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Fake news, complotisme, anonymat : faut-il brûler les réseaux sociaux ?

Entreprendre - Fake news, complotisme, anonymat : faut-il brûler les réseaux sociaux ?

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Ceux qui ont moins de trente ans ne peuvent pas comprendre ! Je tiens à rassurer les générations XYZ, le téléphone existait déjà depuis longtemps, mais il restait désespérément rattaché au mur, du salon ou de l’entrée, par un câble contenant huit fils de cuivre, à la prise que les PTT avaient obligeamment connectée à son réseau.

Pour s’informer, on écoutait la radio et parfois on regardait l’une des rares chaînes de télévision. Pour joindre les copains du lycée, s’ils n’avaient pas le téléphone, on prenait ses jambes. Pour se documenter sur un sujet ou préparer un exposé, on se rendait à la bibliothèque. On n’en était pas moins conscients des grands enjeux du monde !

Lorsque les réseaux sociaux ont commencé à se répandre sur le Web, tout le monde y a vu comme la découverte d’une baguette magique, tout le monde s’est imaginé capable de tout inventer, et notamment de voir le vaste monde se transformer en un gros village planétaire, cette « global city » tel que l’avait prédit le sociologue Marshall Mc Luhan dans les années 60 quand il avait identifié les effets merveilleux à attendre de la mondialisation, des médias et des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Nouveau monde

Pour ce penseur, c’était l’annonce de la mort de l’écrit. Les moyens modernes de la communication audiovisuelle et l’instantanéité de l’information allaient créer un nouveau monde, dans lequel les sociétés et les nations qui le composaient alors allaient être, en paraphrasant la chanson, comme dans une aciérie, fondues en une seule entité. On espérait « travailler encore, travailler encore, forger l’acier rouge avec [nos] mains d’or » et disposer, enfin, d’une culture commune et partagée, gage d’un monde humaniste et pacifié, une communauté unique où les citoyens auraient en symétrie, un même rythme et de facto un même espace.

Il s’agissait donc de concevoir un nouveau monde, et on peut constater que d’une certaine façon, le but a été atteint. Mais cela n’a pas été sans rencontrer quelques difficultés et provoquer quelques divergences, et sans empêcher que cette congrégation planétaire et interactive n’enfante autant de progrès que d’excès et de dangers. Et si les sociologues espéraient que les peuples s’enrichiraient mutuellement au sein de cet écosystème par la variété des cultures, et apporteraient à l’entreprise une nouvelle vitalité, ils n’avaient sans doute pas souhaité que cet outil miraculeux développe parallèlement les déviances ancestrales des sociétés humaines.

Bassesses

Oh ! Bien-sûr ! L’idée du village, l’image d’Épinal de la proximité et de la cohésion est séduisante. Mais elle est utopique ! N’oublions pas que dans nos petits villages d’autrefois étaient loin d’être parfaits ! Il y avait les clans, celui du curé, souvent de droite, avec ses ouailles et sa morale chrétienne, et celui de l’instituteur, souvent de gauche, avec ses libres-penseurs qui s’affichaient le dimanche à la sortie de la messe, sirotant un apéritif à la terrasse du bistrot.

Et c’est ainsi qu’il y avait souvent deux équipes de foot dans le village, celle du curé et celle de l’instituteur, toujours en rivalité, ce qui faisait qu’en dépit de la petite taille de la commune, des clans souvent s’affrontaient, parfois se détestaient, quelque fois se battaient.

Et en rajoutant à cela les histoires de famille, ou plutôt les histoires qui, par-delà les opinions politiques sectaires, déchiraient les familles, affaires d’argent ou conflits conjugaux, autant dire que l’image du village n’était pas forcément la comparaison la mieux trouvée pour parler d’un outil destiné à forger plus de fraternité entre les habitants de notre planète.

Les réseaux sociaux auraient pu n’être qu’une exceptionnelle baguette magique, un outil de développement plein de promesses et d’espoirs de progrès. Mais la nature humaine en a fait dans la virtualité ce que l’on connaissait dans la réalité, un miroir reflétant l’âme humaine dans sa globalité. Car lorsque les utilisateurs sont plus ou moins bien intentionnés, ils sont capables de toutes les bassesses, et pire, de tous les crimes. Au surplus, au-delà de servir de vecteur aux trafics de tous ordres et au terrorisme, les réseaux peuvent progressivement s’enfoncer dans les profondeurs et l’obscurité des mondes cachés.

Un outil magique

Créé à l’origine comme un immense trombinoscope par d’anciens étudiants de la grande université américaine de Harvard, un réseau comme Facebook disposait d’un grand potentiel en permettant, tout d’abord, de retrouver les coordonnées d’amis perdus de vue, puis de regrouper ses amis en réseaux, avant de s’en créer d’autres par le partage d’intérêts communs. Les « amis » semblaient en mesure de pouvoir rassembler des générations entières autour d’enjeux porteurs de fraternité, en s’offrant la possibilité de publier des images, dessins et photos, des vidéos, films et animations, des fichiers et documents, d’échanger des messages et d’utiliser de nombreuses applications sur des appareils très différents, ordinateurs, tablettes et désormais smartphones, ces petits engins qui trouvent leur place dans nos poches et servent à tout, même à téléphoner !

Mais la nature de l’homme étant ce qu’elle est, l’outil est devenu un immense fourre-tout où chacun a pu apporter, outre des photos, une partie de son intimité, idées, anecdotes, opinions, jugements de valeur, etc. jusqu’à susciter ou développer ce qui existe par ailleurs, les inimitiés, les injures et les agressions, et même les crimes.

Mais dans leur utilisation sans précaution, dans ce qu’il faut appeler une addiction comme pour l’alcool ou un produit stupéfiant, la plupart des utilisateurs ont pu se perdre, voire perdre leur âme ! On peut craindre que ce ne soit le cas pour bien des jeunes gens disposant de leur premier smartphone, et qui prennent un grand nombre de risques, dans une pratique quotidienne incontrôlée. Et d’ailleurs, ce sont souvent les parents qui auront été les premiers vecteurs de cette addiction, ne serait-ce que pour calmer leurs légitimes inquiétudes quant à la sécurité de leurs enfants. Ils ont été de ceux qui considéraient le smartphone comme le moyen le plus sûr de rester en contact, parfois de les géolocaliser, mais surtout de leur permettre d’appeler au secours en cas de besoin ou de danger.

Mais en même temps, ils leur offraient un outil donnant des accès à l’immensité du monde virtuel et à tous les prédateurs qui y rôdent. Et plus généralement, quel que soit l’âge de cet utilisateur insuffisamment méfiant, s’inscrire dans la grande famille des internautes, sur une plateforme d’échanges, c’est déjà se dévoiler, plus ou moins, mais parfois plus que moins et c’est donc aussi perdre de son intimité.

Un monde virtuel… mais irréel

À trop se dévoiler sur ses goûts, ses modes de vie, on se met en danger. Petits dangers quand on se retrouve simplement sollicité pour des achats inutiles, et souvent devenus compulsifs, dangers financiers lorsqu’on se fait escroquer en révélant ses coordonnées bancaires, mais aussi dangers extrêmes quand on se fait insidieusement enrôler dans des entreprises ou des groupes sectaires, religieux ou pseudo-philosophiques.

On peut y perdre alors jusqu’à son identité, par exemple lorsqu’elle est volée pour échapper à des poursuites pénales. Mais on peut aussi la perdre sans le vouloir, en étant happé par une entreprise sectaire. On peut l’être volontairement, en se réfugiant derrière un alias, cette curieuse façon de vivre une autre vie que celle à laquelle nous prépare le monde réel.

Et tout un monde virtuel, mais irréel, s’offre alors à ceux qui se révèlent tels qu’ils sont fondamentalement en se camouflant derrière des alias. Cette attitude hypocrite, c’est la porte ouverte à tous les délires, toutes les fuites, toutes les folies, et même toutes les barbaries. L’utilisateur ainsi camouflé peut tout dire, et parfois tout faire, sans risque d’être précisément identifié et mis en cause. L’alias, derrière lesquels il se camoufle, le renforce quand il découvre sa capacité de nuisances, dans l’utilisation complexe des mensonges, de la délation et du complotisme.

C’est d’ailleurs de cette façon que certains États agissent pour désinformer leur peuple ou le monde entier. La désinformation du peuple russe par ses dirigeants sur ce qui se passe actuellement en Ukraine en est un exemple extrême ! Après avoir utilisé certains réseaux sociaux pour manipuler l’opinion avant le début des exactions militaires, la Russie a désormais bloqué les réseaux sociaux comme Facebook ou TikTok pour empêcher le peuple russe d’avoir une connaissance exhaustive de la situation exacte des opérations de guerre.

Addictions

La virtualité prend aussi des apparences oniriques, comme l’outil d’un rêve que les internautes se construisent. C’est l’objectif très particuliers des « métavers » ces mondes virtuels fictifs dans lesquels une communauté d’utilisateurs, camouflés derrière des avatars peut s’enfoncer et jouer, des mondes artificiellement créés par des programmes informatiques, des mondes dans lesquels le but est d’interagir socialement et parfois économiquement.

Ces métavers sont tout droit sortis des jeux vidéo pour lesquels on pourrait dire qu’ils ont été conçus. Depuis le début des années 2000, ces outils ludiques font entrer les joueurs dans un monde assez proche du réel, mais toujours différents. Progressivement, les jeux vidéo ont fait évoluer leur métavers où l’on ne se contente plus seulement de jouer. On y transpose son quotidien, tordu et déformé, d’une manière que l’on pourrait trouver « claustrophobe » tant les joueurs s’y replient comme pour échapper à toute réalité. Les deux années de pandémie ont largement contribué au succès de ces addictions aux jeux, et les peurs qui naissent chaque jour de plus en plus au fur et à mesure des annonces morbides et génocidaires de la guerre aux portes de l’Union Européenne ne font que pousser les jeunes générations dans un monde irréel où ils demeurent les maîtres de l’instant.

Mais nombreux sont ceux qui dénoncent de telles addictions ! Certes tout cela se comprend. La crainte du monde réel et de la guerre en devenir suscite naturellement le besoin de se trouver un refuge, un îlot où se protéger. Mais elle engendre également une addiction et les utilisateurs se retrouvent d’autant plus devenir des objets « marchands » entre les mains des GAFAMA.

Car il ne faut pas être grand clerc pour ne pas comprendre que ces jeux, ces plateformes et ces métavers sont, pour ces grands groupes économiques dont on dit parfois qu’ils possèdent le monde entier, avant tout au centre d’enjeux commerciaux, par l’accaparement de « mines » d’informations ! A tout le moins jusqu’au prochain éclatement d’une bulle financière ou spéculative !

La récupération, par ces groupes, des informations personnelles des internautes est bien-sûr utile pour vendre des produits correspondant aux goûts précis des utilisateurs. Elle peut également être utile pour recenser les citoyens, par exemple pour des raisons positives, sanitaires. Mais, c’est en même temps un outil de fichage des citoyens, comme le décrivait en 1949 George Orwell dans son roman d’anticipation « 1984 ». Et comme on a pu comprendre récemment, « Big Brother » existe déjà dans les aéroports chinois dont les caméras identifient n’importe quel individu par l’analyse simultanée de centaines de visages, ou récemment lors de l’organisation très contrôlée des Jeux Olympiques d’Hiver.

Un vecteur de la lâcheté humaine

Ces derniers exemples montrent « l’envers du décor » ! Ces outils que l’on appelait encore récemment les NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) se sont développés dans certaines administrations de l’État, et on se félicitait de leur contribution à un meilleur fonctionnement des services. Mais ce sont aussi des outils de domination perverse et les supports d’une nouvelle délinquance, qu’elle soit délictuelle ou criminelle.

On peut citer de nombreux exemples d’une grande banalité quotidienne. C’est le cas de ce qu’a subi la skieuse américaine Mikaela Shiffrin pendant les récents JO de Pékin, comme c’est arrivé à d’autres sportifs dont le manque de résultats a ulcéré les fans ! Trois chutes, aucune médaille, la skieuse est rentrée « bredouille » de Chine. Personnalité du monde du sport de haut niveau, exposée de ce fait régulièrement aux regards du public, le plus souvent adulée, elle s’est soudain retrouvée confrontée à l’indicible, à la brutalité anonyme et elle a fait part de sa peur et de son désarroi suite aux messages malveillants, aux réactions de haine et aux menaces de mort qui ont été postés sur les réseaux sociaux.

Si de tels propos ont été ainsi diffusés, ils n’ont heureusement pas entrainé de conséquences dramatiques et la malveillance n’est pas en soi une incrimination pénale. Mais l’exemple est parlant, puisque ces messages sont le fait de personnes qui osent tout quand elles se cachent derrière leur alias d’internaute.

Et c’est au risque de choquer, que j’ai choisi ce premier exemple banal pour introduire un sujet dramatique, en évoquant des faits qui se placent dans le cœur de tous à l’opposé du précédent. Comme on le sait, les réseaux sociaux sont depuis longtemps les vecteurs d’entreprises de déstabilisation des sociétés démocratiques. Cela va de la manipulation des opinions publiques dans un but complotiste, à la diffusion de messages sectaires, criminels et terroristes, dont les conséquences peuvent être d’une gravité extrême. C’est ce qui s’est produit lors des attaques djihadistes qui ont frappé la France au cours de la dernière décennie, ou lors d’exécutions ciblées, comme ce fut le cas pour l’assassinat d’un couple de policiers à Magnanville en 2018 ou celui de Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine en 2020. Les réseaux sociaux ont été le support de diffusion de vidéos mensongères, vidéos qui ont pris brutalement un aspect viral, suscitant de nombreux messages de haine insupportables dans le but de justifier les exécutions, ce qui a provoqué une émotion infinie au sein de la Nation toute entière.

On rencontre ce mode de communication de haine dans tous les mouvements sectaires, et notamment ceux qui sont en lutte contre l’autorité de l’État. On a compris depuis longtemps que certaines mouvances qui se prétendent anarchistes ou révolutionnaires, utilisent la modernité technologique pour combattre la modernité sociale. Pour ce faire, les réseaux sociaux sont largement utilisés pour diffuser des messages fallacieux à destination d’une jeunesse confrontée, comme toute jeunesse, à des problèmes existentiels, qui sont souvent inquiets de leur avenir et, pour nombre d’entre eux connaissent les affres du chômage, ou ont grandi dans des milieux touchés par la pauvreté.

Mais les réseaux sociaux ne sont qu’une image superficielle des dangers qui se cachent dans le Web. En réalité, nous n’accédons qu’à une infime partie d’Internet. On estime, en effet, que 10 % seulement des contenus sont accessibles au grand public sur ce que l’on pourrait appeler le « Web de surface ». Le reste, soit environ 90 % de l’activité des réseaux constitue le « Deep Web ». Il rassemble des sites privés non indexés par les moteurs de recherche classiques, dont le « Darknet » dont tout le monde parle sans savoir précisément de quoi il s’agit, un peu comme on évoque un fantasme et qui ne représente qu’une infime partie du Deep Web.

Il s’agit d’abord d’un Web sur lequel travaillent des utilisateurs qui refusent d’être référencées sur le net classique. On y trouve effectivement des contenus qui ne sont pas traités par les robots d’indexation, comme, par exemple, pour des raisons de sécurité, certaines bases de données, des parties non publiques des sites bancaires ou des fichiers de stockage.

La sous-partie du Deep Web que l’on nomme Dark Web ou Darknet est effectivement un Web clandestin constitué d’un ensemble de sous-réseaux d’internet qui ne sont accessibles qu’au moyen de techniques spécifiques. Dans l’imaginaire collectif, le Dark Web est cette part très sombre d’internet qui contient des sites illégaux exerçant des activités illégales comme les trafics de stupéfiants et d’armes, les trafics d’êtres humains, prostitution et traite des blanches, fabrication et diffusion de faux documents.

Ces sites ne sont pas forcément inaccessibles, mais il faut disposer d’outils spécialisés en la matière. Le plus connu de ces réseaux du Darknet, TOR, pour « The Onion Router » est aussi le nom d’un outil permettant d’y accéder. Les contenus qu’il héberge sont souvent illicites, et donc illégaux, et cette volonté de demeurer cachés laisse penser à une intention criminelle. Même si l’on sait qu’à son origine, le projet TOR avait été créé par les laboratoires de la Marine des USA pour garantir la confidentialité de leurs échanges.

Aujourd’hui, ce réseau permet à ses utilisateurs de contourner la censure et de favoriser la liberté d’expression des dissidents et des réfugiés politiques, imparfaitement sans aucun doute, car toutes les technologies ont leurs failles. Il se dit que les services secrets de certains pays, ou que des journalistes ont régulièrement accès au Darknet, ce qui signifie que TOR seul n’est pas une garantie suffisante permettant un total anonymat.

En conclusion, force est de constater que la publication de fakes news, mais aussi leur utilisation à des fins sectaires et « guerrières » polluent largement les réseaux sociaux, en dépit des actions menées tant par les GAFAMA que par les institutions sur le sujet.

Les échanges « cordiaux » ou pas, entre les individus se font désormais anonymement à travers la « toile » et très rapidement « dans l’univers du monde parallèle des métavers », ce qui ouvre la porte à tous les excès et toutes les dérives !

Est-ce ce monde-là que nous souhaitons pour les générations futures ?

Bernard CHAUSSEGROS


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