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Dans le Haut-Karabakh, la nouvelle guerre sans fin de l’Azerbaïdjan contre les Arméniens

Illustration Wikipedia

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De notre envoyé spécial Antoine Bordier, auteur de Arthur, le petit prince d’Arménie (éd. Sigest)

Les combats qui ont éclaté mardi dans le Haut-Karabakh à l’initiative de l’Azerbaïdjan ont déjà causé la mort d’au moins 32 personnes. Les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh ont annoncé ce mercredi 20 septembre qu’ils déposeront les armes dans le cadre d’un cessez-le-feu, confirmé par les autorités azerbaïdjanaises. Des négociations sur la réintégration de ce territoire disputé avec l’Arménie vont se tenir jeudi dans la ville azerbaïdjanaise de Yevlakh. Reportage.

Ce 19 septembre, à peine le pied posé sur le sol arménien, les mauvaises nouvelles affluent comme un torrent de boue qui se déverse sur la vie des 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh. Comme s’ils ne payaient pas, déjà, le prix cher de leur survie. Puisque l’Azerbaïdjan depuis le 12 décembre 2022 avait commencé à les affamer en fermant la seule route qui relie cette enclave arménienne au reste du monde : le corridor de Latchine. Il est 13h00, quand Ilham Aliev, le dictateur autocrate, donne le feu-vert à ses troupes de bombarder la population. Décryptage sur cette nouvelle guerre qui fait trembler les démocraties.

L’Arménie, petit pays-confetti du Caucase, avec la Géorgie au nord, la Turquie à l’ouest et l’Azerbaïdjan à l’est, l’Iran au sud, fait pâle figure. Elle se réveille avec la gueule de bois des mauvais jours. Ses frères du Haut-Karabakh, de cette enclave arménienne constituée en République non-reconnue internationalement de l’Artsakh – alors que l’ONU reconnaît les droits de l’homme à l’autodétermination – sont en grande souffrance. Leur vie, plus que d’habitude, puisque la dernière arme utilisée par Ilham Aliev était celle de la lente et progressive mort par famine, est menacée depuis 24h. Pour ces vieux chrétiens, la manne ne tombe plus du ciel. Ce sont les bombes qui pleuvent avec abondance. Ilham Aliev, en voyant arriver le mois de septembre 2023, a dû se dire : « Déjà trois ans que j’ai commencé à remporter ma première victoire contre ces chiens d’Arméniens. Je vais finir le travail cette année. Poutine ne bronchera pas. Et, les démocraties non-plus. Les Etats-Unis encore moins. Lors des manœuvres avec l’Arménie, ils ont envoyé moins d’une centaine d’hommes. J’ai les coudées franches. Je vais les écraser rapidement. Cette fois-ci, je ne vais pas mettre 44 jours. Avant la fin du mois, tout sera fini… » Ces mots pourraient être les siens à 100%.

Dans les coulisses des diplomaties occidentales, c’est l’affolement. Un affolement exagéré, presque joué, puisque toutes savaient. Toutes les démocraties savaient, parce qu’elles le voyaient sur leurs images satellites, qu’Ilham Aliev amassaient des troupes en vue d’une nouvelle guerre. D’Israël et de Turquie, des aéronefs ont, cet été, décollé en masse, comme lors de l’été 2020, bourrés de matériels militaires. Un matériel pour servir cette nouvelle guerre.

Une guerre sans fin ?

A son époque la plus glorieuse, l’Arménie s’étendait de la mer Méditerranée à la mer Caspienne. La Turquie n’existait pas, ni l’Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan n’existe que depuis… 1918. La Grande Arménie ? Il faut remonter 2000 ans d’histoire pour la retrouver. Nous sommes au 1er siècle avant JC. Depuis, l’Arménie a perdu 90% de son territoire. Elle a, toujours, été l’objet de convoitises, d’injustices, de jalousies, d’invasions et de persécutions religieuses. Sans doute, parce que l’Arménie est la première nation du monde à embrasser le christianisme, en 301, après JC. Elle est, aussi, le seul verrou contre la barbarie.

Le génocide des Arméniens perpétré par les Turcs est passé par là. Nous sommes le 24 avril 1915. Jusqu’en 1923, plus d’1,5 millions d’Arméniens vont être massacrés. En 1939, Hitler avait dit : “ Qui se souvient des Arméniens ? ” pour justifier la future Shoah. La question est de nouveau posée, avec un léger biais : Qui se souvient des Arméniens du Haut-Karabakh ? Et, la réponse paraît d’une évidence macabre. L’histoire funeste et mortifère, où les hypocrites, les lâches et les traitres, sont plus nombreux que les innocents, que celles et ceux qui ont soif de joie, de justice, de liberté, de paix et de vérité, se répète depuis hier avec force, une force mortifère. Et les démocraties, celles qui peuvent bomber le torse et dire stop aux bombardements ? Elles regardent et dénoncent l’infamie. Mais leur regard est vitreux, leurs paroles sans voix. Dans le Haut-Karabakh, l’enjeu n’est pas seulement de sauver sa peau, celle de ses vieux parents, celle de ses enfants, l’enjeu résonne au-delà pour prendre une dimension géopolitique claire, aux contours de notre planète bleue : c’est la guerre des dictatures contre les démocraties. Une guerre qui ne fait que commencer. Une guerre où les démocraties reculent et perdent du terrain.

Le mois de septembre entre indépendance et guerres

Ilham Aliev annonce ce 19 septembre « avoir lancé des opérations antiterroristes contre les forces séparatistes du Haut-Karabakh ». Cette nouvelle guerre est déclenchée à deux jours du 21 septembre, qui est le jour anniversaire de l’indépendance en Arménie. Ce 21 septembre 1991, c’est jour de fête pour ce pays grand comme la Belgique, qui vit son 1er jour d’indépendance, à la suite de l’effondrement de l’ex-URSS. Pendant 30 ans, la nouvelle démocratie chrétienne pousse au milieu de ses voisins musulmans autoritaires qui s’impatientent pour faire sauter le verrou arménien.

Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan entre en guerre dans le Haut-Karabakh, région que Staline a spoliée et donnée illégalement à l’Azerbaïdjan en 1921, mais où vivent 90% d’Arméniens. Staline avait, d’ailleurs, accepté, dans un premier temps, que ces terres reviennent à l’Arménie. Puis, comme à son habitude, en fonction de ses propres intérêts et du fameux principe qu’il applique avec une efficacité redoutable : “ divisons pour régner ”, il fait volte-face. Lors d’une première guerre entre 1991 et 1994, l’Arménie récupère ses vieux territoires. Ils sont repris, près de 30 ans plus tard, en 44 jours, entre le 27 septembre et le 9 novembre 2020 par l’Azerbaïdjan. 44 jours auront suffi pour martyriser de nouveau un peuple qui ne demande qu’une chose : la paix !

En 24 heures, les informations, qui nous parviennent ce matin de Bakou, établissent que ce sont « une soixantaine » de positions arméniennes qui ont été conquises par l’Azerbaïdjan.

« La valise ou le cercueil »

Pour l’expert et géopoliticien Tigrane Yégavian, « l’Azerbaïdjan lors de la guerre de 2020 n’a pas obtenu tous ses objectifs militaires. C’est-à-dire l’anéantissement de tout le Haut-Karabakh arménien, de son armée et de ses institutions. Puisqu’il y a encore, aujourd’hui, un pouvoir constitutionnel et une république d’Artsakh. En 2020, l’Azerbaïdjan avait conquis 70% de ce territoire arménien, il lui restait 30%. Ces 30% étaient restés sous protection russe. Entre novembre 2020 et maintenant, l’Azerbaïdjan a poursuivi une guerre hybride, de basse-intensité, avec toutes sortes d’exaction comme les coupures d’électricité et de gaz en plein hiver, des tirs quotidiens sur les villageois, dans les champs, etc. Les écoles n’étaient pas épargnées. Et, puis, il y a eu ce blocus du corridor de Latchine où 120 000 Arméniens sont pris en otage. Dans cette terrible tragédie en plusieurs actes, le dernier acte est cette guerre commencée hier. Les Arméniens n’ont plus qu’une seule solution : la valise ou le cercueil. »

Pour l’ancien ministre d’Etat de la République d’Artsakh, Ruben Vardanyan, « la situation est dramatique, l’Azerbaïdjan nous extermine et nous refuse le droit, refuse aux 124 000 Arméniens qui sont ici, le droit de vivre sur leurs terres. Nous n’avions plus le droit de nous déplacer, de manger, de se soigner, d’avoir de l’électricité, du chauffage, d’aller à l’école. Maintenant, nous n’avons plus le droit de vivre. » Puis, dans sa vidéo qu’il a posté hier sur son compte X (twitter) – aujourd’hui il n’y a plus de réseaux – calmement, comme s’il vivait sa dernière heure, son dernier jour, il s’adresse à tous : « Je vous demande de rester avec nous. Je demande à l’ONU, qui réunit son Assemblée Générale, d’arrêter cette agression et de sanctionner la dictature d’Azerbaïdjan. »

La Russie complice et la Turquie ?

Malgré ses 2000 Casques bleus déployés dans la région du Haut-Karabakh pour assurer le cessez-le-feu depuis le 9 novembre 2020, la Russie n’a pas bougé le petit doigt pour empêcher cette nouvelle guerre. « Les Russes se gargarisent d’avoir évacué 1800 civils, mais, en même temps, il y a eu des morts de civils sans qu’ils interviennent », explique Tigran Yégavian. Selon certaines sources Poutine, en personne, aurait donné son feu-vert à cette guerre.  Englué en Ukraine, au moment même où les troupes ukrainiennes sont à l’offensive et reprennent des positions dans la région de Kharkiv, Poutine est obligé de trouver de nouveaux alliés. Ilham Aliev en est devenu un par la force des choses et des jeux stratégiques.

Du côté de la Turquie, membre éminent de l’OTAN, Aliev serait le bras armé d’Erdogan, « dont la priorité, rappelle Tigran Yégavian, est de mettre la main sur le corridor du Zanguezour », cette région du sud qui fait partie intégralement du territoire souverain de l’Arménie.

Le grand-rêve panturquiste en embuscade

Le panturquisme, idéologie nationaliste (certains diraient fasciste) du 19è, consiste à unir les pays turcophones dans un nouvel empire. Le premier acte serait d’ouvrir la voie de communication directe de la Turquie avec l’Azerbaïdjan, en envahissant tout le sud et l’est de l’Arménie, ce qui permettrait de relier directement les deux pays.

Le panturquisme fait de plus en plus recette. C’est le dernier cheval de bataille d’Erdogan, qui entame son ultime mandat. Il y croit de plus en plus. Le 1er août, lors de la visite du ministre des Affaires étrangères azéri à Ankara, il avait abordé le sujet. Cela fait partie de son agenda de président. Ce n’est plus un secret d’Etat. C’est écrit dans le marbre.

Combien de temps faudra-t-il à Aliev et son armée pour régler la question du Haut-Karabakh ? Il lui a fallu 44 jours pour conquérir 70% du territoire arménien du Haut-Karabakh en 2020. Cette fois-ci, ses troupes sont plus aguerries. Elles avancent plus vite. Il pourrait engloutir les 30% restant avant la fin du mois. Et, certains experts parlent, même, de la fin de la semaine. A partir de cette reconquête et de ses morts, commencera alors la mise en place du grand-rêve ! Pour l’heure, alors qu’il y aurait, déjà, une cinquantaine de morts du côté arménien, les Azéris viennent de conquérir plusieurs villages dans le nord du Haut-Karabakh. Ce matin, la guerre est, donc, en cours, comme l’épuration ethnique. Aliev veut effacer toute trace arménienne dans le Haut-Karabakh.

De notre envoyé spécial Antoine BORDIER


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