Tribune d’Emmanuel Jaffelin, philosophe, auteur de Célébrations du Bonheur ( Editions Michel Lafon, 2021) et Eloge de la Gentillesse (2012, éditions F. Bourin)
Aujourd’hui, ou depuis la fin du XXe siècle, la communication se fait en marchant, en courant, en pédalant, en roulant (en voiture, bus, camion ou train) ou en volant (dans un avion, un hélicoptère ou une montgolfière) !
Les gens d’avant étaient donc plus statiques, ou, du moins, plus « prisonniers » de ces lieux d’où ils pouvaient « appeler » quelqu’un ou « être appelé » par une personne que ceux d’aujourd’hui et de demain. Télé-phoner, signifie etymologiquement « la voix » (phonè) qui s’exprime à distance (tèlè, mot grec qui signifie « loin »). Mais autrefois, c’est-à-dire avant la fin du XXe siècle, cet appel-à-distance ne pouvait se faire de n’importe où vers n’importe qui ! Il fallait qu’un téléphone fixe soit branché dans un lieu lui-même relié à un fil téléphonique ! Et il fallait que la personne appelée se trouvât à moins de 15 mètres d’un autre téléphone fixe afin de l’entendre sonner et de pouvoir aller le décrocher durant la sonnerie plus ou moins longue du téléphone !
Aujourd’hui, une personne peut appeler le président d’un Etat, en étant allongé sur une plage ou du fond d’un bois en train de faire caca ! C’est dire si, avant, la longue époque pré-numérique s’avérait proprement arriérée ! Aujourd’hui, c’est « tout tout de suite », tellement le téléphone n’est plus seulement un outil pour parler à distance, mais aussi une source incroyable d’informations ! Source sur laquelle l’être humain peut regarder l’heure qu’il est ici ou ailleurs, le temps qu’il fera demain, les actualités, des textes, des images et des vidéos ; et également une source sur laquelle il peut écouter de la musique !
C’est donc peu dire de notre phone qu’il nous relie au monde tout en nous libérant d’un clouage à un lieu fixe ! A contrario, celui qui n’a pas ou plus de téléphone, se trouve dans une situation statique, même s’il bouge car il peut se considérer (inconsciemment ou pas) plus prisonnier du monde que le détenu qui aurait réussi à se procurer un téléphone qu’il utiliserait, discrètement, dans la cellule de sa prison !
Pour le dire autrement, celui qui a un téléphone portable est un nomade alors que celui qui n’en a pas est un sédentaire rivé au sol, prisonnier de son époque et condamné à la misère ! Le téléphone portable nous trans-porte ainsi mentalement, en permanence, d’un interlocuteur à un autre, d’un lieu à un autre (celui où il est et celui où se trouve celui qu’il appelle). Bref, le téléphone ne nous applique pas de la pommade sur une oreille : il fait de nous des nomades à nul autre pareil !
Prenons dès lors la peine de noter qu’il y eut deux inventions capitales dans l’histoire de l’humanité : l’Ecriture et le téléphone portable.
La première apparue, il y a près de 5000 ans, soit vers 3300 ans av. JC en Mésopotamie : il s’agissait d’une écriture basée sur des pictogrammes (et non sur un alphabet). La seconde – soit le téléphone mobile – fut créée par Martin Cooper, directeur de la recherche chez Motorola et mise en marche et testée le 3 avril 1973 dans des rues de New York. Mais le premier téléphone mobile à être commercialisé n’apparut que le 6 mars 1983 avec le Motorola Dyna Tac 8000 !
En France, les premiers forfaits destinés au Grand Public lui furent proposés en 1996 par France Télécom qui avait lancé en 1992 le premier réseau de téléphonie mobile 2G en France. En 2001, Orange et SFR obtinrent une licence UMTS[1] et développèrent leurs réseaux.
Conclusion : ce qui caractérise le développement du téléphone portable, c’est l’usage privilégié des pictogrammes plus que le soin et le goût des mots et de l’orthographe. Il va de soi que ce progrès technique entraîne un regrès de la maîtrise de l’orthographe et de la langue utilisée ! Il est évident que les jeunes nés au XXI e siècle témoignent d’un grand goût pour la communication aussi patent que leur dégoût de l’écriture.
Ainsi, entre l’invention de l’écriture et celle du téléphone mobile, ce qui reste est moins le chérissement d’une invention que l’amour des pictogrammes et des icônes !
[1] – Norme de téléphone Mobile à Haut Débits : Universal Mobile Telecommunications System
