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Emmanuel Macron : « Aucun mea culpa »…

Entreprendre - Emmanuel Macron : « Aucun mea culpa »…

Par Catherine Muller

« Je peux vous affirmer que je n’ai aucun mea culpa à faire, aucun remords, aucun constat d’échec », a affirmé Emmanuel Macron en s’adressant à nous le 25 mars dernier, pour faire le point sur la situation sanitaire de la France. À peine reconnaîtra-t-il, quelques jours plus tard, un léger « nous avons commis des erreurs», sans préciser lesquelles, tout en se satisfaisant une fois de plus d’avoir, selon lui, fait mieux que nos voisins. Un discours qui pourrait sortir tout droit du théâtre de Jean-Paul Sartre dont  l’un des personnages affirme, « je n’ai qu’un seul juge, moi, et je m’acquitte » !

Le Président n’est pas le premier politique français à jouer sur les mots pour se donner un meilleur rôle dans les événements ; on se souvient d’une autre phrase devenue « culte », « je suis responsable mais pas coupable », prononcée il y a trente ans par Georgina Dufoix, alors Ministre des Affaires Sociales, au moment de l’affaire du sang contaminé. Faire de la culpabilité une notion à géométrie variable, modulable en fonction des circonstances, est une attitude apparue au XXe siècle, et bien mise en évidence par le psychologue américain Stanley Milgram au milieu des années soixante.

Dans sa célébrissime expérience, ce psychologue de l’Université de Yale a démontré que, si vous fournissez l’alibi d’un « intérêt supérieur », tel le progrès social ou le bien-être de l’humanité, vous pouvez amener à peu près n’importe qui à faire à peu près n’importe quoi, et sans qu’il s’en sente le moins du monde coupable ! Preuve que notre « vernis d’humanité » est bien fragile, comme l’a écrit le philosophe Michel Terestchenko.

Freud et Julius

Que la nature humaine ne soit pas bonne, on le savait depuis l’Antiquité, mais Freud en son temps fit scandale en traitant, non pas les adultes, mais les enfants, de « pervers polymorphes », les décrivant comme de petits êtres sans aucune innocence ni fraîcheur d’âme . Il s’attira les foudres de toute la bonne société viennoise en osant affirmer que les enfants n’avaient pas que des pensées gentilles, ils avaient  aussi des pulsions sexuelles et des désirs de mort sur les autres. Et tout ce que Freud a découvert sur les mécanismes de l’inconscient, il en a d’abord eu l’intuition en s’analysant lui-même. Il faut dire que sa situation familiale était assez particulière, et lui donnait matière à réflexion ; né  du troisième mariage d’un père déjà âgé avec la très belle et très jeune Amalia, aussi ravissante que fantasque, il passa la première année de sa vie comme dans un conte de fée.

La mère  et l’enfant, « Mutti » et « Sigi », étaient littéralement en admiration l’un devant l’autre, et partageait une relation fusionnelle que rien ne vint troubler, du moins au début. Mais ce temps béni n’aura, hélas, qu’un temps ; nous sommes dans une famille juive pratiquante, et Amalia remplit son devoir d’épouse, elle fait des enfants à son mari. L’arrivée du bébé Julius casse pour toujours le rêve enchanté du petit garçon, qui s’en ouvrira, des années plus tard,  à Wilhelm Fliess, son disciple, ami et frère de substitution. Dans une lettre datée du 3 octobre 1897, il va lui faire cette confidence :  « tout me fait croire aussi que la naissance d’un frère plus jeune que moi avait suscité en moi de méchants souhaits et une jalousie enfantines  et que sa mort (survenue quelques mois plus tard) avait laissé en moi le germe d’un remords ». C’est la première fois qu’apparaît dans la littérature psychanalytique cette notion, le « germe d’un remords », plus connue maintenant sous l’appellation de « sentiment de culpabilité », un sentiment aux contours suffisamment flous pour que chacun l’interprète à sa façon, au goût du jour.

Mais, quelle  que soit sa forme, consciente ou inconsciente, il est là pour nous permettre de faire la part des choses entre ce qui est vraiment bien et ce qui est vraiment mal, c’est la petite voix de notre Surmoi. Elle a peu à peu envahi la société toute entière, à tel point que le maître-mot de la  consolation est devenu: « ce n’est pas ta faute » !

En ces temps de bilan, où l’on commence à entrevoir une sortie de crise prochaine, les experts de toutes les spécialités s’interrogent sur ce qu’il restera, à terme, de constructif, de cette longue parenthèse où nous vivons une sorte de « vie en marge de la vie ». Certaines réponses se trouvent déjà dans l’Histoire : ainsi, après la pandémie de la peste noire, il y eu l’émergence de la notion de santé publique, avec son corollaire, la prophylaxie ; après la grippe espagnole, ce fut l’essor des médecines que l’on dit maintenant « alternatives », et après les années de tuberculose, la mode du sport dans la nature et des bains de soleil. Et que restera-t-il de la Covid-19 dans la prise en compte du stress post-traumatique ? Un nouveau concept psychanalytique, inventé par Emmanuel Macron, le « sentiment de non-culpabilité » !

Catherine Muller
Auteur de Freud en un clin d’œil (First Editions)
Docteur en psychologie
Member of the World Council of Psychotherapy
Member of the American Psychological Association


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