Je m'abonne

De l’usage du temps dans la gouvernance

Selon un usage ancien qui se vérifie trop souvent, il faut « laisser du temps au temps » !

Entreprendre - De l’usage du temps dans la gouvernance

La chronique économique hebdomadaire de Bernard Chaussegros

Contrairement à ce que voudrait signifier cette formule populaire, qualifier un projet ou un travail d’avoir été « vite fait, bien fait », est généralement le signe qu’il n’est pas abouti, qu’il a été réalisé en dépit du bon sens. Cette assertion, assez générale, s’applique à toutes les entreprises humaines et tout particulièrement à l’activité politique. Et en assistant simplement aux nombreux débats qui nous sont offerts dans les médias, on peut se dire qu’effectivement le bon sens est sans doute l’une des qualités les plus absentes du débat politique.

Cela n’aura échappé à personne, notre époque a cédé aux sirènes de la vitesse et de la rapidité. Bien évidemment, on ne peut pas nier les progrès exceptionnels et parfois même insensés qui caractérisent les technologies en termes de rapidité, et on a le droit, d’ailleurs, de s’en émerveiller !
L’histoire de l’humanité n’est rien sans cette envie et cet appétit de progrès et la vie que nous pouvons vivre au XXIe siècle doit beaucoup aux progrès immenses de la technologie, notamment en ce qu’elle nous fait gagner du temps ! Mais tout doit-il se résoudre au seul gain du temps ? Et le temps fondamental de la nature, comme celui de l’individu, ne doit-il pas être en harmonie avec le temps que l’on doit donner au temps de toute chose, et tout particulièrement celui de la réussite ?

Mais il ne faut pas confondre, comme c’est l’habitude dans notre monde, l’objectif à atteindre et les moyens qui sont mis en œuvre pour y parvenir. On peut avoir une réelle conscience et apprécier les progrès qui ont été faits dans le domaine des transports, de la communication et des sciences en général. On peut se satisfaire que les avions réunissent les continents plus vite qu’au siècle dernier, que l’on traverse notre pays en voiture en moins d’une journée, que des voiliers de course dotés de « foils » sont capables de « voler » au-dessus des océans et des mers à des vitesses prodigieuses, et néanmoins, admettre que notre planète ne met toujours qu’une journée de 24 heures pour tourner sur elle-même, et 365 jours pour faire sa révolution sidérale autour du soleil.

Le temps qui scande la vie humaine est toujours le même et vouloir y déroger n’apporte souvent que désillusion. Avant que les excès de l’industrialisation et que les pollutions qu’elle a suscitées ne bouleversent les équilibres mondiaux naturels, les saisons bien marquées pouvaient accompagner les activités humaines avec rigueur et pondération, dans le suivi des chaînes de production, comme dans le cours de la vie publique. On voit aujourd’hui tout le désordre provoqué par la volonté quasi suicidaire des êtres humains de vouloir tout faire et tout obtenir trop vite. On doit s’en inquiéter ! Le temps de la machine n’est pas celui de l’être humain. Il est donc vain et dangereux de ne pas savoir dissocier les projets des moyens à mettre en œuvre. La définition des projets, les analyses et les études qu’on leur consacre, et enfin la façon dont on en assure la gouvernance, toutes ces étapes prennent le temps dont elles ont réellement besoin ! On peut les parfaire ou les améliorer, on ne doit pas en faire abstraction ou les supprimer ! Et sous prétexte que les outils sont désormais plus performants, on ne peut pas, et pas plus qu’on ne le faisait autrefois, oublier que la part humaine du temps est nécessaire à sa pleine et parfaite réussite.

Ce parallèle est à faire entre le temps de l’entrepreneuriat et le temps politique, et ce, quel que soit le pays dans lequel il est exercé !

Dans les pays occidentaux où les esprits se présentent plus évolués qu’ailleurs de par leur histoire et leurs technologies, mais aussi dans les pays qui vivent une évolution très rapide, parfois trop, avec le désir de rattraper des étapes soi-disant perdues !

Dans notre beau pays , le président de la République s’est curieusement exprimé il y a quelques jours devant des dirigeants de PME pour les alerter sur le fait que l’objectif du plein emploi qu’il s’était lui-même fixé pour son second quinquennat n’était pas atteint. Démontrant ainsi qu’il n’est assurément pas le « maître des horloges » et qu’il ne maîtrise pas les actions économiques de sa politique, il a affirmé « ce n’est pas gagné encore ». Puis il a lancé à ceux qui souhaiteraient que le gouvernement fasse une pause dans ses réformes : « Réveillez-vous, nous n’y sommes pas ! ». Il a en effet constaté que le taux de chômage a enregistré une légère hausse au troisième trimestre, à 7,4% de la population active, ce qui traduit à minima une pause dans la baisse, mais peut annoncer une inversion de la courbe dans le mauvais sens, preuve s’il en était besoin que les résultats économiques du pays sont tributaires de l’activité des entreprises et de la conjoncture, et non des décisions du gouvernement !

Cette intervention du chef de l’État ne fait que confirmer ce que nous savons tous, ce ne sont pas les administrations d’État qui peuvent agir sur les grands agrégats de l’économie, mais bien les entreprises à qui le président vient demander, à gros traits, de se débrouiller pour agir, quoi que puissent affirmer les professionnels de la politique qui, à longueur de campagnes électorales, annoncent des programmes et des résultats auxquels ne pourront jamais parvenir que les entrepreneurs !

Mais les entrepreneurs savent, par expérience, que les résultats ne s’obtiennent pas par un claquement de doigts, en quelques jours, sur des échéances courtes et imposées. Ils savent que la gouvernance d’une entreprise est tributaire du temps, celui de la conception, celui de la définition, celui de la fabrication, celui de la commercialisation et celui du résultat et des bilans. Et les entrepreneurs savent aussi à quel point leur gouvernance est strictement liée à leur rapport à la clientèle et aux besoins propres de celle-ci.

Le temps politique est, quant à lui, lié aux contingences électorales. La question de la gouvernance est donc totalement différente, elle n’est pas conditionnée par des contraintes de rentabilité financière (même si à termes, elle le devrait, par respect pour une gestion rigoureuse de l’argent public).

Elle est, dans l’esprit des hommes et femmes politiques, uniquement liée à leur espoir de se maintenir dans les postes de pouvoir auxquels ils ont réussi à accéder, ou, autrement dit, qu’ils sont parvenus à accaparer.

Le temps politique est également contraint par un aspect finalement relativement pervers dans la mesure où il ressort de la volonté référendaire. Je parle ici, notamment pour ce qui concerne le chef de l’État et donc pour ce qui concerne l’exécutif, de cette désastreuse décision de transformer en 2000 le septennat voulu, pour de bonnes raisons, par le général de Gaulle en 1958, en un quinquennat, une sorte d’américanisation du pouvoir suprême. Chacun sait que le président des États-Unis d’Amérique est élu pour un mandat de 4 ans renouvelable une fois, ce qui fait qu’il passe la moitié de son temps en campagne et l’autre moitié à se battre pour tenter de faire passer des réformes auxquelles s’opposent les chambres.

L’illustration française de ce système infécond tient dans cette affirmation qui est reprise lors de chaque élection par la grande famille des commentateurs politiques : le nouveau président (ou le président réélu) ne dispose que de six mois (d’état de grâce) juste après l’élection, pour faire passer ses réformes. Ne pouvoir œuvrer pour le pays que pendant six mois sur cinq années de mandat, que de temps perdu, mais aussi que d’hypocrisie à vouloir laisser croire à une action de fond !

Voilà donc la raison pour laquelle tout projet gouvernemental est conditionné par ce besoin forcené de vouloir tout « faire vite », et donc « mal », et voilà donc la preuve que le temps politique n’est pas, comme pour une entreprise, une condition satisfaisante et propice à une gouvernance constructive, mais plutôt l’explication évidente des principaux échecs des politiques publiques.

Dans les premières décennies de la Ve République, il existait un Commissariat au Plan, preuve s’il en faut de la nécessité de disposer de temps long ! La réussite de la reconstruction du pays et de la stabilité économique de la France lui doive beaucoup. On ne peut que regretter que le capitalisme humaniste des années soixante ait depuis fait place à un capitalisme du profit privé qui a expulsé le citoyen de la vie publique, de la manière la plus sournoise qui soit.

Si l’on voulait réellement sortir notre pays du marécage dans lequel il s’enlise au fur et à mesure que les élections et les présidents se succèdent depuis l’adoption du quinquennat en 2000, il conviendrait de constater qu’effectivement ce mandat politique empêche la réflexion sur le temps long, que l’action à moyen terme est rongée par les calculs électoraux de réélection et que l’action à long terme ne peut même pas être imaginée. Mais quel devrait être la durée idéale de la mission d’un chef de l’État responsable ? Un retour au septennat, l’adoption d’un mandat renouvelable ou unique, la fixation d’une durée de mandat de 7 ans, voire de 9 ans ? La question reste à trancher. Le besoin, c’est la cohérence, dans la cohérence du temps de l’action ! Mais si on se la pose comme dans le monde de l’entreprise, en se questionnant en termes de gouvernance et de définition des projets porteurs, on doit également s’intéresser à la cohérence des questions et s’obliger à faire de justes constats des lieux.

Un entrepreneur sait qu’on ne peut pas envisager le développement et la gouvernance d’une entreprise sans disposer d’une visibilité sur environ 15 années, ce qui semblerait bien évidemment disproportionné pour la gouvernance d’un État, en l’absence de vrais moyens de contrôles institutionnels. L’histoire et les révoltes prévisibles compte-tenu des inquiétudes actuelles et de la fébrilité du corps social le diront sans doute sous peu ! Mais, en tout état de cause, nous avons tous en mémoire l’exemple d’un président de la République qui a conservé les rênes du pouvoir durant 14 ans, moyennant deux élections en 1981 et 1988, et trois périodes de cohabitation (1986-1988), (1993-1995) et (1997-2002).

Le respect pointilleux de la démocratie a un prix ! Au gré des alternances hasardeuses à la tête de l’État, c’est l’économie d’un pays qui risque de s’affaisser ! Certains diront que les Etats-Unis sont le contre-exemple de cette affirmation, et pourtant, dans ce pays ultra-libéral, ce sont les entreprises et l’économie privée qui impulsent les réformes, qui « drivent » et qui « dopent » les ressources nationales. Mais si l’état joue effectivement son rôle « régalien », c’est avec pour l’objectif prioritaire de préserver les intérêts de la « world wide company ».

En conclusion, l’histoire a démontré que les grandes réformes structurelles et structurantes de notre pays ont toutes été initiées dans le cadre d’un mandat présidentiel de 7 ans, durée minimum à laquelle il faut revenir si l’on veut espérer contrecarrer et infléchir les conséquences perverses de trois décennies d’indécisions et de recul de notre modèle industriel.

Familièrement parlant, pour juger de l’action d’un gouvernement, il faut accepter de lui laisser « les clés du camion » pendant au moins deux mandats de 7 ans minimum. À ceux qui seraient tentés de trouver ce délai trop long, il faut expliquer que c’est le temps nécessaire pour mesurer l’impact d’un projet présidentiel pour lequel une majorité de l’électorat s’est prononcé.

Il est assez fréquent que le peuple rende « le Président » responsable de tous les maux ! S’il en est en effet le « comptable », il n’en est pas forcément le « moteur ». Il a assigné à son gouvernement une feuille de route qui doit correspondre à ses engagements de campagne. À ses ministres la tâche de l’exécuter, et c’est là que le bât blesse ! En effet, comment peut-on réussir à motiver des « intérimaires »? Nul n’ignore qu’ils peuvent « sauter » à l’occasion d’un simple remaniement et qu’ils sont considérés comme de simples cadres de PME. Pour se résumer, on ne recrute pas les meilleurs qui préfèrent « pantoufler » dans le privé pour un confort « oh combien plus douillet » et leurs motivations ne sont bien souvent que très peu en symétrie avec les attentes des concitoyens.

Pour retrouver de la capacité à agir, il faut se « libérer » de certains dogmes :

  • Oui, l’Etat et les institutions peuvent et doivent « commercer » et créer de la valeur (et non de nouvelles taxes et impôts) ;
  • Oui, l’Etat doit s’associer au Privé en créant de vrais partenariats y compris capitalistique ;
  • Oui, les membres du gouvernement doivent être rémunérés à leur juste valeur ;
  • Oui, en rémunérant très correctement l’élite de notre pays, nous aurons des postulants de « haut niveau »
  • Oui, les ministres doivent disposer d’une feuille de route dont ils doivent être responsables ;
  • Oui, les ministres doivent rendre compte de leurs actions et être comptables des deniers publics sur leurs biens personnels ;
  • Oui, les Régions doivent être « autonomes » sur leur territoire, tandis que les missions régaliennes ne peuvent être menées que par l’État ;
  • Oui, un gouvernement qui tient ses objectifs doit être maintenu pour un second mandat ;
  • Oui, la démocratie exige l’existence d’une opposition, mais celle-ci n’a pas pour vocation de susciter le chaos, mais d’être un réel contre-pouvoir pouvant s’opposer à toute tentative de totalitarisme.

    Bernard Chaussegros

Vous aimez ? Partagez !


Entreprendre est un média indépendant. Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités :

Publiez un commentaire

Offre spéciale Entreprendre

15% de réduction sur votre abonnement

Découvrez nos formules d'abonnement en version Papier & Digital pour retrouver le meilleur d'Entreprendre :

Le premier magazine des entrepreneurs depuis 1984

Une rédaction indépendante

Les secrets de réussite des meilleurs entrepreneurs

Profitez de cette offre exclusive

Je m'abonne