toutes les crises qui nous frappent. Et aujourd’hui, en évoquant la question de la souveraineté et de l’indépendance de la France, je suis amené à dire que ce sont les deux principes qui doivent porter notre action pour réussir le combat pour la relance de notre Nation. On serait tenté de dire qu’il s’agit d’un objectif impossible à atteindre, pour des raisons qui tiennent à l’organisation du monde, mais aussi à la qualité des dirigeants.

Il faut néanmoins continuer à se battre, à la fois dans les faits par l’action, et dans les idées pour faire évoluer les mentalités, pour « espérer » retrouver, au moins en partie, ces rêves, ces espoirs démocratiques que nous avons vus devenir des illusions, quand nous les avons perdues, abandonnées voire vendues ! Car, en réalité, si l’on continue comme ça en acceptant ce niveau exécrable de la vie politique, on peut affirmer que la Nation va tout droit à la catastrophe, ou qu’elle cultive les germes d’une nouvelle révolution !

Il suffit pour s’en persuader d’observer (avec neutralité) l’actuel contexte politique, celui qui est né d’une élection au rabais, puis d’un scrutin législatif marqué par un taux d’abstention record, l’absence de majorité de gouvernement, preuve à tout le moins du désarroi et du manque de confiance des Français dans la classe politique.

Depuis le début de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale, quand on n’assiste pas à des échanges d’invectives et d’injures, de passe d’armes guignolesques de pseudos orateurs extrémistes, qui finissent généralement autour d’une bonne table à proximité de l’arène sur le compte de l’argent des contribuables, les premiers débats, je devrais plutôt parler des tractations menées entre les partis dans l’espoir d’aboutir à la marge à de vagues compromis, n’augure rien de bon pour l’avenir d’un peuple qui va subir de plein fouet les effets de l’inflation. Il conviendrait d’ailleurs plutôt de parler de la dévaluation de la monnaie qui ne dit pas son nom et contribue à renchérir la vie quotidienne des Français. Lorsque les Gilets jaunes manifestaient contre le projet de réforme de la retraite et contre le prix élevé des carburants, ces derniers se situaient aux alentours de 1,40 euros le litre. Les pompes affichent désormais des prix compris entre 2 euros et 2,30 euros le litre, et le gouvernement envisage de faire un effort simplement fiscal pour les « gros rouleurs », laissant ainsi de côté une frange importante de la population, ruraux et retraités, qui ne disposent pas de moyens financiers et n’ont pas d’autres solutions que d’utiliser leur véhicule pour les déplacements de la vie quotidienne. Je doute que le « peuple » se satisfasse longtemps de ces atermoiements.

D’autant qu’au-delà de la question du prix des carburants pour les automobiles, il y a aussi celle du prix de l’énergie nécessaire pour chauffer les habitations. Même si le sujet semble dérisoire quand le pays est accablé par une canicule sans précédent et que des incendies épouvantables ravagent des hectares de nature sauvage, dès la rentrée d’automne, le coût du chauffage redeviendra une préoccupation quasi générale, et pas seulement pour les particuliers, mais également pour les entreprises et les administrations, à commencer par les établissements scolaires que l’on sait mal construits, donc mal isolés et forcément mal chauffés. Pour toutes ces questions, la France n’est pas indépendante, ce qui signifie qu’elle ne dispose pas d’une souveraineté totale sur son territoire. Certes, notre Nation n’est pas régentée par une autorité autre que la nôtre, mais son indépendance est toute pour les raisons suivantes :

La France ne dispose pas d’une totale indépendance énergétique, elle est tributaire de ses fournisseurs et doit sécuriser ses approvisionnements (pétrole ou gaz). Mais, même dans ce qui est le fleuron de notre technologie, l’industrie nucléaire (civile comme militaire), elle doit pouvoir se procureur de l’uranium. Il en est d’ailleurs de même pour les métaux lourds ou rares dont la possession est indispensable au développement des piles et des batteries.

En apparence, la France dispose de son indépendance monétaire. Mais ce n’est plus tout à fait le cas depuis le 1er janvier 2002 quand notre pays, avec 12 autres membres de l’UE, a choisi de changer ses francs en euros. Désormais, elle est contrainte par les règles de la monnaie européenne édictées par la Banque Centrale Européenne (BCE). Intervient ensuite l’impact des fluctuations de l’euro par rapport à la monnaie américaine considérée comme le seul « étalon » au niveau mondial. Ainsi, en 2002, le rapport était-il de 1,20 euro pour 1 dollar. Ces derniers jours, le rapport est à la parité, gros avantages pour les Américains qui visitent la France, mais en revanche, faiblesse accrue de la monnaie européenne, ce qui ne fait qu’alourdir la facture énergétique, notamment pour les automobilistes français.

La France du général de Gaulle était indépendante économiquement. Si elle ne l’était pas totalement, car elle commerçait déjà avec de nombreux pays du monde et qu’elle devait compter sur les importations d’énergie, elle l’était néanmoins en grande partie. Et il suffit de rappeler les réussites industrielles françaises des années 60/70, comme la création de puissantes infrastructures nationales (ports, aéroports, autoroutes), l’évolution qualitative de la sidérurgie, la puissance de l’industrie textile dans le Nord, le développement du ferroviaire (les locomotives électriques BB 9200 ou BB 9004 battant le record de 331 km/h) ou de l’aéronautique (Caravelle), et certains projets phares qui ont été initiés et conçus durant ces années-là avant de connaître le succès dans la décennie suivante (sous-marin d’attaque nucléaire, TGV ou Concorde par exemple).

La question de la souveraineté numérique

Le monde moderne a changé la donne. Il s’agit là d’un point essentiel de la remise en question de la souveraineté nationale dont l’origine tient à l’évolution technologique de la société. Depuis les années 2000, les États font face aux GAFAMA, ces entreprises qui ont inventé l’économie digitale et disposent d’un le pouvoir absolu (ou presque) du fait du nombre de leurs clients et des budgets qu’ils gèrent. Le pouvoir de ces entreprises mondiales concurrence celui des États et affecte la liberté de penser et de décider des individus, généralement manipulés par le pouvoir des réseaux sociaux, le travail des influenceurs et la vitesse de diffusion des informations, qu’elles soient fausses ou exactes. C’est ce que l’on appelle la « souveraineté numérique ». Les GAFAMA règnent sur l’espace numérique, ils décident de ce qu’ils publient, de ce qu’ils suppriment parmi les contenus diffusés, ils n’hésitent à vendre les données personnelles de leurs adhérents/clients/abonnés.

Selon certains chercheurs, le Web « est l’une des rares créations de l’homme qu’il ne comprend pas tout à fait […]. C’est la plus grande expérience d’anarchie de l’histoire […], à la fois source de bienfaits considérables et de maux potentiellement terrifiants, dont nous ne commençons qu’à peine à mesurer les effets sur le théâtre mondial ». Aujourd’hui que les activités humaines sont de plus en plus régies par les technologies digitales, les États sont confrontés aux multinationales qui entendent régner sans partage. La question de la souveraineté numérique pourrait faire l’objet d’un article entier. Car il s’agit pour les États de préserver ou de reconquérir une part de leur pouvoir perdu dans ces espaces justement conçus pour échapper à l’emprise étatique, à la fiscalité et aux lois d’un État.

Nos sociétés deviennent donc dépendantes de la technologie et des entreprises qui les contrôlent (réseaux et plateformes, télécommunications, information, santé, commerce, justice, sécurité, armée…), une tendance qui ne fait que se développer en même temps que de nouveaux algorithmes, la sophistication des objets connectés, de la robotique, la réalité innovante et troublante de l’intelligence artificielle. Les États se retrouvent donc à la fois contestés et concurrencés dans l’exercice de leurs prérogatives classiques attachées à la souveraineté.

La perte de la souveraineté nationale

Depuis les années 80, progressivement, sous l’impulsion de dirigeants moins ancrés dans leurs convictions démocratiques et dont le sens moral a malheureusement été illustré par des faits divers peu valorisants, la France a progressivement perdu sa souveraineté, par petites touches, par des actes apparemment anodins, mais elle y a perdu son indépendance et son âme.

On peut certes attribuer cette régression de la prééminence française à l’évolution du monde. En un peu plus de 50 ans depuis que Charles de Gaulle a quitté le pouvoir, le monde a changé. Ce qui était vrai dans les années 60/70 ne peut plus l’être.

La mondialisation a rendu les États interdépendants, notamment avec la construction de l’Europe. Si le 1er président de la 5ème République a œuvré pour le rapprochement franco-allemand parce qu’il avait compris qu’il fallait tout faire pour mettre fin à des siècles de luttes fratricides entre des peuples riverains du Rhin, il était plus que circonspect sur l’idée européenne, sans parler de la défiance qu’il entretenait vis-à-vis de la Grande Bretagne.

Néanmoins, l’interdépendance contrainte par la mondialisation aurait dû être l’objet de plus de vigilance et notamment en évitant de se départir des fleurons de notre économie. Les dirigeants d’entreprises, comme les dirigeants politiques, ont favorisé la satisfaction à court terme de profits, en abandonnant des pans entiers de nos savoir-faire à des pays proposant des prix attractifs du fait du coût extrêmement bas de leur main d’œuvre. Et personne, dans les milieux décisionnels ne s’est préoccupé des conditions, parfois infâmes, dans lesquelles les travailleurs, très souvent « mineurs » étaient employés, et rémunérés dans des pays lointains. De la même façon que les décideurs, appâtés par un profit immédiat, n’ont cherché à avoir une vision sur le long terme et ne se sont intéressés au fait qu’un jour (auquel on est aujourd’hui arrivé), les frais de transport en perpétuelle hausse rendraient ces délocalisations sans intérêt (financier). On ne manque pas d’exemples récents d’entreprises qui rapatrient depuis peu leurs productions dans l’hexagone.

L’autre raison est dans ce que j’ai déjà appelé la « faillite des élites » ! Quand on imagine que de bonnes études font le bon gestionnaire, on a bien des chances de se tromper ! La preuve en est de la faillite du système de formation des cadres de ce pays, et tout particulièrement de la formation purement administrative prodiguée par l’Ecole Nationale de l’Administration (ENA) et des filières qualifiées de « pantouflage » par les hauts fonctionnaires eux-mêmes. Gérer les affaires de l’État demande des valeurs morales inflexibles. Aller ensuite les mettre au service d’entreprises privées ou semi-privées me paraît être incompatible avec la morale républicaine. Un tel comportement ouvre la voie à toutes dérives. La première d’entre elles est de confondre les intérêts privés avec les intérêts de la Nation. Dans le flou juridique des différents statuts, on ouvre la voie aux lobbyings intéressés et on place à la tête d’entreprises importantes des dirigeants qui n’engagent pas un centime de leurs propres biens dans l’activité qu’ils « gèrent ». Dans de telles conditions, on peut craindre que les hauts fonctionnaires concernés ne possèdent pas l’acuité particulière et nécessaire de l’entrepreneur qui sait prendre des risques en investissant ses capitaux personnels. Pire, me semble-t-il, est le niveau de rémunération qui est généralement octroyé à de tels cadres quel que soit la réussite ou l’échec qu’ils rencontrent dans leur entreprise !

Pour en rester au domaine purement politique et à l’évolution régressive de la souveraineté française, il faut noter qu’au cours des dernières décennies, la France a été vendue par petits bouts, un peu comme on vend de l’immobilier à la découpe. Nos dirigeants, État, Départements, communes, en mal de budgets pour financer leurs projets ou leurs erreurs, après avoir taxé de plus en plus fortement les contribuables, en poussant le taux d’imposition des classes moyennes à des hauteurs excessivement captatrices, ont trouvé ce moyen inique pour se procurer des liquidités : vendre le patrimoine culturel. À titre d’exemple, la politique immobilière menée dans des communes comme Paris a contribué à transformer la capitale en musée et en une cité de bureaux, chassant ainsi ses habitants historiques des classes populaires vers des banlieues parfois éloignées.

Ce sont les investisseurs étrangers (dont on ne connait pas toujours l’origine des fonds) qui ont désormais accaparé les plus beaux immeubles parisiens, les grands hôtels, les bâtiments historiques, voire les clubs de football, et désormais la province connait le même phénomène, de grandes propriétés, notamment viticoles, passant aux mains des Américains, des Chinois, des Qataris et même des Oligarques russes comme on a pu le découvrir très récemment.

La France du Général de Gaulle était respectueuse des valeurs culturelles du pays. Et même plus, l’exécutif considérait un certain nombre de missions comme étant du domaine régalien, l’énergie, les routes, les transports, la santé, etc. Aujourd’hui (par quel hasard provoqué par la crise et par la guerre en Ukraine ?) le gouvernement, par la voix de sa 1ère Ministre, envisage de renationaliser EDF. Il n’aurait jamais fallu privatiser cette entreprise, comme d’ailleurs GDF, la Poste, la RATP, la SNCF, etc. Il s’agissait d’entreprises fondamentales pour le service public à rendre aux Français.

En réalité, le système politique démocratique de la 5ème République ne peut plus fonctionner si les dirigeants, comme on a pu et comme on peut le voir encore, se sentent plus concernés par leurs intérêts privés, et ceux de leurs soutiens financiers, que par l’intérêt public. L’engagement politique qui nécessitait une morale et des principes fermes est devenu un métier qui n’est pas comme un autre ! C’est un métier où, sans aucune réelle formation au travail, on peut faire carrière en dépit des échecs que l’on rencontre. On sait que la Révolution française a été le moyen de remplacer l’aristocratie nobiliaire de l’ancien régime par l’aristocratie des bourgeois commerçants.

Après la seconde guerre mondiale, on aurait dû comprendre la nécessité de rebâtir une société juste et égalitaire, mais on a mis en place une société dirigée et bridée par une caste administrative, une nouvelle aristocratie qui accapare l’argent public et les pouvoirs locaux, avec le soutien des plus riches fortunes du globe desquelles ils sont des débiteurs obligés. Aujourd’hui, oui, les élites ont failli, et il faut malheureusement faire un double constat : la crise actuelle qui s’est développée dès l’apparition du COVID, la hausse des prix de l’énergie puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, nécessite une refonte de la démocratie dans notre pays. Elle impose également des réformes de fond.

La crise actuelle nécessite une refondation de sa démocratie

Le constat du vide abyssal de la politique se manifeste lors des élections. La France se doit donc de modifier un système électoral qui ne représente plus la réalité populaire et on en voit les limites dans le constat du taux d’abstention, preuve ultime du désamour des citoyens pour la politique et de leur absolu manque de confiance envers ceux qu’on leur propose d’élire.

La France doit se donner de nouvelles élites, et pour cela, elle doit entendre que l’ENA n’est pas la seule source pour former des responsables entreprenants. L’État n’a pas vocation à former de futurs cadres pour les entreprises privées qui sont dans un lien de partenariat avec lui. Il doit surtout interdire ce mélange des genres entre le pouvoir de décision politique et la satisfaction des intérêts économiques et financiers et pour cela, il faut correctement les payer avec un plan de carrière mais aussi une feuille de route, gérer un état, c’est gérer une entreprise.

Il convient aussi de limiter le nombre des agents occupants des fonctions publiques territoriales, le nombre des agents contractuels des cabinets ministériels et le nombre des agents sans qualification aucune qui émargent au budget des partis politiques et de ce fait vivent sur l’argent public sans effectuer de réelles tâches.

La France doit se réformer sur son entier territoire. Il faut cesser de tout voir à travers le prisme parisien, la ville étant presque devenue un territoire étranger, à cause de la spéculation dont elle a fait l’objet durant les trois dernières décennies. En outre, une vraie politique d’aménagement du territoire doit être mise en place, débattue et favorisée, autrement qu’en envoyant depuis Paris des subventions et des aides ponctuelles. Les vies rurales et provinciales doivent redevenir les centres névralgiques de la création de richesses d’une France qui doit promouvoir les métiers manuels, repenser son agriculture, valoriser les métiers des artisans.

Dans cet objectif, la France doit réformer son système de formation et cesser de mépriser les métiers créateurs de valeurs comme les métiers de l’artisanat, ceux de la ruralité, ceux de l’assistance aux plus démunis. De même, le pays doit retrouver cette couverture administrative qui a fait sa force, le déploiement des services de santé dans les territoires et la définition d’une vraie politique de décentralisation. On peut, à ce sujet, trouver des exemples instructifs, dans les pays démocratiques du Nord de l’Europe, mais aussi en Allemagne ou en Grande Bretagne.

La crise actuelle nécessite des réformes de fond

La France doit retrouver son indépendance énergétique. Comme je l’ai déjà expliqué, dans les années d’après-guerre, EDF/GDF ont été structurées comme des entreprises publiques qui, du fait de leur mission de service public, appliquaient une tarification au coût marginal. L’objectif n’était pas d’en faire des sources de profits pour des investisseurs astucieux, mais de rendre un service public, gage du mieux vivre collectif. Il faut donc travailler sur la renationalisation de la fourniture d’énergie. Au-delà, la crise actuelle et le réchauffement climatique que tout le monde constate doit nous inciter à isoler les logements qui ont été construits en dépit du bon sens depuis 70 ans. On commence à peine à le faire dans les programmes de construction récents du Grand Paris.

Par ailleurs, il faut tenir compte que depuis ces mêmes 70 années, on a incité les Français à acquérir des automobiles, et faute de transports en commun suffisamment dimensionnés (notamment en Ile-de-France) il n’y a pas d’autres moyens de se rendre à son travail. La problématique est aussi cruciale pour le bien vivre en province et en zone rurale. Si j’étais provocateur, je dirais : OK, on revient à la voiture à cheval ! Mais pour rester sérieux, il faut que le prix des carburants revienne à un montant qui soit supportable pour un citoyen ordinaire. L’État devra agir, soit sur la fiscalité, soit sur le développement des véhicules électriques, je ne dispose pas de la réponse ! Mais assurément, si le prix des carburants demeure à ce niveau, la population ne pourra pas le supporter. Il y a danger ! Il y a urgence !

La France était le jardin de l’Europe. Elle était autosuffisante au plan alimentaire. Elle doit retrouver cet état, quitte à revoir la politique agricole commune, quitte à cultiver les jachères ! La France doit mieux gérer son alimentation en eau potable et la gestion des réseaux. Avoir mis ce service public, tout aussi régalien que la gestion des énergies, entre les mains de groupes financiers, a été une erreur, comme je le disais, une façon de se dépouiller de ses propres richesses. L’Europe nous a imposé la mise en concurrence dans tous les domaines. On peut se demander où peut nous mener ce raisonnement purement jacobin bruxellois !

Pourquoi et comment gérer la mise en concurrence entre les compagnies ferroviaires, les compagnies de métro, la distribution de l’eau et l’entretien des réseaux. La question se pose aussi pour la gestion des autoroutes. Pour financer leur construction, l’État a eu recours à des partenariats public privé (PPP). A la suite de quoi, le partenaire privé dispose d’un droit de gestion, pendant un nombre limité d’années, ou « à vie » ! Résultat, les autoroutes sont un des plus gros jackpots pour investisseurs privés.

En fait, à énumérer tous ces domaines desquels l’État s’est désengagé, on peut faire trois constats : l’État s’est appauvri, certaines entreprises privées se sont enrichies, parfois à l’excès, et, au final, ce sont les contribuables et les usagers qui paient la note ! Mais ne jetons pas « le bébé avec l’eau du bain » ! Sans le concours entrepreneurial de grands capitaines d’industries comme Vincent Bolloré, Bernard Arnaud, Stéphane Courbit, Xavier Niel et bien d’autres, il n’y aurait bientôt plus d’avenir pour notre économie et pour notre objectif : retrouver au plus vite notre souveraineté nationale ! Alors, n’ayons pas de vague à l’âme ni de fierté mal placée, demandons à ces « grands patrons » de nous aider à retrouver notre liberté, les recettes qu’ils appliquent dans leurs entreprises respectives sont gagnantes, il n’y a pas de raison qu’elles ne le soient pas pour notre pays.

Bernard Chaussegros

Vous retrouverez la chronique hebdomadaire de Bernard Chaussegros à compter du 29 aout 2022


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