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Guila Clara Kessous reçoit le prix Women Empowerment

Au Festival de Cannes, il y a, aussi, les évènements importants organisés par Manuel Collas de La Roche, le fondateur de Better World Fund. Pour ce-dernier, « le parcours atypique et exceptionnel, ainsi que la qualité de l’organisation de ses conférences et des masterclass concernant le droit des femmes » explique cette remise de prix. Eclairage-interview de la disciple de feu Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix de 1986.

@jcgenton

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce prix et sur cette fondation : Better World Fund ? Si j’ai bien compris, vous faites parties des femmes qui construisent le monde meilleur d’aujourd’hui et de demain, n’est-ce pas ?

Guila Clara Kessous : Oui, c’est vraiment incroyable, car mon travail humanitaire est plutôt discret, puisque je n’ai pas de réseaux sociaux ou de site internet. Lorsque Manuel Collas de La Roche, le fondateur du Better World Fund m’a contactée, j’ai été très surprise car, aujourd’hui, le travail d’accompagnement que je fais pour les femmes victimes de syndromes post-traumatiques par l’art-thérapie reste assez confidentiel. Et, il est, surtout, connu au sein du réseau de l’UNESCO (NDLR : Organisation des Nations-Unies pour l’éducation, la science et la culture). J’essaie de toutes mes forces de construire un monde meilleur. Un monde plus égalitaire, notamment, autour de la grande question de la place dans le monde de la diplomatie féministe qui reste une grande cause que soutient la France.

Qu’entendez-vous par « diplomatie féministe » ?

Comme tout ce qui touche à l’égalité, c’est un concept qui nous vient des pays du Nord, qui sont profondément avant-gardistes sur la parité homme-femme. C’est la raison pour laquelle, j’ai invité la Première Dame d’Islande à la masterclass sur l’égalité, au Festival de Cannes dans le cadre de ce prix. L’expression de « diplomatie féministe » est née en Suède, initiée par l’ancienne ministre des Affaires étrangères suédoise Margot Wallström, qui consiste pour un État à promouvoir, au travers de ses relations diplomatiques, des idéaux et des bonnes pratiques pour atteindre « l’égalité entre les sexes ». Il s’agit, également, de garantir « à toutes les femmes et les filles la jouissance de leurs droits fondamentaux ». La « diplomatie féministe » a, notamment, pour objectif de lutter contre les violences sexuelles et sexistes, de promouvoir l’éducation pour tous, d’aider à l’émancipation économique des femmes à travers le monde et de soutenir l’entreprenariat féminin. Enfin, elle invite à associer les femmes à la politique et aux décisions engageant l’avenir de leurs pays lors des négociations et des accords de paix. C’est surtout là que j’interviens en faisant signer les Accords Internationaux de Diplomatie Féministe à des femmes et des hommes dans les gouvernements du monde entier. Les premiers accords, sur lesquels je me suis penchée, furent l’équivalent féministe des Accords d’Abraham que j’ai intitulé « Les Accords de Sarah et Hajar » du nom des deux femmes d’Abraham entre les pays signataires. Aujourd’hui, je suis focalisée sur les Accords de diplomatie féministe entre les 54 pays africains et les Accords internationaux pour recréer une cartographie de femmes participant au même titre que les hommes à la gouvernance du monde.

@jcgenton

Concernant le prix que vous venez de recevoir, à l’heure où les conflits se multiplient presque partout dans le monde, est-il une bonne nouvelle pour notre humanité qui dégringole un peu, voire beaucoup dans certaines régions du monde ?

C’est vrai que la violence de notre monde est telle qu’elle remet en question la nature de l’humain à faire le Bien. C’est d’autant plus terrible dans différentes régions où j’interviens comme le Congo où les crimes sexuels à l’égard des femmes se multiplient avec une cruauté sans limite. Quelle horreur de constater que des petites filles âgées de quelques mois sont concernées. Je pense que face à ces ténèbres qui se multiplient, il faut plus que jamais soutenir les passeurs d’espoir qui, au travers de leurs actions, apportent la lueur nécessaire pour la survie de notre humanité. En répondant cela, je pense au Dr Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix (NDLR : en 2018, il est l’auteur avec le Dr Guy-Bernard Cadière du best-seller : Réparer les femmes), qui opère à l’hôpital Panzi au Congo pour « réparer » ces femmes mutilées. C’est par le courage de ces initiatives individuelles majeures que nous pourrons tous collectivement tenir…

Avant de parler davantage de ce que vous avez fait, rappelez-nous : qui êtes-vous ?

Je suis Artiste de l’UNESCO pour la Paix et j’utilise les techniques théâtrales pour aider à la reconstruction personnelle. Grâce à la dramathérapie et la bibliothérapie (le soin par la lecture), j’accompagne des populations victimes de syndromes post-traumatiques (Congo, Rwanda, Bangladesh, etc.). J’utilise ces mêmes techniques théâtrales au service des dirigeants dans le secteur privé et public pour les aider à trouver un leadership plus authentique. Je partage ainsi mon temps entre l’aspect humanitaire de soutien aux populations en souffrance et le coaching en institutions publiques ou privées. Mon public, tant au niveau humanitaire qu’au niveau du coaching, est essentiellement féminin. Aujourd’hui, je suis à l’initiative d’un projet sur l’entreprenariat diplomatique en mettant en place des Accords internationaux de diplomatie féministe, proposant aux femmes des différents gouvernements du monde de s’unir pour pouvoir être plus présentes dans le monde diplomatique, pour enfin pour plus peser dans la façon de gouverner le monde.

Si j’ai bien compris tout ce que vous réalisez aujourd’hui est le fruit de votre rencontre avec le célèbre Prix Nobel de la Paix Elie Wiesel. Il est votre mentor. Aujourd’hui, selon vous, que dirait-il de notre monde ?

Ma rencontre avec Elie Wiesel et le travail de doctorat que j’ai pu mener avec lui a marqué un tournant profond dans ma vie. C’est d’une certaine manière lui qui m’a fait prendre conscience de l’importance de l’art dans la transmission mémorielle tout en ayant conscience de la nécessité du politique. En effet, Elie Wiesel était un conteur hors pair et avait une profonde aura lorsqu’il évoquait ses idées sur le monde. Je pense qu’il aurait réagi à ce qui se passe actuellement avec toute la sagesse dont il savait faire preuve. Il aurait condamné la violence gratuite et fait un appel de solidarité avec les victimes comme il l’a fait pour le Darfour ou à Sarajevo. Il nous rappelait souvent le danger de l’indifférence et il appellerait le monde à un mouvement d’empathie international pour faire cesser les conflits.

Vous êtes Artiste de l’Unesco pour la Paix, cela veut dire quoi, concrètement ?

C’est Elie Wiesel qui m’avait recommandé auprès d’Irina Bokova, alors directrice générale de l’UNESCO en 2012, pour être Artiste de l’UNESCO pour la Paix. Nous sommes plusieurs à tenter de défendre les valeurs humanistes de l’UNESCO à travers l’art, et, en ce qui me concerne, le théâtre. Je me définis ainsi comme « artiviste », ce qui veut dire que je suis à la fois « artiste » et également « activiste ». Je dirige, depuis plus de cinq ans maintenant, la journée internationale des droits des femmes intitulée « Femina Vox » sous l’égide de l’UNESCO. Chaque année une trentaine de participants nous expliquent leur point de vue et la situation des femmes dans le monde. Ingrid Betancourt, Eve Ensler, Denis Mukwege, Claudia Cardinale, la Grande Duchesse de Luxembourg ainsi que de nombreuses Premières Dames sont des exemples d’intervenants de premier plan. Il y a, aussi, de nombreux activistes sur le terrain (en Afghanistan, en Syrie, en Ukraine, etc.) pour donner véritablement la « température » des droits des femmes dans le monde. Je dirige, en plus, la Journée Mondiale de l’Art qui relie Art et Dignité Humaine présentant de nombreuses tables rondes sur Art et soin, Art et éducation à la Paix, Art et engagement. Les participants sont très engagés sur le terrain : comme ce directeur d’hôpital faisant appel à l’art thérapie, le célèbre street artist JR, ou encore le pianiste chinois Lang Lang. On peut retrouver toutes leurs interventions en ligne, sur le site de l’UNESCO.

Ce qui est étonnant, voire remarquable, chez vous, c’est que vous êtes très ouverte d’esprit. Les religions ne sont pas un obstacle pour vous. Vous voyagez beaucoup et vous vous impliquez dans beaucoup de causes humanitaires. Lesquelles exactement ?

En fait, c’est l’art qui est remarquable. L’art est un langage universel, et le théâtre est l’art de la communication par excellence. Parce que c’est un art total, qui fait appel, à la fois, à l’art de la parole mais, également, à l’art du geste, du mouvement. Il fait appel, à la fois, à la tête, au coeur et à l’esprit. L’art dramatique permet une union puissante entre les êtres d’où qu’ils viennent. Les religions ne sont ainsi absolument pas un obstacle puisque leur côté « spectaculaire » ou « cérémonial » vient en résonnance d’une dimension théâtrale plus « humaine ». Je suis, ainsi, impliquée dans le dialogue interreligieux avec des spectacles appelant aux versets portant sur la paix et qui sont présents dans toutes les religions. J’œuvre sur le terrain pour Radio Begum, seule radio pour les femmes tenue par des femmes, et qui continue d’émettre à Kaboul en Afghanistan. Elle diffuse des programmes, notamment, pédagogiques à l’attention des filles qui sont interdites d’aller à l’école.

Vous êtes très active, non ?

Oui, c’est vrai. Mais parce qu’il faut l’être, chacun à son niveau. Il y va de notre responsabilité d’être humain. Je souhaiterais, d’ailleurs, évoquer une cause importante que je soutiens, au travers de l’association « 2082 ». Elle a pour objectif d’accompagner les femmes dans la négociation salariale. Une autre cause qui me tient, également, à cœur est celui de notre environnement social. Il nous faut mieux le comprendre, pour mieux s’en inspirer en terme relationnel. J’utilise beaucoup l’expression de « permaculture sociale » dans mes séances de coaching, pour que les gens comprennent l’importance systémique qu’il y a à revenir à des liens plus harmonieux en termes de positionnement social.

Egalement, je soutiens l’initiative « 4 pour 1000 ». C’est un mouvement avec lequel j’ai eu la chance de co-organiser, également avec l’organisation Heartfullness, une conférence dernièrement sur la thématique de la « restauration des sols ». Je suis intervenue pour modérer cette table ronde en présence d’une personne éminemment charismatique Daaji, qui est à l’origine de Khana Shanti Vanam, modèle d’innovation agricole en Inde.

Quel rapport avec l’UNESCO ?

Les causes que je soutiens s’inscrivent dans le cadre du plan d’action présenté à la direction en tant qu’Artiste de l’UNESCO pour la Paix. En ce qui me concerne, mes actions se font en collaboration avec deux pôles de l’UNESCO bien précis : la division des sciences humaines et sociales (pour la Journée mondiale de l’Art que je dirige par exemple), et, celle de l’égalité des genres (pour la Journée Internationale des Droits des Femmes que je dirige également). Mais je tiens à préciser que je ne suis pas employée par l’UNESCO. Mon titre est honorifique. Cet engagement me permet de défendre les nobles valeurs humanistes de l’UNESCO tout en donnant la part belle à la philanthropie pour soutenir ces initiatives d’« entreprenariat diplomatique ».

Revenons à votre prix. Quels en sont, déjà, les conséquences pour vous et vos actions ?

Ce prix pour moi est une très belle reconnaissance et m’a permis, déjà, de mettre en lumière l’incroyable travail de la Première Dame d’Islande que j’ai convié à cette soirée pour, également, lui remettre un prix. Le travail qu’elle fait pour permettre aux « Sprakkar », à ces femmes fortes – comme on les appelle en islandais d’émerger (peu importe leur éducation ou leur niveau social) – est absolument admirable…Rappelons qu’aujourd’hui l’Islande reste le premier pays en termes d’égalité et de parité.

Parmi les personnalités que vous avez rencontrées, en dehors d’Elie Wiesel, il y a le Pape François. Est-ce qu’elles vous inspirent ces personnalités ? En avez-vous rencontré d’autres ? J’imagine que vous auriez aimé déambuler et discuter avec Gandhi, Nelson Mandela et Jean-Paul II ?

Eh bien, figurez-vous que c’est ce que je vais bientôt organiser.

Je travaille à une rencontre avec la petite fille de Martin Luther King, la petite fille de Gandhi et le petit fils de Nelson Mandela, qui aura lieu le 21 septembre prochain, lors de la Journée internationale des droits humains. Nous avons, cruellement, besoin de leurs messages dans notre monde actuel. Dans le cadre des Accords internationaux de diplomatie féministe, je devrais rencontrer prochainement Hillary Clinton. J’ai hâte de vous en faire un compte-rendu ! Mais plus que l’aspect médiatique d’une personnalité, ce qui me frappe, dans les personnes que je rencontre, ce sont ces femmes et ces hommes tous volontaires qui veulent faire du bien autour d’eux. Il y en a plus qu’on ne le pense… et ce sont vraiment eux qui m’inspirent le plus !

Quel est votre agenda du mois de juin et de cet été : un nouveau livre, une nouvelle pièce de théâtre, un film ?

En juin, je serai à Strasbourg, la capitale du livre pour participer en tant que comédienne pour interpréter le texte « Des mots contre les violences faites aux femmes » d’Eve Ensler. J’interviendrai, également, pour les Conseillers du Commerce Extérieur de la France (CCE) sur la notion d' »intelligence situationnelle », à partir de l’improvisation théâtrale. En juillet, il y aura les rencontres du Cercle des Economistes d’Aix en Provence, lors duquel j’interviendrai sur une table ronde intitulée « Le coût d’une société dominée par les hommes » aux côtés de Jean-François Copé, Devika Gobal Agge, Memory Kachambwa et Kudsia Batool. Également en juillet, une masterclasse que j’organise sur « Les Femmes et le jazz » lors du Festival de Jazz de Marciac. Enfin, l’Egypte pour continuer à faire signer des femmes aux gouvernements dans le cadre des Accords Internationaux de Diplomatie Féministe. Tout cela bien sûr ponctué de coachings secteur public/privé et d’interventions dans des associations de lutte contre les violences faites aux femmes.

Un dernier mot sur le Festival de Cannes. J’imagine que vous avez vu des films. Lequel avez-vous préféré ?

Eh bien, je vais vous décevoir. Figurez-vous que j’y suis venue en aller-retour. J’ai, donc, assisté au Gala du World Better Fund pour recevoir le Prix du Women Empowerment et faire le lendemain la masterclasse en présence de la Première Dame d’Islande. Mais, je n’ai pas eu la chance de voir de films, car j’étais attendue le lendemain à Tanger, au Festival Mata qui est une initiative soutenue par Sa Majesté Le Roi du Maroc Mohammed VI mise en œuvre de façon spectaculaire par Nabil Baraka. Outre la beauté des traditions de ce festival, c’était également une façon de me reconnecter à ce pays, qui est en ce moment en pleine réflexion sur la Moudawana autour des droits des femmes dans le Code de la Famille.

Propos recueillis par Antoine Bordier

Pour en savoir plus sur le prix : Better World Fund

Sur les activités de l’UNESCO :  UNESCO

www.feminavoxforum.com
www.worldartdayforum.com


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