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L’entreprise comme chemin du bonheur

Entreprendre - L’entreprise comme chemin du bonheur

PAR Emmanuel Jaffelin, Philosophe, Sage, auteur des Célébrations du Bonheur (Michel Lafon éditeur).

A une époque où la polémique sur la retraite donne lieu à de nombreuses manifestations dans les rues et de plus nombreuses réactions encore dans tous les médias, il ne serait pas vain de s’interroger sur l’entreprise et son rôle au XXIe siècle. Disons d’abord que la retraite est plus un gros mot qu’un beau mot dans la mesure où elle désigne le fait de sortir d’un lieu (en sexualité, le « retrait » désigne ainsi le phallus qui sort du vagin et manifeste son épanouissement à l’extérieur). Il se trouve qu’une personne ne peut pas travailler si elle est trop jeune ou si elle est trop vieille. Dans le premier cas, celui de l’enfant, elle est « en retrait » de l’entreprise parce qu’on déclare qu’elle n’a pas encore la compétence ou la résistance pour y exercer une fonction ou y accomplir un certain type de tâches ; dans le second, celui de la personne dite « âgée », parce qu’au travail- si elle travaillait encore- elle serait déclarée ne plus avoir cette compétence ou résistance en raison du fait qu’elle verrait, bougerait et penserait moins bien que les adultes non vieux !

Mais cette distinction entre ceux qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas encore ou qui ne travaillent plus ne repose pas sur les mêmes âges dans tous les pays. Certains pays vont d’ailleurs même jusqu’à faire travailler les enfants et les vieux ! C’est le cas notamment de pays asiatiques. Ainsi « selon des estimations récentes de l’OIT, 246 millions d’enfants âgés de 5 à 17 ans seraient astreints à travailler dans le monde. 179 millions d’entre eux exercent les pires formes du travail des enfants. Environ 2,5 millions d’enfants sont économiquement actifs dans les pays développés, 2,4 millions dans les pays en transition, 127,3 millions dans la région de l’Asie et du Pacifique, 17,4 millions en Amérique Latine et dans les Caraïbes, 48 millions en Afrique sub-saharienne et 13,4 millions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. C’est dans la région Asie-Pacifique que l’on compte le plus grand nombre absolu d’enfants économiquement actifs (5-14 ans), soit 127 millions ou 60% des enfants travaillant dans le monde.

Les travailleurs de moins de 18 ans sont exposés à des dangers particuliers. Par exemple, aux Etats-Unis, le taux d’accident par heure ouvrée est presque deux fois plus élevé chez les enfants et les adolescents que chez les adultes[1] ». Et voilà pour les enfants, selon cette analyse du Bureau International du Travail qui met l’accent sur ce qui nuit aux enfants qui « travaillent » sans voir en quoi ils sont utiles à leur famille et à leur société, sans oublier aux entreprises qui les considèrent plus positivement que les entreprises occidentales, disons plus « positivement » car ces entreprises les considèrent compétents, voire, dans certaines tâches, plus habiles que les adultes non vieux ! […]

Prenons à nouveau l’exemple d’un pays en Asie qui ne considère pas les personnes âgées comme elles le sont en Occident : « Aujourd’hui au Japon, un senior sur quatre continue de travailler au-delà de l’âge de la retraite fixée à 65 ans. La population active compte près de 9 millions de personnes âgées. Et les entreprises ont de plus en plus recours aux seniors pour pallier la pénurie de main-d’œuvre. Les différences culturelles sont partout, même dans les rapports entre les générations. En Asie, plus on avance en âge, plus on est considéré et écouté : l’expérience fait gagner en sagesse et les asiatiques mettent un point d’honneur à respecter le grand âge.

Les sociétés asiatiques sont dites de groupe, contrairement aux sociétés occidentales qui placent l’individu et sa réalisation personnelle au centre des préoccupations. En Chine, au Japon, en Corée, le groupe passe avant l’individu : c’est le cas aussi dans la famille. Ce phénomène crée des sociétés de hiérarchies très ancrées. Les personnes âgées sont au sommet de cette pyramide sociale, en raison de leur grande expérience et de ce qu’elles ont apporté aux générations plus jeunes. Cela crée aussi une certaine imperméabilité entre les différentes couches sociales et générationnelles : on ne fréquente généralement que des personnes de son âge, en-dehors du travail et de la famille. Ce sont précisément ces différences qu’a tenté d’effacer le communisme dans de nombreux pays asiatiques, notamment en utilisant le titre de “camarade” pour désigner chaque individu, quel que soit son âge[2] ».

Dès lors, nous devons comprendre que la « retraite » en Asie équivaut à une mise à l’écart des sages pour laisser les non sages (les fous ?) gérer la vie économique et sociale. Mais au-delà de ces différences culturelles entre l’Orient et l’Occident, notons que si l’Orient ouvre ses entreprises aux enfants et aux vieillards, cela signifie que celles-ci doivent être le reflet des familles (qui encadrent les enfants et glorifient les vieux) et de la société où elles sont nées et où elles se développent. Osons alors dire que le souci en Occident de se débarrasser des vieux sous le motif apparemment généreux de la retraite repose sur une idée confuse de la finalité d’une entreprise, idée d’autant plus confuse qu’elle reste alimentée par un résidu de marxisme plus ou moins conscient, ce Marxisme qui voyait le capitalisme et donc l’entreprise comme une « exploitation de l’homme par l’homme » et qui voit donc la retraite, sinon comme une révolution, du moins comme la fin d’une exploitation pour la personne qui en bénéficie.

A première vue, surtout pour ceux dont le regard se tient au ras des pâquerettes, le but de l’entreprise serait la richesse. Sa mission serait donc strictement économique et fournirait donc un bon motif pour en exclure les incompétents (enfants et vieillards). Toutefois, à décoller des pâquerettes, notre regard nous montre bien une chute de la politique en Occident et aperçoit le nouveau rôle de l’entreprise qui peut devenir un lieu de sociabilité où viennent travailler avec motivation les salariés qui la quittent en fin d’après-midi et de semaine heureux de ce qu’ils y ont fait.

Certains chefs d’entreprises, patrons et DRH ont donc compris que l’entreprise devait jouer un rôle dans le bonheur de ceux qui y travaillent : ils aménagent donc le lieu de travail dans cette perspective eudémonique tout en développant des Relations Humaines qui permettent à chaque travailleur de se sentir valorisé et apprécié. D’un tel changement vient le fait que l’Entreprise n’est ni l’Etat (même quand il s’agit d’une entreprise publique !) ni la Famille, mais plutôt un entre-deux qui doit les renforcer.

Et, si l’on prend la peine de repenser le bonheur indépendamment du plaisir, il est aisé de comprendre que l’Entreprise peut être considérée comme un chemin du Bonheur. Ceux qui sont au chômage et s’en attristent, comprennent, mieux que la plupart des salariés ne se réalisant pas dans leur vie professionnelle, qu’ils vivent dans un monde où l’économie (et le pouvoir d’achat) prime(nt) sur la politique (et le droit de voter), qu’ils vivent donc moins bien sans ce pouvoir d’achat, mais aussi sans cette sociabilité que favorise et développe la plupart des entreprises !

Selon la philosophie stoïcienne, le bonheur n’est pas le but de la vie, mais l’effet de la sagesse, cette attitude qui consiste à accepter la réalité et les événements qui s’y produisent. Or, dans notre société consumériste et hédoniste, le critère d’évaluation de nos actions repose sur le plaisir qui n’est qu’une négation d’un désir (qui est lui-même négatif puisqu’il est un manque) ! Pensons alors qu’il y a plus que du plaisir à se servir de son intelligence pour « travailler » que pour en sortir : il y a du bonheur à accepter de travailler, à en assumer les difficultés, voire à résoudre les problèmes qu’il nous pose et l’on voit bien, alors, qu’on peut trouver le bonheur dans des circonstances jugées négatives par le sens commun en Occident ; ces circonstances qui servent actuellement de « bons motifs » pour justifier le départ en retraite !

Camus exprimait pourtant déjà ce lien fondamental du travail et du bonheur :

«Je n’ai jamais été heureux, je le sais, ni pacifié, que dans un métier digne de moi, un travail mené au milieu d’hommes que je puisse aimer. Je sais aussi que beaucoup, sur ce point, me ressemblent. Sans travail, toute vie pourrit. Mais sous un travail sans âme, la vie étouffe et meurt. N’est-ce pas alors le véritable effort d’une nation de faire le plus possible pour que ses citoyens aient le riche sentiment de faire leur vrai métier, et d’être utiles à la place où ils sont ». L’express (magazine, 1955)


[1][1] – Bureau Internationale du Travail : https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—ed_norm/—declaration/documents/publication/wcms_decl_fs_57_fr.pdf

[2] – https://www.nahoma.fr/nahomag/etre-senior-en-asie-une-autre-vision-de-lavancee-en-age/


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