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Stéphan Français (Thomson Computing) : « Nos administrations doivent acheter français » 

Fondateur et Directeur Général de GROUP SFIT (Thomson Computing), Stéphan Français (52 ans) s’est mis en tête il y a quelques années de ressusciter l’ancienne marque iconique de l’industrie informatique française

Stephan Français, fondateur et Directeur Général de GROUP SFIT (Thomson Computing)

C’est un patron qui n’a pas froid aux yeux. Fondateur et Directeur Général de GROUP SFIT (Thomson Computing), Stéphan Français (52 ans) s’est mis en tête il y a quelques années de ressusciter l’ancienne marque iconique de l’industrie informatique française, qu’il a d’ailleurs prévu de moderniser en la rebaptisant METAVISIO (Thomson Computing).

Pari tenu pour cet adepte des sports de combat qui annonce un chiffre d’affaires 2021 record de plus de 60 millions d’euros en réalisant son introduction en Bourse sur Euronext. Diplômé d’un doctorat de Sciences politiques, cet entrepreneur émérite nous livre son analyse sans concession de la situation du pays à l’aube de l’élection présidentielle.

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Vous venez d’introduire GROUP SFIT (Thomson Computing) en Bourse. Que pouvez-vous dire à ce sujet alors que la levée de fonds est prévue pour avril 2022 ?

Stéphan Français : Nous avons souhaité faire cette cotation en deux temps. Tout d’abord sur le marché libre, Euronext Access+, le 6 décembre 2021, afin d’apprendre les mécanismes de la Bourse et pour répondre à la demande de certains investisseurs qui souhaitaient que nous soyons cotés dès 2021. Notre objectif est de sortir un très bon bilan 2021 à la mi-mars, puis d’opérer un transfert sur Euronext Growth au printemps, qui est un marché beaucoup plus dynamique, avec une levée de fonds d’environ 8 millions d’euros pour accompagner le développement de la société et être en mesure de mettre en place une stratégie internationale avec plus de moyens en equity.

Cela permettra également aux banques qui nous ont toujours accompagnés de continuer à nous soutenir de manière plus forte grâce à l’augmentation de nos capitaux propres.

Marc Deschamps, un proche de Bill Gates (Microsoft) vient de vous rejoindre. Quel est le sens de ce recrutement ?

S.F. : Marc Deschamps m’a rejoint en tant que président du conseil d’administration. Ancien président de Drake Star Partners, et membre du board d’Hyperloop (projet de train à très grande vitesse lancé par Elon Musk en 2013, ndlr), Marc Descamps est un personnage reconnu, admiré et respecté dans le monde de l’électronique et de la finance. Il m’aide sur de nombreuses décisions stratégiques, m’accompagne sur les levées de fonds et me conseille en matière de stratégie boursière. Canadien d’origine, son côté anglo-saxon a permis à la société Thomson Computing de prendre de l’envergure au niveau international.

Notre histoire est celle de la rencontre de deux hommes désireux de faire avancer la seule marque informatique européenne et mus par l’ambition d’un développement à l’international sur le continent africain, aux États-Unis et dans les pays émergents.

La crise sanitaire et les difficultés d’approvisionnement en Chine ont-elles modifié votre approche ?

remise en question et de changement. Contraints d’arrêter de produire nos ordinateurs sur nos chaînes d’assemblage en Chine durant les six premiers mois de 2020, nous avons dû trouver des solutions alternatives. À partir de juin 2020, nous avons donc commencé par relocaliser la production en signant pour un nouveau bâtiment et en recrutant une vingtaine de techniciens à Pontault-Combault en Seine-et-Marne. Nous souhaitions disposer d’un centre d’assemblage nous permettant d’être autonomes vis-à-vis de la Chine pour assembler certains types de machines et réinternaliser l’ensemble du service après-vente pour toute l’Europe.

Dès l’été 2020, nous avons bénéficié d’un élan de commandes émanant de toute l’Europe, et particulièrement de la France, qui nous a permis de quasiment doubler notre chiffre d’affaires en deux ans. Nous avons dépassé la barre des 60 millions de chiffre d’affaires en 2021. Un chiffre record, avec de très belles perspectives, notamment à l’international, puisque nous avons ouvert une quinzaine de pays. Nous sommes en train de développer l’Afrique, d’ouvrir l’Inde, qui représente un marché colossal de 1,45 milliards d’habitants, et nous avons gagné des parts de marché très significatives en France.

Durant quelques mois, nous avons réussi à occuper la place de leader sur les produits à moins de 500 euros ; nos concurrents ayant fait le choix de livrer les produits les plus chers en négligeant ces produits pour des raisons de rentabilité. Nous avons réussi une formidable croissance entre 2019 et 2021 et nous avons l’ambition de continuer sur un marché informatique où nous sommes la seule marque européenne. Thomson évolue en effet dans un univers informatique contrôlé par les Chinois, les Taïwanais et les Américains.

Comment la France peut-elle s’en sortir ?

S.F. : Aujourd’hui, nous sommes aux antipodes de ce qu’il faudrait faire. Si on ne positionne pas des créateurs de valeur au sein des gouvernements, je crains que la France sombre dans une situation cataclysmique, à l’image de celle qu’a connue la Grèce. Lorsqu’on ne peut plus emprunter et que le budget n’est pas tenu, les fonctionnaires seront les premiers à descendre dans la rue pour réclamer le paiement de leurs salaires, comme en Grèce où l’État allemand est venu au secours de l’État grec afin de permettre de nouveau emprunts. En échange, les Allemands ont récupéré une grande partie des sociétés grecques privées et publiques. Souhaite-t−on brader notre pays de cette façon ? Ou aspire-t-on à donner un avenir à nos enfants et à cette France qui a connu un passé si glorieux ?

Comment relancer la consommation et augmenter les salaires ?

S.F. : C’est une question essentielle que les politiques abordent mais sans apporter véritablement de solutions. Remettre la notion de travail et de mérite sur le devant de la scène est essentiel pour remédier à une situation d’assistanat constant. Nicolas Sarkozy est le dernier président à avoir valorisé ces paradigmes. Comment relancer la consommation ? En récréant une dynamique économique axée sur le travail et les résultats du travail produit. Si demain, on réussit à inverser la balance commerciale et que l’on génère 200 milliards de résultat comme les Allemands, le budget de la France sera tenu. Il sera alors possible de réduire les impôts et grâce à la baisse des retenues, les Français verront leur pouvoir d’achat augmenter et seront en mesure de consommer plus.

Par ailleurs, favoriser la méritocratie permettra aux personnes qui travaillent beaucoup de gagner plus et d’augmenter mécaniquement leur capacité d’achat. L’assistance doit être une période transitoire à laquelle doit succéder une période où l’on se met au travail. Aujourd’hui, les Français ne mettent pas assez de fierté dans le travail et l’État cultive très largement l’assistanat. Les discours doivent s’inverser pour que la consommation et les salaires puissent augmenter, il faut que les personnes en situation de dépendance n’aient pas envie d’y rester. La notion de méritocratie est névralgique et mérite d’être mise en exergue, il faut encourager la fierté de réussir à tous les niveaux, de bien faire son travail et de mériter son salaire.

L’administration française soutient-elle suffisamment le made in France ?

S.F. : C’est un sujet essentiel qui mériterait également d’être plus largement développé par les candidats. Le gouvernement, qui devrait être le premier à confier les marchés publics aux entreprises françaises, ne le fait pas car la France a signé des accords européens qui nous empêchent de promouvoir nos propres sociétés. Ces textes signés par tous les pays d’Europe ont été très fortement influencés par des lobbys américains qui peuvent capter sans difficulté tous les marchés publics des pays d’Europe. Dans le domaine de l’informatique, très peu de marchés publics sont confiés à des sociétés françaises. Les sociétés Dell, HP et Apple vampirisent la quasi-totalité des marchés, tandis que quelques acteurs chinois tirent parfois leur épingle du jeu en se positionnant.

J’estime qu’on devrait attribuer au moins 50 % des marchés publics aux sociétés françaises à capitaux français. Aujourd’hui, nous sommes contraints d’attribuer ces marchés à des méga sociétés mondiales qui transfèrent les bénéfices dégagés vers leurs pays d’origine. Les sociétés américaines font grossir la bulle américaine de l’économie pour régénérer de la monnaie et recréer de la dette. En Europe, nous n’avons toujours pas compris que si nous n’attribuons pas au moins 50 % des marchés publics européens aux Européens, nous ne pourrons pas prétendre à la prospérité dans ce domaine en Europe et à l’export.

En tant qu’entrepreneur, qu’attendez-vous des prochaines élections présidentielles ?

S.F. : J’attends du prochain président un programme clair pour que la France retrouve une croissance économique rentable avec une stratégie pour tenir son budget, associée à un arrêt immédiat de l’endettement croissant. Il s’agit de redevenir un pays de vendeur, en multipliant les coopérations avec les pays qui produisent au meilleur coût comme l’Asie, particulièrement la Chine pour l’électronique et l’Inde pour les services, tout en rajoutant la technologie et le marketing français sur les produits bruts. L’idée est de vendre aux Occidentaux avec une plus-value qui restera en France et qui nous permettra, comme l’Allemagne (+173 milliards d’euros en 2021, ndlr), qui fait travailler les pays limitrophes de l’Est, d’avoir une balance commerciale fortement positive.

Je suis favorable à un rapprochement économique avec la Chine. J’ai prouvé à travers Thomson qu’il était possible de vendre à travers le monde entier, mais il nous est impossible de le faire sans eux sur des grandes quantités à une échelle mondiale.

Quel candidat trouve grâce à vos yeux ?

S.F. : Macron a une éloquence rare. Il a traversé cinq ans très compliqués avec une envie de changer les choses pour redresser la France. Mais finalement, entre les Gilets jaunes et le Covid, il a creusé le déficit de la France. Les deux présidents qui l’ont précédé ont endetté la France de 100 milliards d’euros par an, alors que le gouvernement Macron a endetté la France de 190 milliards par an avant la pandémie et de 300 milliards durant la crise sanitaire. En l’espace de cinq ans, l’endettement général a doublé, et le premier budget de la France est donc aujourd’hui le remboursement de cette dette abyssale. Cette crise sanitaire historique a néanmoins été contrôlée par le gouvernement sans qu’il y ait d’effondrement. Il donc entendre le projet économique de notre président, en particulier sur l’inversion du déficit commercial, pour savoir où nous irons.

Valérie Pécresse est quant à elle une candidate courageuse. La présidente de la région Île-de-France a de nombreuses victoires à son actif et gère sa région de main de maître. Animée par la volonté de faire travailler les entreprises françaises, Valérie Pécresse s’est montrée d’une grande efficacité à travers son programme de relance industrielle. Elle a sans nul doute une stature de présidentiable et pourrait être la première femme présidente, mais il lui faudra s’entourer d’une équipe constituée d’énarques et de chefs d’entreprise de talent pour faire aboutir des résultats différents de ses prédécesseurs.

Zemmour est un candidat courageux. Il a le mérite de connaître les préoccupations des Français et de remettre le patriotisme au cœur du débat. Il a raison de s’attrister du devenir de la France au regard de son histoire glorieuse et de souhaiter réveiller les Français. Il devrait cependant parler davantage de solutions économiques et remettre la notion de mérite et de travail au cœur de sa campagne. Son discours est trop centré sur l’islamisme, alors qu’il doit rassembler les Français quelle que soit leur confession pour les faire adhérer à un projet commun autour de son thème de prédilection : le retour d’une France glorieuse, fière et talentueuse.

Marine Le Pen est en perte de vitesse et a annoncé qu’il s’agirait de sa dernière campagne présidentielle. Sa filiation avec Jean-Marie Le Pen est trop lourde à porter. ll semble peu probable que le Rassemblement National survive à son départ, sauf si Marion Maréchal en reprend la succession. À voir sur les semaines à venir.

Excellent orateur, Mélenchon est un candidat particulièrement dangereux. Le chef de l’Union populaire développe des idées rétrogrades et ne cesse, pour gagner des voix, de proposer des dépenses non finançables qui ruineraient le pays. Je ne l’ai jamais entendu prononcer les mots de mérite ou de travail. Mélenchon ne parle que de redistribution, invitant à prendre aux uns pour donner aux autres. Selon sa logique, plus on travaille, plus on doit être taxé…

Entend-on suffisamment la voix des entrepreneurs dans cette campagne ?

S.F. : Les chefs d’entreprise ne sont pas suffisamment entendus des médias et des politiques. La France doit donner une place aux chefs d’entreprise qui ont su prouver qu’ils pouvaient obtenir des résultats. Diriger une société ou un État n’est pas si différent. Il n’est pas question de créer un gouvernement composé exclusivement de chefs d’entreprises, mais de mixer les énarques avec de vrais chefs d’entreprises qui se sont faits eux-mêmes : Pinault, Mulliez, Bolloré ou Niel. Ces ténors de l’économie ont créé des empires en s’appuyant sur un véritable savoir-faire et ont permis à leurs équipes de réussir dans la durée. Il faudrait qu’un tiers des ministères soient occupés par des chefs d’entreprise volontaires afin de mettre de nouveau la France en position de tenir son budget et d’avoir une politique économique tournée vers le succès et non vers l’emprunt.

La France mise tout sur ses fonctionnaires qui sont aux antipodes de la réalité française et économique. Aujourd’hui, le PIB est ce qui permet aux gouvernements d’emprunter, mais la question est de savoir comment produire plus de PIB. L’absence de chefs d’entreprise au gouvernement prive l’État d’un savoir−faire éprouvé et contraint à la reproduction d’un schéma à l’identique qui conduit le pays à sa perte. Il faut redonner un élan économique à la France. Cela ne peut passer que par une stratégie de vente à l’export. Devant le marasme de la situation de notre balance commerciale, seule une réinversion complète peut être salvatrice. De toute évidence, la cohorte d’énarques fonctionnaires au pouvoir n’est pas en mesure de mettre en place des politiques qui permettront au pays d’inverser la tendance et d’avancer.

Les entrepreneurs sont-ils plus compétents que les autres ?

S.F. : En tant qu’entrepreneur, nous n’avons pas d’échappatoire : nous devons nous battre chaque jour pour obtenir des résultats, être inventifs, avancer et surtout avoir des schémas novateurs pour conquérir de nouvelles parts de marché. Je souhaiterais que des chefs d’entreprises d’expérimentées rentrent au gouvernement pour insuffler une nouvelle dynamique en réintroduisant des paradigmes de l’entrepreneur. Aujourd’hui, la France est engluée dans une situation sclérosante où l’on se contente de gérer des crises à coup de pansements et d’accroître dangereusement la dette du pays. Disposer de fonctionnaires et d’inspecteurs des finances pour tenir la France est nécessaire mais non suffisant.

Le besoin de chefs d’entreprise talentueux à sa tête pour créer de la valeur et mettre en place un schéma gagnant pour la France lui permettant de sortir du cercle vicieux d’un schéma d’emprunt qui a pour seul objectif de tenir les dépenses. Nous ne pouvons décemment pas nous cantonner à ce schéma d’endettement pour les générations futures. Nous devons penser et mettre en musique un schéma d’avenir porté par un esprit différent, de nature à redonner le sourire à l’ensemble des Français plutôt que d’essayer de les opposer.

Vous semblez particulièrement déçus par notre personnel politique…

S.F. : Je déplore que l’économie ne soit pas plus présente dont les programmes politiques des candidats à la présidentielle. Plusieurs d’entre eux parlent de la France, de patriotisme et de nationalisme, effleurent le sujet, mais aucun n’évoque à bras-le-corps le déficit des budgets et les solutions pour y remédier, voire l’inverser. Depuis Giscard d’Estaing qui avait porté le taux d’indemnisation du chômage jusqu’à 110 % du salaire net, le budget de la France est négatif et cette tendance a perduré à travers les années. La seule interrogation d’Agnès Pannier-Runacher (ministre de l’Industrie, ndlr), lorsque je l’ai rencontrée, fut de savoir où nous fabriquions nos PC…

Il est vrai que nous faisons de l’assemblage en Chine, mais nous faisons également de l’assemblage en France. Je ne suis pas certain que lorsque le patron d’Apple, Tim Cook, rencontre le ministre de l’Industrie américain, celui-ci s’inquiète de savoir où les Mac sont fabriqués ! Nous serions en mesure de conquérir d’importantes parts du marché mondial à condition d’être soutenus par le gouvernement. Mais malgré l’engouement des médias français, à l’instar d’Entreprendre qui nous ont toujours portés, rien ne se passe. C’est incompréhensible.

Le capitalisme de réseaux existe bel et bien. Vous êtes d’ailleurs conseillé par des acteurs tels que Loïk Le Floch-Prigent, ancien président d’Elf et de la SNCF…

S.F. : La valeur des personnes et leur capacité à savoir appréhender un business et à le rendre rentable sont essentielles dans le monde de l’entreprise. Les réseaux existent dans le monde de l’entreprise mais dans une mesure bien moindre que dans l’univers politique. Je partage avec Loïk Le Floch-Prigent la volonté de faire de nouveau rayonner la France. Nous sommes convaincus que si les réseaux d’État se mettaient au service des chefs d’entreprise, tout le monde aurait à y gagner. Malgré les accords européens signés qui nous empêchent de promouvoir nos sociétés françaises, il existe de nombreuses subtilités permettant d’accéder aux marchés publics. Il faudrait que les réseaux d’énarques et des grandes familles qui tiennent les gouvernements successifs permettent à l’industrie française de briller, a minima, dans leur pays.

Propos recueillis par Isabelle Jouanneau


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