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Le marché du C0², une politique alibi ou une réelle chance pour l’avenir de la planète ?

Entreprendre - Le marché du C0², une politique alibi ou une réelle chance pour l’avenir de la planète ?

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Dans un monde numérique que l’on qualifie souvent à tort de virtuel, on compte plus de 14 milliards de smartphones. 21 milliards d’objets connectés nous assistent au quotidien, 7 milliards de requêtes Google sont effectuées chaque jour, soit 80.000 par seconde, et 1 milliard d’heures de vidéos sont visionnées.

Ces chiffres surprennent pour une planète de 8 milliards d’êtres humains dont beaucoup vivent sous le seuil de la pauvreté ! Ils décrivent à quel point nous sommes quotidiennement pollués, numériquement parlant, par trois types de « contaminations » : environnementale, intellectuelle et sociétale. Le numérique, loin d’être uniquement virtuel, affecte l’avenir de notre planète, nos capacités cognitives et certains des fondements même de nos sociétés, comme le vivre-ensemble. Alors, comment évoluer avec le numérique tout en étant respectueux du vivant ?

Une question primordiale

La question est donc là, la mise en place du marché du CO² est-elle un alibi pour nous faire croire que la question climatique est enfin prise en compte par les puissants, ou une simple organisation commerciale et financière destinée à tirer d’immenses profits du saccage de la planète ? Chacun y trouvera sa réponse, ses espoirs mais aussi ses désespoirs, car la question du réchauffement climatique semble affecter la population humaine de manière très diverse, selon que l’on est conscient des dommages qu’il crée ou conscient des profits que l’on peut accumuler de façon éhontée en se disant : « Après moi le déluge ».

Car, oui, la question est bien là : le réchauffement climatique est dû à l’accumulation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, dioxyde de carbone produit par l’activité humaine, essentiellement par l’exploitation du charbon, et des hydrocarbures destinés à produire de l’électricité, et toute l’activité industrielle de transformation et de fabrication de produits divers. Ce qui était supportable lorsque la population mondiale ne dépassait pas 3 milliards d’individus devient problématique aujourd’hui que celle-ci dépasse brutalement les 8 milliards.

À défaut d’une diminution de la moitié de la population du globe ou que les nouvelles générations répondent aux injonctions paradoxales anxiogènes qui visent à les culpabiliser d’avoir des enfants, les solutions sont le contrôle des émissions de CO², la gestion de l’alimentation pour éradiquer le drame de la faim dans le monde et surtout la gestion de l’eau potable indispensable à la vie humaine, aussi curieux que cela puisse paraître sur une planète dont les quatre cinquièmes sont composées d’eau, mais dont seulement 2,5% d’eau douce.

La face cachée de la pollution numérique

Je tiens à citer l’exemple particulier du monde numérique dont la plupart des utilisateurs ignorent l’impact en termes d’émissions de gaz à effet de serre et je signale sur ce point une étude d’Inès Leonarduzzi Présidente de l’ONG « Digital for the Planet », dont le sujet porte sur les interrelations entre l’homme, l’environnement et la machine, et tente d’envisager le futur du numérique.

En réalité, le combat pour la vie sur cette planète passe par la gestion de la surproduction de gaz à effet de serre, essentiellement bien sûr celle de CO², même si ce n’est pas la seule, et ce combat implique à la fois d’envisager comment contrôler le phénomène, mais aussi comment faire évoluer les mentalités et l’organisation sociale.

Il va de soi que la gestion des émissions de CO² est du ressort des dirigeants de la planète et des industriels, mais qu’elle doit être contrôlée. L’organisation d’un marché mondial du carbone est encore un leurre, même si des progrès tangibles ont été réalisés par les pays les plus industrialisés, et notamment par l’Europe, car la gestion des quotas est loin d’être parfaite et offre de nombreuses possibilités de compromissions et d’arrangements.

Mais par ailleurs, pour rester sur l’exemple du monde numérique, exemple qui peut s’étendre à de nombreux autres secteurs, l’action des consommateurs, et d’une manière plus générale, des citoyens, est nécessaire. Car c’est d’abord et avant tout dans l’évolution des mentalités et des habitudes de consommation que résident les espoirs d’un monde responsable.

Remplacer la quête du pouvoir par celle du savoir dans un monde numérique déroutant, protéger nos données dont le parcours nous échappe, accompagner nos enfants dans l’apprentissage liberticide et abrutissant des réseaux sociaux, diminuer l’empreinte carbone laissée par nos appareils, ou encore suivre l’itinéraire de nos données afin de les protéger et d’en conserver l’usage sont autant de gestes qui nous sont accessibles. Il faut donc mettre en harmonie notre façon d’utiliser la technologie et notre esprit citoyen, pour nous faire vivre dans ce monde avec le sens des responsabilités, l’esprit d’entreprise et la compréhension des enjeux globaux pour la sauvegarde de nos valeurs et de notre planète.

Doit-on encore se dire « Merci ! » par mail ? Voilà un débat classique sur les réseaux ! Dans l’administration, avec l’apparition de l’informatique et des messageries, la question s’est posée immédiatement de l’usage des en-têtes et des formules de politesse. On considérait comme injurieux de s’adresser à un supérieur comme on s’adresse à un copain. Petit à petit, les comportements ont changé, mais aussi la qualité, le style et l’orthographe des messages. D’une certaine façon, c’est regrettable, car il s’agit d’un nivellement par le bas de notre culture traditionnelle. Mais selon certains informaticiens, ce type de mails de politesse ou d’usage traditionnel serait une véritable plaie pour la planète.

Le numérique serait plus polluant que le secteur de l’aviation, 4 % contre 3 % d’émission de gaz à effet de serre. Les mails de 100 salariés équivaudraient à 14 allers-retours Paris-New-York. 1,4 milliards de mails sont envoyés en France chaque jour, parmi lesquels on estime à 64 millions le nombre de ceux qui sont inutiles. Il suffirait donc, selon nos ingénieurs, que chacun d’entre nous supprime 1 seul mail par jour pour économiser 16 tonnes de CO², ce qui correspond à 16 allers-retours Paris-New-York.

Certains pensent que nous pourrions faire ce petit geste qui pourrait, dit-on, être d’une grande utilité, c’est-à-dire induire de remarquables économies. D’aucuns, toutefois, trouvent cette affirmation farfelue, et affirment que dans le numérique, la plus grosse part de la pollution vient de la fabrication des matériels, de leur obsolescence logicielle trop rapide, puis de la gestion des données par des « datas centers ».

Effectivement, cette analyse provocatrice sur le coût des e-mails ne doit pas faire oublier que ce qui est le plus polluant dans le monde professionnel du numérique, c’est le renouvellement trop fréquent du matériel informatique et que les datas centers sont très énergivores. Les serveurs traitent notamment des données de transition inutiles et les serveurs contiennent des mails déjà lus toujours présent dans les boîtes de réception, et donc présents sur des serveurs redondants fonctionnant par exemple en mirroring.

Pour un foyer classique de quatre personnes, prendre l’habitude d’effacer les mails inutilement conservés, permettrait d’économiser annuellement l’équivalent de 1 et 2 jours de consommation électrique. Ce n’est rien et c’est beaucoup, dès lors que ce geste est répété par des millions de personnes. Le stockage de milliers de mails inutiles n’est donc pas une simple question d’organisation personnelle de ses archives, mais un coût global immense pour la planète. Avoir, par exemple, plus de 1.000 mails non lus, fait de nous un pollueur sans le savoir. Car pour stocker ces mails, il faut beaucoup d’énergie. Précisément, on estime que le stockage d’un seul e-mail génère dix grammes de CO² par an.

C’est pour cette raison qu’oublier les mails non lus conservés en grande quantité dans ses boîtes mail sur le Cloud a forcément un coût écologique élevé, induit par le fonctionnement des « datas centers ». Un Français reçoit, en moyenne, une quarantaine de mails par jour, l’extrapolation sur un an permet d’imaginer le désastre écologique que cela peut provoquer, et …provoque. Et que dire des milliers de photos numériques qui restent stockées, elles-aussi, sur nos espaces privés dans le Cloud au lieu de rester sur un disque dur portable de sauvegarde….

Un mail représente 4 g d’équivalent CO². Ce calcul prend en compte les émissions liées au fonctionnement de l’ordinateur et des serveurs, ainsi qu’à une partie des émissions liées à leur fabrication.

L’envoi de 65 mails émet ainsi autant qu’une voiture roulant sur 1 kilomètre, mais un mail contenant une pièce jointe volumineuse peut atteindre 50 g de C0². En résumé, tout mail, qu’il soit lu ou non, qui plus est lorsqu’il s’agit d’un spam, qu’il soit ouvert ou non, coûte 0,3 g de CO². Ils continuent à dépenser de l’énergie pendant leur stockage. Les Français gardent entre 10.000 et 50.000 mails non lus dans leur boîte de réception, spams compris.

Selon un récent rapport du Sénat, le poids du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre s’élèverait à 2 % en France, et les projections qui ont été faites envisagent qu’en 2040 ce taux sera de 7 %. Pour lutter contre cette pollution, il faut modifier nos comportements vis-à-vis des emails, en envoyer moins, les envoyer mieux, et surtout trier sa boîte aux lettres.

L’industrie du numérique représente 4 % des émissions de GES au niveau mondial. La fabrication des outils informatiques représente 50 % de la consommation mondiale d’électricité et exige 800 kg de matières premières et 169 kg de CO². La composante la plus lourde est évidemment le streaming, car même pour regarder la télévision linéaire classique en direct, on multiplie à l’infini les diffusions individuelles depuis des fermes de serveurs énergivores, là où le Broadcast, à savoir la TNT, le satellite ou même le câble, couvre pourtant des territoires entiers. Et que dire du minage de cryptomonnaies où l’aberration écologique se conjugue avec l’avidité financière la plus exubérante.

Les datas centers représentent 25 % de l’empreinte environnementale du Web. Ils consomment chacun autant que 30.000 citoyens européens. Les vidéos en ligne représentent 80 % de la bande passante d’Internet et 60 % du flux mondial de données. Une recherche sur Google coûte 5 à 7 g de CO². Un mail de 1 Mo est équivalent à la consommation horaire d’une ampoule de 25 W, soit 10 g de CO² qui est ce que peut absorber un arbre en un jour.

L’extraction des minerais, à savoir les terres rares indispensables à la fabrication des équipements et des batteries, a souvent un fort impact sur l’homme. Pour cette raison les minerais utilisées sont appelés « minerais du sang ». Et il faut savoir que la fabrication des supports numériques génère une pollution des sols, de l’air et de l’eau. Pour l’instant, les Français ne le perçoivent que très peu car l’essentiel provient de Chine ou d’Afrique. Mais l’ouverture annoncée de mines géantes de lithium en Europe, notamment dans l’Allier, va braquer les projecteurs sur nos contrées, et au passage mobiliser les zadistes.

Le marché européen du carbone

Il s’agit d’un système d’échanges de quotas d’émission de CO² en vertu du principe pollueur-payeur, mis en place par l’Union Européenne dans le but de mesurer, de contrôler et surtout de contribuer à la réduction des émissions de ses industries et de ses producteurs d’électricité. Ce « marché » est l’un des plus importants leviers dont dispose l’UE pour abaisser les émissions de gaz à effet de serre de son industrie. Compte tenu de la dégradation de la situation mondiale constatée par le GIEC, la situation est complexe et exige une évolution des modalités du « marché ». En 2020, l’UE a, en effet, arrêté un nouvel objectif climat prévoyant une diminution de 55 % de ses émissions de CO² pour 2030 par rapport à 1990. L’Union a également décidé de créer un mécanisme d’ajustement carbone à ses frontières pour inciter les pays tiers, voire les obliger à s’engager dans la réduction de leurs propres émissions.

Les GES sont des constituants gazeux présents dans l’atmosphère, et qui sont, soit émis par les industries, soit naturellement présents, comme ceux qui émanent de l’élevage intensif, notamment des bovins dont les rejets liés aux flatulences sont absolument considérables. Six gaz à effet de serre d’origine industrielle ont été recensés par le protocole de Kyoto (CO², CH4, N²O, SF6, PFC et HFC). Ces gaz absorbent et réémettent le rayonnement infrarouge, ce qui contribue au réchauffement de l’atmosphère.

Le marché européen du carbone a été créé par l’UE le 1er janvier 2005, à la suite des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto qui est un accord international signé le 11 décembre 1997, mais qui est entré en vigueur en 2005, avec l’objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial. Et c’est pour soutenir les États à atteindre leurs objectifs que le protocole de Kyoto prévoyait notamment la création et le déploiement de « marchés du carbone ». Le marché du carbone européen est donc devenu rapidement la référence en étant le plus grand du monde et le moteur de la politique climatique européenne.

Depuis 2005, ce marché a pris de l’ampleur et concerne désormais, en 2022, plus de 11.000 installations industrielles européennes, regroupant les secteurs les plus polluants, production d’électricité, sidérurgie, les raffineries de pétrole ou cimentiers, mais aussi industries chimiques, entreprises de chauffage urbain, ainsi que les compagnies aériennes pour les vols commerciaux intra-européens.

Le fonctionnement imparfait du marché européen du carbone

Le marché du carbone a pour but de limiter les émissions de GES via des quotas qui peuvent être échangés et revendus entre les participants soumis au marché. Ces derniers doivent, à la fin d’une année, restituer autant de quotas que de CO² émis dans l’atmosphère. L’une des composantes clés du fonctionnement du marché du carbone est l’allocation de quotas, un quota représentant le droit d’émettre une tonne de CO².

Chaque année, les États européens déterminent le nombre de quotas auxquels ont droit les entreprises concernées. Cette allocation est établie en fonction du secteur d’activité de l’entreprise et de la quantité de GES émise par les acteurs les plus verts de ce secteur. Certaines installations peuvent bénéficier de quotas gratuits, pratique qui s’explique pour deux raisons, d’une part, pour ne pas fragiliser leur compétitivité et, d’autre part, pour éviter la fuite de carbone vers des pays où la réglementation reste encore souple.

Si les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont inférieures au quota qui leur a été alloué, celle-ci peut revendre ses quotas inutilisés sur le marché du carbone ou décider de les garder pour plus tard, on parle alors de mise en épargne de quotas (banking). Si les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise sont supérieures au quota qui leur a été alloué, celle-ci doit alors acheter des quotas supplémentaires sur le marché du carbone, les entreprises pouvant également avoir recours à l’emprunt de quotas (borrowing).

Le marché européen du carbone repose sur trois principes, la nécessité de consigner les émissions dans un registre européen, la capacité à s’assurer de l’exactitude des informations transmises et la possibilité d’attribuer des sanctions.

Un marché européen qui n’a pas complètement rempli son rôle

Le principal écueil aura été la difficulté des pouvoirs publics à fixer un prix réellement incitatif pour les entreprises désireuses de réduire réellement leurs émissions. Lors de la création du marché, les dirigeants européens craignaient qu’un plafond d’émissions trop contraignant handicape les industriels. Ils leur ont donc alloué une quantité trop importante de quotas.

Après des modifications successives et improductives, entre 2018 et 2020, le prix du carbone a progressivement augmenté de 7 euros à plus de 28 euros la tonne, avant d’atteindre en 2020 un prix supérieur à 90 euros la tonne, prix qui pourrait être compatible avec l’ambition européenne d’une transition vers une société sobre en carbone.

La Commission européenne veut encore renforcer l’efficacité du marché du carbone et envisage la suppression progressive des quotas gratuits pour les compagnies aériennes, l’extension du marché au secteur maritime, au secteur routier et au chauffage des bâtiments.

La difficulté principale tient aux risques de fuite, et dans ce but, il conviendra d’augmenter le prix du carbone au sein de l’UE pour lutter contre le dumping environnemental du reste du monde par des « ajustements carbone aux frontières » de l’UE. En juin 2022, les ministres européens de l’environnement ont tranché pour une réduction de 55 % des émissions de CO² des voitures particulières et des camionnettes en 2030 et de 100 % en 2035, date à laquelle la vente de voitures neuves thermiques sera prohibée.

La divergence avec la tarification carbone des pays tiers fait peser sur l’UE un risque de fuites de carbone en fonction de l’augmentation des émissions dans les pays tiers dues aux politiques climatiques ambitieuses de l’UE.

La Commission européenne a donc proposé de mettre progressivement en place, de 2023 à 2026, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui s’appliquerait sur les produits importés, dans les secteurs présentant un risque élevé de fuite de carbone comme le fer, l’acier, l’aluminium, le ciment ou les engrais.

L’engagement des États

Le gouvernement serait prêt à doubler l’aide annoncée. Cette aide pourrait être chiffrée à 10 Mds d’euros en échange d’un effort accru ! Emmanuel Macron a en effet rencontré le 8 novembre les représentants des 50 sites industriels les plus émetteurs de CO² pour savoir combien cela coûterait de continuer à produire en France sans réchauffer la planète. Le chef de l’État a fait la proposition de doubler l’aide publique destinée à la décarbonation, afin d’atteindre 10 milliards d’euros, mais il a demandé à ce que les bénéficiaires s’engagent en retour à doubler leurs efforts en la matière.

« Si des projets et des sites sont identifiés d’ici à 18 mois, si vous doublez vos efforts, si on arrive à passer de 10 millions de tonnes de CO² évités à 20 millions instruits, nous doublerons les moyens consacrés à cet enjeu et passerons l’enveloppe de 5 à 10 milliards d’euros d’accompagnement » a affirmé le chef de l’État aux industriels. « Le but c’est de diminuer par deux les émissions de gaz à effet de serre de ces sites en dix ans, donc d’enlever 5% des émissions françaises ».

Le jeu trouble des sociétés les plus émettrices de CO²

Il faut effectivement insister sur les actions concernant les 50 sites les plus polluants de France. Mais le deal proposé par le président de la République sera probablement détourné par les grandes entreprises à leur avantage unique. Car si certaines entreprises ont vraiment besoin d’une aide du fait des difficultés qu’elles connaissent, d’autres sont tellement florissantes comme les pétrolières ou les chimistes qu’elles peuvent se passer de l’aide l’État. Elles pourraient largement, sans trop sacrifier les dividendes versés à leurs actionnaires, faire l’effort que propose l’État, à hauteur d’environ 4 milliards. Mais ce n’est pas le deal sous-jacent dans un marché de dupes où les Etats-Unis et la Chine sont prêts à proposer des aides massives pour attirer les entreprises européennes ou pour développer un peu plus leur propre tissu industriel. Après le dumping social et fiscal, place donc au dumping environnemental.

On sent déjà que certains capitaines d’industrie français cherchent à provoquer leur avantage en obtenant de l’exécutif Français que dans le cadre de ce « donnant-donnant », il porte à 10 milliards d’euros ses subventions. Mais il sera le seul en Europe et ce sont finalement les impôts des contribuables français qui vont permettre d’aider ces entreprises à distribuer de substantiels dividendes à leurs actionnaires. Le fléchage des aides, qui va bientôt se traduire concrètement à la pompe pour nos concitoyens, ne sera donc pas de mise pour les actionnaires.

La question du contrôle

On a évoqué le fait que le marché du carbone impliquait un contrôle de la part des pouvoirs publics. Ils n’ont pas été très efficaces dans les premières années comme on l’a vu, avant que les quotas soient précisément définis et que le prix de la tonne de CO² soit enfin fixé à un tarif économiquement représentatif de l’effort fourni.

Il s’agit d’un contrôle macroéconomique réalisé par l’État et qui décrit une politique globale pour le pays, dans ses frontières et dans ses rapports avec ses voisins européens, ainsi qu’une analyse par secteurs d’activités créatrices de CO² en excès. Mais ce n’est pas suffisant pour toucher le véritable but de la chasse au CO² et aux GES d’une manière plus globale.

Il faut un contrôle plus fin, de nature microéconomique, entreprise par entreprise, et au sein des entreprises, « ligne par ligne », afin qu’elles puissent calculer et être contrôlées sur le coût exact de l’ensemble de leur activité ou de l’ensemble de sa chaîne de production. Si on l’avait fait, on aurait peut-être évité au passage le scandale de l’arnaque au carbone qui nous a couté des milliards d’Euros de fraudes à la TVA, et pas seulement en France où certains des acteurs les plus truculents continuent, c’est vrai, d’avoir table ouverte sur les plateaux de télévision et sur Netflix.

Il n’existe aucune réelle solution « sur étagère » pour aider les entreprises à identifier, estimer, calculer ou maîtriser leur consommation en carbone. Des obligations légales ont été assignées aux entreprises et l’État, mais aussi l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) ont communiqué sur le sujet et défini les contrôles à faire selon des procédures à la fois précises et floues. Précises parce que l’on part de la définition claire d’une classification des émissions en trois « scopes », mais floues parce que, selon les définitions ci-après le scope 3 demeure un peu vague et sert pratiquement de « fourre-tout ».

Les Scopes

On se réfère aux termes « scope 1 », « scope 2 » et « scope 3 » pour effectuer un bilan ventilé des émissions de GES d’un produit ou d’une organisation. Le « bilan GES » sert à déterminer combien de gaz à effet de serre sont émis lors de la fabrication d’un produit, ou dans le cadre des activités d’une organisation ou d’une entreprise sur une période donnée. Les scopes désignent le périmètre au sein duquel sont étudiées lesdites émissions de GES.

L’ADEME propose les définitions suivantes :

Le scope 1 recense les émissions directes et regroupe celles qui sont liées à la fabrication du produit, par exemple comme l’utilisation de pétrole, la combustion de carburant. Le scope 2 recense les émissions indirectes liées aux consommations énergétiques et regroupe celles qui sont associées à la production d’électricité, de chaleur ou de vapeur importée pour les activités de l’organisation. Le scope 3 recense l’ensemble des autres émissions indirectes et regroupe donc toutes celles qui ne sont pas liées directement à la fabrication du produit, mais à d’autres étapes du cycle de vie du produit (approvisionnement, transport, utilisation, fin de vie…).

Les scopes servent à identifier la provenance des émissions de GES d’un produit ou d’une entreprise, identification indispensable dans le cadre de la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises), puisque cela leur permet d’identifier les sources de leurs pollutions et d’agir pour les réduire. La RSE (devenu « déclaration de performance extra-financière » depuis 2017) s’impose désormais aux entreprises, d’abord pour que les pouvoirs publics puissent vérifier qu’elles respectent la législation en vigueur et les conventions collectives conclues entre partenaires sociaux, et qu’elles ont intégré les préoccupations sociales, environnementales, éthiques, de droits de l’homme et des consommateurs dans leurs activités.

Pour poursuivre ces objectifs, les entreprises ont besoin que soient développés des outils leur permettant de mieux quantifier leurs performances et leurs actions en matière de développement durable, mais aussi de mieux prendre en compte les attentes des tiers, fournisseurs et consommateurs, pour communiquer mieux et de façon plus responsable.

En France, les grandes entreprises ont l’obligation d’établir une déclaration de performance extra-financière contenant un bilan de leurs émissions de CO² ou de GES. Elles doivent, en outre, comptabiliser les émissions directement induites par leurs activités (identifiées dans les scopes 1 et 2), mais il serait bon que l’analyse intègre aussi le scope 3.

La déclaration de performance extra-financière impose une exigence accrue quant aux politiques et aux actions sociales/sociétales et environnementales, une clarification et une harmonisation européenne des pratiques et une adhésion aux recommandations du G20 dans un cadre international de transparence en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il convient, qui plus est, de préciser que certaines entreprises soumises à des contraintes légales particulières, notamment le devoir de vigilance, sont également tenues de fournir des informations concernant les droits de l’Homme et la lutte anti-corruption.

Le fonctionnement des outils de « reporting »

Ces outils sont rares, voire incomplet, en développement ou en devenir. Le marché à traiter est immense et devrait être investi progressivement. La solution globale serait basée sur une ventilation par les scopes 1, 2 et 3, et l’entreprise devrait être décrite sous forme d’une arborescence organisationnelle, partant du niveau le plus global et finissant, dans la mesure du possible à l’agent « lambda ». Chaque étape décrirait une partie de plus en plus « fine » afin de permettre des analyses par « directions », par « spécialisations », par « produits » et même par « agent ». Technique qui permettrait aux chefs d’entreprise d’avoir une vision de plus en plus affinée de leurs coûts carbone, mais qui pourrait inciter chaque agent à constater et à adapter son activité en fonction du coût de ses propres émissions.

La lutte contre le réchauffement climatique

L’objectif du marché du carbone est de limiter les émissions et de permettre une reprise de l’activité industrielle sans pour autant augmenter les émissions de CO² et de GES, et ce par un délicat travail sur les quotas. Le prix de la tonne de CO² doit inciter les entreprises à réaliser des investissements en R & D, mais nul ne sait si cela sera suffisant et les alertes du GIEC comme les piètres résultats de la dernière COP ne sont pas encourageants en la matière.

Les émissions mondiales couvertes par une tarification du carbone ne représentaient que 12% des émissions totales en 2015. Les premiers marchés de quotas environnementaux avaient pourtant été mis en œuvre aux USA dans les années 1990 dans le cadre de la lutte contre les pluies acides, avant de se rattacher aux conditions du protocole de Kyoto sur les GES.

40 états ont instauré une taxe carbone ou un mécanisme d’échange de quotas. En juillet 2021, la Chine, premier pollueur de la planète, a installé son marché carbone national, mais celui-ci ne couvre que le secteur de l’électricité (et non celui de l’aviation ou encore de la pétrochimie). Chacun des 21 marchés « carbone » mis en œuvre ont des caractéristiques propres tant en termes d’industries concernées qu’en termes d’objectifs de réduction, ce qui explique les variations importantes à travers le monde du prix d’une tonne d’équivalent CO².

Le bilan de la COP 27

Après de longues négociations, et plus d’un jour de prolongations : la COP 27 s’est finalement achevée sur un bilan, en demi-teinte. Aucun effort supplémentaire n’a été réalisé sur la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Or un accord historique a été conclu, pour créer un fond visant à compenser les dégâts du réchauffement climatique sur les pays pauvres. Mais le principal point de frustration réside sur la limitation des émissions mondiales. Pas de nouveaux engagements ni d’évolution en vue sur la sortie des énergies fossiles. Le texte final appelle à une réduction rapide des émissions, sans entrer dans les détails.

À croire que ce qui compte finalement le plus pour les dirigeants, c’est l’impact immédiat de la guerre en Ukraine sur le prix et l’accès à l’énergie, et donc sur leurs électeurs qui souffrent de l’inflation, que le souci de préserver les générations futures !

En conclusion de la COP 27, le président de la COP 26 a fait remarquer : « Nous voulions également faire des pas en avant définitifs. Nous étions beaucoup à être d’accord pour proposer un certain nombre de mesures qui auraient contribué à cela ». Il a surtoutnoté que certains points essentiels avaient été « oubliés », les mesures pour s’engager sur un pic des émissions en 2025 comme le recommandent les scientifiques, le suivi clair de la réduction progressive du charbon et l’engagement ferme d’éliminer progressivement tous les combustibles fossiles ! Au surplus, le texte qui devait préciser les engagements sur l’énergie s’est notoirement affaibli dans les dernières minutes de la COP 27 à la fin de laquelle, les experts ont averti que le monde était toujours « au bord de la catastrophe climatique », et que la réduction des émissions de gaz à effet de serre reste la seule réponse.

Les actions possibles sur lesquelles des études sont lancées

Quelques projets méritent d’être ici cités en conclusion. Il s’agit souvent de recherches sur de nouvelles technologies pour lesquelles les essais sont encore en cours ou bien pour lesquels les coûts en investissement restent trop élevés.

  • La capture directe du CO² dans l’air et son stockage dans des roches poreuses en sous-sol pour un usage ultérieur ;
  • Le développement des bio-gasoils ou des bio-carburants en utilisant de la biomasse ;
  • Emprisonnement du CO² dans du varech : il s’agit de créer des sortes d’îles de varech gobeur de CO², qui finissent par couler au fond de l’océan où elles resteront pendant des milliers d’années ;
  • Ou, plus simplement, la plantation d’arbres en très grandes quantités.
  • Etc.

Toujours est-il que même ceux qui doutent du dérèglement climatique, invoquant plutôt un dérèglement médiatique, se rendent quand même à l’évidence que, quand on aura fini de bruler le dernier litre de pétrole et le dernier souffle de gaz, et qu’avant cela, on aura tellement rationné que les prix vont exploser, et avec elles les inégalités, il nous faudra bien faire autrement….

Et ce sera alors forcément vertueux, par exemple avec une source d’énergie propre et inépuisable comme ITER, un micro-soleil en fusion, qui servira à produire massivement de l’hydrogène.

Alors pourquoi ne pas prendre de l’avance en se projetant avec enthousiasme dans ce qui va créer la valeur de demain. La lutte contre le réchauffement climatique ne doit pas être perçue uniquement comme une peur, ou une contrainte, mais bien comme un chemin vers l’excellence et un futur meilleur. Et en France, comme nous n’avons pas de pétrole, mais des idées, c’est donc bien une opportunité qui nous repositionne dans le jeu mondial.

Bernard Chaussegros


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