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En Irak, les investisseurs étrangers boudent un pays en crise

Entreprendre - En Irak, les investisseurs étrangers boudent un pays en crise

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En Irak, la corruption endémique continue de faire des ravages dans toutes les couches de la société. Pour les entreprises étrangères qui tentent de s’implanter sur le marché irakien, le complexe environnement des affaires rend les retours sur investissement plus qu’incertains. Le français Orange et le koweïtien Agility en ont fait les frais et tentent, devant des tribunaux internationaux encore sourds à leurs demandes, de récupérer les centaines de millions d’euros perdues dans le pays depuis l’« affaire Korek ». Depuis 2013, les investissements directs à l’étranger en Irak sont négatifs et les investisseurs fuient le pays.

[Droit de réponse de Sirwan Barzani]

Pour Orange et Agility, l’aventure irakienne a tourné au cauchemar

En 2011, le géant français des télécommunications Orange tente de s’implanter en Irak, où les perspectives de croissance sur le marché de la téléphonie mobile sont prometteuses. L’introduction du groupe français en Irak prend la forme d’une joint-venture, créée en partenariat avec Agility Public Warehousing Company, une société koweïtienne de logistique, l’un des leaders mondiaux du secteur. Ensemble, ils investissent dans Korek, un acteur majeur irakien la téléphonie mobile, très présent au Kurdistan irakien, et en acquièrent 44 % des parts. L’investissement global s’élève à 800 millions de dollars, dont 430 millions pour le français Orange. Dès le départ, cette décision n’était pas sans risque, l’environnement irakien des affaires étant soumis à de puissants remous internes. Pourtant, Orange affirme avoir mené en amont toutes les investigations nécessaires pour sécuriser ses investissements.

Mais en 2014, la Communications and Media Commission (CMC), le régulateur national du secteur, invalide le contrat et donne la participation d’Orange et d’Agility dans Korek à ses anciens propriétaires. Parmi eux, un membre de la famille Barzani, l’une des plus puissantes du Kurdistan irakien, connue pour son emprise tentaculaire sur les milieux politiques et économiques.

Après avoir épuisé les recours juridiques irakiens, Orange et Agility se tournent vers les arbitrages internationaux. Dès février 2017, Agility dépose une requête pour arbitrage à l’encontre de l’Irak en application de la Convention sur le règlement des litiges en matière d’investissements entre les États, mais aussi au nom d’un accord bilatéral signé entre le Koweït et l’Irak portant sur la promotion et la protection réciproque des investissements. Un cadre juridique clair supposé protéger les investisseurs étrangers dans le pays. Mais ce n’est qu’en juillet 2019 qu’un tribunal d’arbitrage international est définitivement constitué pour juger le fond de l’affaire. La douche froide n’arrive finalement qu’en février dernier, quand le tribunal du Centre international pour le règlement des différends entre États (CIRDI), organe de la Banque mondiale, composé de Cavinder Bull, John Beechey et Sean Murphy, se prononce en faveur de l’Irak et refuse donc de reconnaître les faits d’expropriation. Pour Agility, la décision est « fondamentalement imparfaite ». En effet, plusieurs zones d’ombre pourtant décisives, dont les — très — nombreux soupçons de corruption, n’ont pas été investiguées par le tribunal.

De son côté, Orange a lancé une procédure judiciaire similaire contre l’État irakien pour « expropriation » en mars 2019, après avoir échoué à conclure un accord avec le gouvernement du pays. La décision ne devrait pas advenir avant plusieurs mois pour le groupe français, qui craint de connaître un destin très similaire à celui d’Agility.

La décision du tribunal international entachée de soupçons

Pourquoi les soupçons de corruption n’ont pas fait l’objet d’une enquête du tribunal international ? Le 23 octobre dernier, le magazine Libération a pourtant consacré une enquête sur les liens troubles entretenus par les propriétaires de Korek, dont Sirwan Barzani, des hommes d’affaires libanais et des membres de la CMC. Libération affirme ainsi que plusieurs cadres dirigeants de la CMC auraient fait l’objet de « cadeaux » en nature de la part d’acteurs intéressés au dossier, juste avant qu’ils ne prennent la décision d’« exproprier » Orange et Agility. Des accusations similaires ont été avancées par le Financial Times en novembre 2018, qui affirme que Pierre Youssef, un « partenaire commercial de longue date » de l’un des directeurs indépendants de Korek a acheté une maison à Londres pour un cadre dirigeant de la CMC, Ali Naser Al-Khwildi. Plus largement, les documents d’arbitrage, consultés par le Financial Times, évoquent des « paiements en espèces et des transactions immobilières néfastes ». La temporalité de ces « cadeaux » — juste avant la décision de la CMC — a très fortement jeté le trouble sur l’impartialité et l’indépendance du régulateur.

D’autant que la réputation du pays aurait pu alerter les juges internationaux. En Irak, la corruption est une maladie chronique. Chaque année, le pays occupe les bas-fonds des classements internationaux. À l’indice de perception de la corruption, publié chaque année par Transparency International, l’Irak occupe la 160e place. Le pays est aussi 172e au classement Doing Business de la Banque mondiale, qui mesure la facilité de faire des affaires dans les différents pays du monde. La COFACE, spécialiste des risques, souligne la « corruption endémique » et la « déficience des institutions » qui minent le pays. Un faisceau de preuves qui s’inscrit dans un contexte généralisé de corruption permanente et de faiblesse des organismes de contrôle.

La décision du tribunal international pourrait, demain, encore plus refroidir les décisions d’investissements de certaines entreprises dans le pays. Alors que l’Irak semble en avoir bien besoin. La défiance des investisseurs étrangers est bien ancrée depuis plusieurs années. Depuis 2013, les IDE en Irak sont en chute libre et ont atteint, en 2018, une perte record de -4,8 milliards USD.



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