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Jean-Claude Volot : « Les hommes politiques sont responsables de la désindustrialisation de la France »

Diplômé de l’École nationale d'ingénieurs de Metz et des Arts et métiers, ce ténor de l’industrie française n'a eu de cesse de défendre les entreprises et leur développement. Président honoraire du conseil de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE), membre au conseil du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et ancien vice-président du MEDEF, le PDG de la PME toulousaine Dedienne Aérospace ne mâche pas ses mots.

Entreprendre - Jean-Claude Volot : « Les hommes politiques sont responsables de la désindustrialisation de la France »

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Diplômé de l’École nationale d’ingénieurs de Metz et des Arts et métiers, ce ténor de l’industrie française n’a eu de cesse de défendre les entreprises et leur développement. Président honoraire du conseil de l’Agence pour la création d’entreprises (APCE), membre au conseil du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS) et ancien vice-président du MEDEF, le PDG de la PME toulousaine Dedienne Aérospace ne mâche pas ses mots.

Vous avez repris et fusionné une quarantaine de PME et ETI, quel est le fil conducteur de votre parcours entrepreneurial ?

Je n’ai jamais rien fait en dehors de l’industrie, c’est ancré au plus profond de moi. La technologie est également un paradigme fort, j’ai construit le groupe Dedienne autour de trois axes : polymère, santé et aéronautique.

J’ai toujours fait du « build-up » en construisant à partir de quelque chose d’existant. Depuis quelques années, je ne fais plus acquisitions. Aujourd’hui, l’édifice Dedienne Aerospace est complet et je privilégie donc la croissance endogène à la croissance exogène. La croissance interne est par ailleurs beaucoup plus sûre et rentable que la croissance externe.

Nous avons récemment travaillé sur les axes de développement de Dedienne Aerospace, ils sont basés sur de la R&D et sur des éléments déjà existants dans l’entreprise, il s’agit donc d’une extension du spectre de l’entreprise.

Je suis un maniaque de la construction mais lorsque j’ai fini de bâtir, je peux ensuite céder sans difficultés. Rappelons que Dedienne Polymère et Dedienne Santé sont aujourd’hui pilotés par mes cadres suite à une opération de MBO (Management Buy-Out). Quant à Dedienne Aérospace, 20 % du capital est détenu par les salariés. Je conserve cette entité car mon fils y est très intéressé mais, à l’avenir, la direction sera beaucoup plus collégiale.

A quelles évolutions majeures avez-vous assisté dans l’industrie française ?

Le numérique est un mot magique qui a vu le jour pour moi en 1970 lorsque j’ai commencé ma carrière. Aujourd’hui, le numérique envahit tout. Si l’on revient à la base, le numérique est un système de calcul basé sur l’algèbre de Boole (calcul d’algèbre binaire, NDLR) qui existe depuis très longtemps.

Le numérique est une belle histoire qui ne cesse de se développer. Mon parcours dans l’industrie est profondément marqué par le numérique. Même si on parle de toutes les technologies contemporaines de fabrication additives nommées initialement stéréolithographie, le numérique est rentré dans l’art et la production d’art, c’est le fil conducteur de mon parcours.

À côté de cela, j’ai assisté à des catastrophes provoquées par des politiques qui ont entraîné de terribles dégâts. Les années 80 furent terribles. Mitterrand est l’assassin de l’industrie française. C’est à partir de là que l’on a commencé à dénigrer l’industrie en l’accusant de licencier, d’être sale et de polluer. On a commencé à imaginer une société de services, monstruosité contre laquelle je me suis battue toute ma vie.

Le plus grand assassinat de l’industrie française est intervenu ensuite avec Martine Aubry – l’enfant de Mitterrand – et la mise en place des 35h. Les 35h étaient au départ une très bonne idée mais qui a été très mal appliquée. Cela a considérablement impacté la performance de l’entreprise française et accéléré le processus de désindustrialisation. Au lieu de vivre une révolution de l’industrie par le numérique, cette révolution numérique s’est additionnée à une destruction de l’industrie. Les 35h ont été le moment clé marquant l’érosion de la compétitivité et le début du déficit de la balance du commerce extérieur de la France.

Nous avons en France un niveau de surcharge de charges sociales et fiscales énorme, de l’ordre de 100 milliards par an, à périmètre égal par rapport aux Allemands. Je persiste à dire que si nous n’avions pas appliqué les 35h de la sorte, nous aurions pu passer le cap. François Hollande avait essayé de compenser en partie ces charges excessives par le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, NDLR).

Ce déficit est à présent installé de façon endémique entre 60 et 75 milliards et nous avons un mal fou à rattraper ce retard. Cela a notamment provoqué un départ accéléré de nos grandes entreprises et de nos grosses ETI. Nous souffrons d’un déficit de commerce extérieur et 80 % des produits que nous vendons sont des produits industriels.

Une étude de l’INSEE s’est intéressée à savoir parmi le CAC 40 industriel combien exportaient depuis les bases à l’étranger qu’ils ont en retirant le chiffre d’affaires réalisé dans les pays où ils sont installés afin de déterminer un vrai chiffre d’exportation depuis les pays où ils sont. Les résultats divulgués depuis un an et demi sont restés très discrets.

Nos grandes entreprises industrielles exportent 1 200 milliards d’euros depuis leurs bases. La France exporte au total 500 milliards d’euros et nous exportons plus de deux fois le total des exportations françaises à l’année depuis les autres bases. La France est un pays très industriel contrairement à ce que l’on prétend.

Nous avons développé notre production industrielle à l’étranger mais pas à France en raison de décisions politiques dramatiques. Les politiques français de droite comme de gauche sont les principaux responsables de la désindustrialisation de la France.

Quels seront les principaux enjeux pour l’industrie française sur les années à venir ?

Je pense que Macron prend le problème par le bon bout, il est en train de redonner confiance, il ne cède pas et il sait qu’il faut en passer par une période très difficile, l’industrie étant la clé du sujet, et notamment les nouvelles industries. La France est un pays pilote en matière de nouvelles technologies : nous avons des clusters fantastiques notamment en plein Paris.

ll faut également préserver les technologies qui font le chiffre d’affaires d’aujourd’hui. La bêtise des politiques français consiste à vouloir tout miser sur les industries du futur en prétendant qu’elles font le chiffre d’affaires d’aujourd’hui et les ventes à l’international.

L’industrie aéronautique est une vieille industrie de plus de 100 ans, elle n’est fondamentalement pas une industrie du futur, il faut absolument la protéger  ainsi que toutes les autres industries. Il est intéressant d’observer la révolution Peugeot et de constater que les constructeurs automobiles comme Toyota réinstallent des lignes de production en France.

Concernant l’attractivité de la France, peut-on considérer que l’Hexagone est de retour ?

Le CICE est un petit élément positif sur le plan de la compensation des charges. Macron a su redonner confiance. Les performances des bilans de 2017 ne sont pas le fruit des mesures Macron mais de quelques mesures datant du gouvernement Hollande. L’augmentation des salaires allemands assortis d’une dégradation de la compétitivité allemande ainsi que le Brexit constituent des leviers important pour notre compétitivité.

Ces agents extérieurs favorisent l’amélioration de notre productivité. Le chiffre publié récemment concernant la bonne tenue des investissements étrangers en France démontre que c’est beaucoup plus lié à l’achat d’entreprises françaises qu’à de l’investissement d’usine pur et dur. L’acquisition d’entreprises françaises par des étrangers reste à un niveau élevé alors que l’investissement en Allemagne est un investissement étranger vers l’Allemagne beaucoup plus productif concernant beaucoup moins d’achats d’entreprises.

Nous verrons à l’avenir si Macron continue à tenir fermement le manche. L’investissement productif devrait s’accélérer en France. Mitterrand est l’un des plus grands malfaiteurs de l’industrie française. Il aurait fallu soutenir l’industrie, lui permettre de s’améliorer, d’être moins polluante, de mieux payer et d’être plus productive mais au lieu de cela, on l’a assassiné. Imaginer que les services allaient remplacer l’industrie était une monstruosité.

Dans la comptabilité publique en France, l’ingénierie industrielle et l’ingénierie informatique pour l’industrie ne sont pas comptabilisés comme des éléments de l’industrie, nous sommes arrivés à un tel point que l’on a  diminué jusqu’à 13 % la part de l’industrie dans le PIB. Comment peut-on n’avoir que 13 % alors que 80 % de nos exportations sont de l’industrie ?

En Allemagne, par exemple, toute l’ingénierie à caractère industrielle et informatique sont comptabilisées dans l’industrie. L’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) retraite la part de l’industrie des pays modernes, l’industrie française est retraitée à 19 %.

Pourquoi au niveau international l’industrie française est-elle de 19 % alors qu’au plan de la comptabilité française elle n’est que de 13 % ? Nous sommes cinglés. Les méfaits de la haute caste politique et de la haute caste administrative sur l’industrie sont terribles.

Les choses sont en train de changer et j’espère que  cela va continuer. À la demande de Nicolas Sarkozy, j’ai participé à la constitution du « grand emprunt » que l’on nomme aujourd’hui investissement d’avenir avec mon ami Ricol. Ce dispositif est particulièrement orienté sur la R&D avec un fort caractère industriel.

Sarkozy a fait deux choses très importantes : le grand emprunt et les états généraux de l’industrie dont on commence aujourd’hui à mesurer les effets. C’est le moment où l’on a restructuré les filières qui sont aujourd’hui au nombre de 16 contre 13 auparavant. Il a réussi à les faire parler ensemble.

Dans le secteur de l’automobile, il a forcé Renault et Peugeot à se regrouper à travers la création de la  plate-forme automobile 1 et 2. Aujourd’hui, des acteurs comme Louis Gallois encouragent les regroupements et favorisent les réflexions communes. On le voit à travers la puissance de l’UIMM (Union des industries et métiers de la métallurgie) et les actions de d’Armanian et autres que l’industrie a repris un corps et incarne de nouveau une puissance. Ce sont des facteurs très encourageants.

Nous sommes repartis sur la bonne route. Les jeunes entrepreneurs de 25-35 ans sont fantastiques, leurs ambitions ne se bornent pas la France ils visent le monde, ils sont frustrés de ne pas pouvoir vendre sur Mars et la Lune. Si le client est en Australie, ils n’hésitent pas à aller en Australie.

Quelle  est votre définition du libéralisme ? L’économie française peut-elle aujourd’hui être qualifiée d’économie libérale ?

Je reviens à la définition initiale du libéralisme, il n’est absolument pas question de ce que la gauche et l’extrême gauche place sous le terme de libéralisme. Le libéralisme est basé au départ sur les valeurs de liberté dans un équilibre social. L’idée est de laisser les entreprises s’exprimer et se développer avec le moins de contraintes possibles tout en se construisant sur un équilibre social.

Ce que l’on nomme aujourd’hui ultra-libéralisme est ce que j’appelle l’hyper capitalisme. Nous sommes dans des stratégies d’accumulation et de concentration du capital, déjà décrites par Karl Marx, que je dénonce avec virulence. Nous sommes en train de détruire la poule aux œufs d’or. Je défends le libéralisme avec un indispensable équilibre social et je dénonce l’hyper capitalisme – il ne faut pas mélanger les choses.

Faut-il transformer le capitalisme ?

Le sujet sur la responsabilité des entreprises dans le code civil posé par Emmanuel Macron et Muriel Pénicaud est névralgique car nous sommes en train de pourrir la planète de toutes les manières. Lorsque des personnes comme Steve Jobes accumulent des fortunes excédentaires de plus de 100 milliards de dollars qui ne servent à rien, on est en droit de s’interroger.

Il devrait baisser le prix de ses ordinateurs afin que les gens puissent accéder plus facilement à l’informatique, ce qui ne l’empêcherait pas de manger à sa faim chaque jour. Tout le monde s’extasie lorsqu’il redistribue 40 milliards mais ce sont des actions qui n’ont pas de grands effets. La vraie action consisterait à baisser le prix de ses matériels dans une forme de générosité directe. Lorsque je vois la difficulté éprouvée par les petits artisans pour faire vivre 15 compagnons, je me dis que nous vivons dans un monde de fou.

Il existe aujourd’hui deux capitalismes : le petit capitalisme comme le mien qui prête attention aux gens, à ses clients et à ses fournisseurs et l’autre capitalisme contre lequel je me bats ardemment bien qu’étant de droite libérale. Ce capitalisme est en train de tout détruire à force de cupidité.

Vous militez pour une « réhumanisation » de la relation client-fournisseur altérée par la mondialisation et les nouvelles technologies. Quels sont les enjeux associés ?

L’enjeu majeur réside dans la performance globale. Lorsque l’on ne fait pas, on est dans la recherche de performance individuelle. Philosophiquement, la performance globale et la performance individuelle ne sont pas sur le même plan. La performance globale est la conscience que nous sommes dans un écosystème et que la performance globale permet de gagner plus qu’une simple recherche égoïste de performance.

La structuration des filières sollicitée par Sarkozy aboutit aujourd’hui. Les travaux réalisés au GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) afin de tendre vers une performance globale ont un intérêt manifeste. La « réhumanisation » conduit à une performance globale qui est toujours supérieure à la somme des performances individuelles. Le respect des individus est un paradigme essentiel.

Lorsque j’étais médiateur, j’ai vu Michel-Edouard Leclerc traiter les fournisseurs comme des moins que rien. Il les convoquait à 8h du matin pour les faire passer à 18h sans même leur donner à boire et à manger. J’ai dénoncé publiquement ces pratiques ignobles. Michel-Edouard Leclerc m’a traité de « sale con », ce à quoi je lui ai répondu être réjoui d’être un « sale con » à ses yeux, en même temps qu’un dieu aux yeux de ses fournisseurs (6000 en France) – ils le détestaient profondément. Les choses se sont améliorées depuis.

Il est essentiel de respecter les individus dans les relations clients-fournisseurs. Le respect de lois est également crucial. Nous disposons en France d’un arsenal législatif largement suffisant pour faire en sorte que cette relation se passe harmonieusement. On ne respecte pas la loi, et pour autant, on est assez rarement sanctionné.

Lorsque j’étais médiateur, j’ai sollicité à plusieurs reprises la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) sur des cas extrêmes. La médiation a le mérite d’établir une relation soft entre les clients et fournisseurs, le but étant d’arriver à les faire dialoguer afin de trouver ensemble une solution. Le taux de succès des médiations est de 66 %.

Deux fois sur trois, les clients et fournisseurs cessent donc de s’invectiver, commencent à s’écouter et trouvent ensemble des solutions. Cette magie s’opère car vous faites appel à la profondeur de l’humain. Le respect de l’humain, le respect des lois et la performance globale sont les solutions de ce sujet.

Comment passer de l’amélioration conjoncturelle à la croissance durable ?

La croissance durable est un sujet qui va nous occuper dans les années à venir, il nous faut encore trouver l’équilibre entre économie et écologie. La réforme du code civil s’inscrit dans cette philosophie, une entreprise n’est pas seulement responsable vis-à-vis de ses fournisseurs, elle est également responsable vis-à-vis de l’environnement.

Selon une étude récente, on dénombre 1,25 million de micro-déchets plastique dans 1 km2 de Méditerranée produits dans les entreprises. Les entreprises doivent prendre conscience de ce sujet, qu’elles l’acceptent et que cela rentre dans de nouveaux critères de fonctionnement. Lorsque cela est bien traité, on se rend compte que ce n’est pas ce qui va dégrader la compétitivité.

D’où tenez-vous votre passion pour l’art contemporain ?

Je la tiens de mon père. Fils d’agriculteur malade, il avait une ouverture à la culture qu’il a transmise à ses enfants. L’esprit de collection est une sorte de névrose, le fait d’entasser des objets n’est pas quelque chose de normal. Je suis un névrosé non-psychopathe dans la mesure où je contrôle ma névrose.

Jeune entrepreneur, j’ai rapidement gagné de l’argent. Un vieux copain collectionneur m’avait emmené dans des salles des ventes et initié à l’art contemporain. J’ai eu le comportement de celui qui construit, comparant une collection à un grand puzzle dont on cherche chaque pièce.

L’œuvre d’un collectionneur, c’est sa collection qu’il construit avec les œuvres des autres. Je suis animé par ce besoin de construction et en tant que chef d’entreprise, ce besoin de « build-up » est comparable à la construction d’une collection. J’ai une collection non spéculative qui se manifeste le plus souvent à travers du mécénat ou des actions de soutien.

Chaque collectionneur est unique et les motivations sont très différentes. François Pinault s’inscrit dans une dimension spéculative de l’art mais à côté de cela, il dispose d’une collection personnelle absolument magnifique que l’on ne voit jamais, c’est un vrai collectionneur. Bernard Arnault, quant à lui, n’est pas du tout un collectionneur, il travaille l’art à travers la collection qu’il présente à la Fondation Louis Vuitton dans le Bois de Boulogne. C’est une œuvre utile dans la mesure où elle donne accès à l’art à beaucoup de gens à travers de magnifiques expositions, mais il n’est pas dans une démarche spéculative dans la mesure où il ne revend pas d’œuvres.

Il s’en sert comme image de marque pour LVMH dans un axe de communication. Quant au stratège Michel-Édouard Leclerc, il n’est également pas un collectionneur dans l’âme, il a réhabilité le bâtiment où son père a commencé à Landerneau. Il se sert de ce bâtiment du premier magasin Leclerc comme outil de communication. J’ai du mal à comprendre le collectionneur qui vend de son vivant et je m’intéresse de près au profil psychologique du collectionneur.


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