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Bernard Tapie : itinéraire d’un homme engagé (1/3)

Entreprendre - Bernard Tapie : itinéraire d’un homme engagé (1/3)

La vie de Bernard Tapie fut un roman, rose ou noir, dramatique ou épique, mais elle est un prodigieux mélange des genres. Il a été chef d’entreprise, repreneur de sociétés en difficulté, animateur télé, à la tête d’un club de foot (l’OM, à Marseille, la ville de tous ses rêves et de toutes ses passions), mais aussi député et même ministre ! La « guerre », comme il l’appelle, a commencé lorsqu’il est rentré au gouvernement, en 1992. On aurait pu accepter le reste mais pas qu’il soit ministre…

La privation de liberté, il connaît, depuis 1997, où il passa presque six mois en détention, suite à l’affaire du match OM-Valenciennes. Une épreuve qui l’a marqué, au plus profond de lui-même. Il a écrit sa vie, comme ça, pour « tuer le temps », dans un livre, paru en 1998, au titre révélateur, « Librement » (Editions Plon).

Dans ces pages arrachées au désespoir ou à la force de la vie, il dit toutes ses vérités sur les reproches qui lui sont faits, sur les différentes affaires et sur les jugements que l’on a pu faire sur lui.
Aujourd’hui, parmi les siens, encore plus proches que jamais, malgré sa longue maladie, Bernard Tapie a l’ambition de vivre, de réussir sa vie et de se battre jusqu’au bout sur le plan judiciaire ! Il n’a plus rien à perdre mais tout à gagner…
Ses propos, vrais, poignants, pathétiques, sortent droit du cœur et +résonnent encore plus fort, alors que l’actualité le remet au premier plan. Une belle histoire et une sacrée leçon de vie pour un personnage aux multiples facettes qui n’a pas fini de nous surprendre ! Bernard Tapie se raconte…

Pourquoi son livre « Librement » ?

Entre début février et juillet 1997, pendant toute sa détention, Bernard Tapie écrit sur sa vie. Il se raconte avec son coeur, avec sa foi, mais aussi avec ses tripes :

« Dans la journée, il me faut trouver un autre genre d’évasion, une façon d’oublier les bruits, les rites, les horaires, et surtout les murs. Dès les premiers jours de ma détention, une décision s’impose. Puisque j’ai du mal à me concentrer sur la lecture, je vais écrire… Je vais écrire un livre de vérité ! Je le dois à tous ceux qui m’ont accompagné, aidé, ou simplement encouragé pendant ces années. Je leur dois ma vérité. »

« Aujourd’hui, je suis emprisonné, déshonoré, ruiné, publiquement humilié, mais je crois avoir encore des choses à dire. Que tous ceux qui ont cru en moi lorsque j’étais au fait de la notoriété médiatique, de la réussite économique, sportive ou politique, puissent trouver, s’ils le jugent utile, dans ces lignes, des raisons de ne pas désespérer s’ils rencontrent des difficultés. »

« Rien ne m’a été épargné dans ces dernières années et, cependant, c’est ma ténacité, ma volonté et ma foi que je souhaite leur faire partager. Même après mille échecs et mille défaites, rien n’est jamais définitivement perdu. Je veux dire, aussi, la vérité sur les reproches qui m’ont été faits, sur les différentes « affaires » tissées très méthodiquement pour me confectionner l’habit du scandale, sur des procès publics qui n’étaient que le théâtre des condamnations privées, sur les jugements qui ratifiaient les préjugés, sur les verdicts arrêtés avant même que j’aie été entendu. »

« J’ai occupé ma solitude et j’ai trompé ma réclusion en pensant à ma vie mais aussi à mes projets. Ce livre m’a servi de corde d’évasion. Il représente 1.200 feuillets de notes hâtives, brouillonnées, pressées, rédigées dans l’abattement ou la colère, arrachées au désespoir ou à la force de la vie. J’ai trié, sélectionné, pour ne dire, pour ne retenir que l’essentiel. J’ai dicté ces pages avec douleur, souvent, et avec bonheur, quelquefois. La pudeur a dû élaguer ces pages pour en faire un livre. J’ai seulement voulu dire ma vérité. »

Rétablir la vérité

« Je veux dire la vérité, toutes les vérités. Et d’abord, celle-ci, je ne suis pas un voyou ! Chacun semble penser, aujourd’hui, qu’il est presque naturel, pour moi, d’aller en prison. Comme si ma vie m’y avait prédisposé. Comme si toutes mes actions avaient dû m’y conduire. Comme s’il s’agissait, en somme, d’un aboutissement normal. Inéluctable. On se trompe encore. »

« J’ai probablement fait des erreurs et commis des maladresses, mais je n’ai jamais transgressé délibérément les règles morales que ma famille et mon éducation m’ont donné. Je connais les limites juridiques, les barrières morales et les lois du cœur de toute vie en collectivité. Je les ai toujours respectées. Il est vrai que j’ai toujours été caricaturé. J’ai rarement été montré tel que je suis, mais tel que voulaient me voir ceux qui me décrivaient. »

« Ma soif d’échanger et d’expliquer a été transformée en talent de bonimenteur. Ceux qui me connaissent savent que je n’ai de préjugés sur rien, que je suis sans cesse à l’écoute des autres. Ma passion de la réussite et de la performance a été réduite à une pauvre volonté d’ostentation, à des attitudes de parvenu. Là aussi, on est à mille lieues de ma vérité. Je suis quelqu’un de secret qui déteste se montrer pour le plaisir de le faire et qui n’a aucun goût pour le déballage, les signes matériels de richesse. »

« Mes meubles, ma maison, mon bateau, tout cela a été montré à mon insu et, surtout, depuis que j’en ai été dépossédé. Ma vitalité est devenue, par le trait de la caricature, simple brutalité, comme si je méprisais les autres. Mes proches sauraient dire à quel point je suis éloigné de cette image, mais on ne leur demande rien. Car l’important est d’imposer l’image contre la vérité. A tout prix. »

« Je veux tenter de rétablir cette vérité, d’abord pour les gens qui m’aiment bien. On me dit, et mon courrier en témoigne, qu’ils sont encore nombreux. Et je devine qu’ils me restent attachés malgré tout ce qu’on leur a imposé de penser à mon propos. Je me serais enrichi grâce à mes appuis politiques et j’aurais ruiné le Crédit Lyonnais. J’aurais volé le fisc, donc chacun d’entre eux, alors que j’étais élu. »

« J’aurais, certes, gagné la Coupe d’Europe, mais en pillant l’Olympique de Marseille et en truquant les rencontres sportives. C’est ce qu’on dit à ceux qui ont de l’affection pour moi et qui me défendent encore, malgré tout, contre les attaques de mes adversaires, contre les quolibets de leur entourage, contre tous et, même, contre l’évidence qu’eux-mêmes ont fini par admettre. J’aurais bel et bien commis tout ce qu’on me reproche. »

« Mais ces accusations sont fausses, et je veux le démontrer. J’essaierai, dans ces pages, à la faveur d’une expérience terrible, du malheur qu’elle apporte, des espoirs qu’elle autorise, cependant, de dire ce que je suis, sans rien cacher de mes faiblesses et de mes défauts, ni de mes peines ou de mes joies, qui sont celles d’un homme. D’un homme simple. Beaucoup plus simple qu’on ne le croit ou qu’on ne veut le faire croire. »

« Aider les autres, s’il est possible. Rétablir la vérité à mon sujet, si on veut l’entendre. Ma banlieue, il ne fallait pas en sortir. Mais cette origine plus que modeste, je ne m’en sers pas comme d’un alibi qui me donnerait tous les droits, ni comme d’un argument démagogique pour valoriser mon parcours, encore moins comme d’un prétexte pour expliquer l’inexplicable, mon histoire. »

Une vie pas comme les autres

« J’ai vécu dans cette banlieue jusqu’à mon service militaire… Un environnement où se façonne, presque inéluctablement, l’existence difficile de ceux qui y vivent. C’est là aussi, à l’inverse, que se cultivent la créativité, l’imagination, la solidarité, bref toutes les émotions fortes, les sentiments simples, authentiques et innés. »

« A 15 ans, lorsque je quitte le cours complémentaire de La Courneuve pour entrer à l’Ecole d’électricité industrielle de Paris, à la Porte de Clignancourt, je vais découvrir ce qui me sépare des autres élèves ingénieurs. A leur contact, je me rends compte de toute la différence qui peut exister entre un fils de prolo et un fils de bonne famille. Et là, déjà, j’ai l’envie irrépressible de m’évader, d’échapper à cette fatalité. »

« Mes parents m’ont donné leur amour, beaucoup d’amour. Ils m’ont imposé quelques règles, en particulier sur l’honneur, sur l’amitié, mais ne m’ont remis ni sésame, ni passe-partout pour déverrouiller ces portes blindées qui mènent vers la gloire, le pouvoir ou la fortune, bref vers les sommets comme l’on dit. »

« A l’époque, je n’ai pas une chance sur 1.000 d’être diplômé d’une grande école. Je n’ai pas une chance sur 10.000 de devenir chef d’entreprise, une sur 500.000 de devenir député et une sur 10 ou 20 millions de devenir ministre ! »

« C’est cette insupportable volonté de ne pas admettre ces statistiques qui déterminera mes faits et gestes, avec les résultats que l’on connaît, positifs ou négatifs, certes, mais toujours exceptionnels dans la démesure. Le monde de tous les pouvoirs, je n’avais aucun droit d’y entrer. »

« Je n’ai pas respecté cet interdit absolu. Là où l’on voulait me maintenir, je n’y suis jamais resté. Les lieux que l’on voulait m’interdire, je n’ai cessé d’y pénétrer. Rebelle, insurgé, impertinent, insoumis, inclassable et mal élevé, j’ai toujours refusé aux autres le droit de décider de ma vie. »

Ses débuts dans le monde des affaires

« La fin des années 70 fut l’époque des mutations de notre économie. Chocs pétroliers. Inflation galopante. Transformation radicale de la production par l’automation et par l’informatisation. Concentration de la vente dans les grandes surfaces. Ouverture du marché français aux entreprises étrangères et, réciproquement, accès de nos entreprises à des marchés étrangers. Délocalisation des productions en fonction du coût du travail. »

« Beaucoup d’entreprises françaises n’étaient pas préparées à la brutalité de ces changements. Et un grand nombre ne les a pas supportés. C’est qu’elles n’étaient plus gérées, depuis longtemps, comme des entreprises vivantes, porteuses d’un projet en mouvement constant, mais comme des éléments de patrimoine statiques jamais renouvelés. »

« On a vu les résultats de cette gestion d’un autre siècle dans le secteur crucial de la sidérurgie et de ses activités dérivées. Tel était le terrain qui s’offrait à moi, vers 1978, à une époque où j’avais déjà appris, par quelques expériences, le meilleur et le pire du monde des affaires. »

« Le meilleur ? Dans nombre de domaines existait un savoir-faire français, une tradition ouvrière, du travail bien fait et des créneaux innombrables de marchés inoccupés. Le pire ? Le « gratin » des affaires se cooptait dans la grande bourgeoisie héréditaire et dans la haute administration qui était la nouvelle classe dominante : ces gens-là n’aimaient guère qu’on marche sur leur plate-bande. »

« Le monde salarié était peu encouragé à la modernisation et aux inévitables évolutions par son encadrement syndical. Des règles juridiques et des habitudes judiciaires faisaient préférer la mort d’une entreprise, et la disparition de tous ses emplois, à une reprise accompagnée de licenciements. Mais le pire est que, dans ce pays, on n’aime pas trop quand ça marche. La réussite est forcément suspecte ! »

Faire vivre les entreprises en difficulté

« Tant pis, j’étais prévenu et j’avais l’enthousiasme, la volonté, la rage de faire partager le succès. Des traits de caractère qui ne m’ont jamais quitté. Il est vrai que la période était propice à la reprise d’entreprises en difficulté. A une époque où le Premier ministre, par ailleurs, professeur d’économie, déclarait tranquillement que, dans un système libéral, la mort d’une entreprise était « banale », mon choix était de faire vivre les entreprises en difficulté. »

« Pour trois raisons : elles détenaient un savoir-faire technique dans un domaine précis. Elles avaient une connaissance inégalable de leur marché même quand elles ne l’occupaient pas. Elles étaient riches d’une notoriété souvent ancienne, riches de leur nom, comme il arrive aux grandes familles désargentées. Le tout formait un capital souvent inutilisé mais bien réel. Mon défi était de le revaloriser. »

« Quand une entreprise dépose son bilan, deux procédures s’offrent pour la suite. Soit la liquidation, qui permet, dans des conditions souvent incroyables d’injustice et de corruption, de dépecer ses actifs et de désintéresser les créanciers qui se sont bien placés. Soit le concordat, qui associe indirectement tous les créanciers à la relance de l’activité. J’avais choisi la deuxième technique qui me paraissait meilleure pour l’emploi, pour la production et, je l’avoue bien volontiers, pour mes éventuels profits. »

« Ce qu’aurait pu dire le professeur en économie, c’est qu’il ne devrait pas exister de profits sans risques, dans une économie libérale. Je prenais donc mes risques. Je n’y avais pas de mérite particulier, mais je veux souligner, qu’à l’époque, on rencontrait au chevet des entreprises gravement malades, plus de croque-morts que de chirurgiens et que certains ont bâti de belles fortunes dans les pompes funèbres économiques. »

Wonder ne s’use que si l’on s’en sert

« En 1984, l’occasion m’était donnée de reprendre Wonder, cette entreprise de piles qui devait sa notoriété à un vieux slogan génial du temps de la « réclame » : « Wonder ne s’use que si l’on s’en sert ». Malheureusement plus personne ne s’en servait car Wonder avait pris deux options catastrophiques. »

« L’une, industrielle, à l’heure des piles alcalines, elle avait choisi de continuer à fabriquer des piles salines, technique totalement dépassée. L’autre, commerciale : à l’heure de la grande distribution et des supermarchés, elle continuait à vendre des piles chez les droguistes de quartier, réseau sympathique mais peu performant. »

« Les 2.000 salariés de Wonder pouvaient se faire du souci, leur marché disparaissait. Moi aussi, d’ailleurs : au rythme des pertes cumulées, Wonder me coûtait déjà 100 millions de francs, sans perspective de redressement. Il fallait inverser les choix commerciaux, ça, je savais le faire. Il fallait aussi fabriquer des piles d’un type nouveau et donc, s’allier avec ceux qui savaient les produire. »

« Dans le paysage industriel de ce secteur, un seul partenaire français possible : Mazda. Dépassée par la logique de concentration, la société Mazda était sur le point d’être vendue au groupe Philips. Evaluation des vendeurs : 200 millions de francs. En tirant sur mes fonds propres et en mobilisant des actifs disponibles, il me manquait encore 80 millions. »

Sa rencontre avec Francis Bouygues

« C’est à cette époque que se situe ma rencontre avec Francis Bouygues. Je ne le connaissais pas mais sa réputation de chef d’entreprise me l’indiquait comme un homme capable de mettre 80 millions dans une affaire comme celle-là. On a tant dit, tant écrit, sur Francis Bouygues. »

« On l’a surtout caricaturé en le décrivant comme un patron à l’ancienne. Mais le personnage était beaucoup plus riche et complexe que ces portraits hâtifs. Il avait du respect et même de l’admiration pour le travail ouvrier. Il entretenait des relations identiques avec ses manœuvres, qu’il appelait des « compagnons », et avec le PDG de sa plus grosse filiale. »

« Il avait du cœur, et des coups de cœur, mais aussi de la tête et des coups de tête. Je garde, de ce personnage entier, quelquefois brutal, passionné par le travail, le souvenir d’un homme vrai, dans toute son épaisseur et sa force vitale. J’ai évidemment appris beaucoup de choses à son contact et, notamment, qu’on pouvait réussir dans un métier inconnu, pour lui, le cinéma ou la télévision, à la condition d’y mettre du travail, du sérieux et de la passion, et de savoir s’entourer des meilleurs. »

« Francis Bouygues fit 50/50 avec moi et le groupe Wonder-Mazda avait désormais un poids considérable sur le marché de la pile. Quelques années plus tard, il intéressait le N°1 mondial du secteur, Union Carbide, qui rachetait le groupe 900 millions. »

« Nous avions investi 300 millions de francs dans la reconstruction de ce pôle. Sa vente laissait 600 millions de bénéfice net. La moitié de ce résultat revenait à Francis Bouygues qui se félicitait d’avoir ainsi accordé une confiance qu’il ne m’a jamais retirée. Bien des années plus tard, il m’a associé à la grande aventure de la privatisation de TF1.Mais c’est une autre histoire. »

« Au total, quand je considère cette période, j’ai deux fiertés. La première, c’est de n’avoir jamais laissé mourir une entreprise. Testut, par exemple, j’ai réinjecté trois fois 150 millions de francs m’appartenant pour sauver l’activité et l’emploi. Et, curieusement, malgré tous les procès qui me sont faits sur ce thème, la sauvegarde de l’emploi est ma deuxième fierté. Et la plus grande. »

« Au total, j’ai eu 14.500 salariés dans mon groupe et j’ai été contraint, en effet, d’opérer plus de 2.500 licenciements. Pour ma part, je ne me suis jamais accommodé du chômage. C’est peut-être pour compenser, au moins partiellement, les licenciements auxquels j’ai dû procéder dans mes entreprises, que j’ai décidé, en 1986, de créer des écoles de vente réservées à de jeunes chômeurs sans formation. »

Le groupe Bernard Tapie Finance

Après des années d’effort centrées sur le rachat d’entreprises boiteuses assainies, Bernard Tapie est, en 1992, à la tête d’un groupe désormais considéré comme sérieux, qui fait son entrée en Bourse, dans de bonnes conditions et qui détient toutes les participations industrielles acquises (Testut, Terraillon, La Scaime, La Vie Claire, Look, Tournus, Donnay, Grès, TF1, etc.). Avec un milliard de francs de capital, Bernard Tapie Finance (BTF) est la seule société anonyme du groupe. Toutes ses autres sociétés, GBT, qui gère ses 75% du capital de BTF, FIB, qui détient ses actifs personnels mobiliers et immobiliers, BT Gestion, qui est prestataire de services, en communication notamment, pour les autres unités, toutes sont des sociétés en nom collectif dont son épouse et lui-même sont les seuls associés.

« On s’est beaucoup interrogé sur ce choix de cadre juridique et sur un mécanisme de solidarité interne au groupe qui m’exposaient personnellement en cas de difficulté dans une seule de ces sociétés. Ce montage résultait d’un choix qui correspondait à ma philosophie des affaires. Dans mes activités de repreneur, j’avais vu pas mal d’entreprises ruinées, leurs salariés licenciés et privés d’avenir, leurs actifs pillés, tandis que leurs anciens patrons avaient conservé tout leur patrimoine personnel (château, chasse, villa sur la Côte, train de vie), souvent acquis au détriment de leur entreprise. »

« Pour ma part, j’avais souhaité m’inspirer plutôt de l’exemple japonais : si l’entreprise marche bien, il est normal que son patron en perçoive directement les profits. Si elle vient à être en difficulté, il est tout aussi naturel de mettre en jeu les biens personnels du patron pour trouver des solutions. Le destin économique d’une entreprise ne doit pas être dissocié de celui de son propriétaire, sauf à organiser une irresponsabilité générale »

« Il m’est arrivé de gagner de l’argent, mais rien de ce que possédais, même à titre personnel, ne devait être à l’abri en cas de difficultés dans mon groupe. Je n’avais, certes, pas prévu que l’ensemble de cette organisation juridique serait utilisé pour créer artificiellement ces difficultés et pour précipiter ma perte. »

Adidas : l’affaire de sa vie

La tendance est encore inverse en ce début d’année 1992. Par l’acquisition d’Adidas, le groupe de Bernard Tapie vient de changer de taille et d’échelle. L’achat de cette entreprise, de renommée mondiale, lui permet, en outre, de concilier, à un haut niveau symbolique, ses engagements sportifs et son activité économique. :

« Je l’ai dit : c’était l’affaire de ma vie et j’avais souhaité la conserver. Il est vrai que c’était une affaire magnifique. Adidas possédait le plus grand nom et le meilleur renom dans le monde du sport et du sponsoring sportif. Son fondateur, M. Dassler, avait voulu, en outre, lui donner une dimension humanitaire par la fourniture d’équipements sportifs aux pays en voie de développement. »

« Mais il y avait un revers à la médaille : Adidas devait être restructuré et doté de nouvelles orientations stratégiques, alors que son actionnariat était déchiré par la guerre familiale qui opposait les trois sœurs Dassler. Les trois héritières me cédèrent la marque aux trois bandes. Adidas était alors estimé entre 3 et 4 milliards de francs, je l’avais négocié à 1,5 milliard. »

« Curieusement, la presse économique française, qui devait se réjouir d’une telle acquisition, lançait, contre moi, une campagne de dénigrement autour de trois points : Adidas ne valait rien, Tapie ne pourra pas payer et, sans trop de souci des contradictions, il avait été aidé abusivement par des banques publiques. »

« Finissons-en, ici, avec une légende qui me prêtait des soutiens bancaires liés à mas activités politiques. Je n’ai jamais été aidé par la gauche au pouvoir, bien au contraire. Quand il s’est agi, pour des gouvernements de gauche, de choisir un repreneur d’entreprise comme dans le cas de Boussac ou de La Chapelle d’Harblay, on m’a toujours préféré un autre opérateur. »

« De préférence, de sensibilité de droite. Pour le rachat d’Adidas, j’avais trouvé mes crédits avec mille difficultés (des promesses avaient même été annulées, au dernier moment, sur pression politique), aux conditions du marché auprès de groupes français, pour la moitié et, en Allemagne, au Japon et aux Etats-Unis, pour le reste. Personne ne m’a fait de cadeau ! »

« A l’inverse, les banques françaises impliquées qui devaient consolider leurs prêts, avaient rapidement refusé de le faire, sous l’influence de la campagne de presse que j’ai rappelée. Néanmoins, j’allais constituer, autour de moi, pour ce projet ambitieux, une équipe exceptionnelle. Nouvelle stratégie. Nouveau logo. Délocalisation. Bref, Adidas allait repartir vers les sommets de la gloire et de la réussite. »

Les dessous de l’affaire Adidas

« Parallèlement, je n’avais abandonné aucune des activités qui me passionnaient et, pour me récompenser de ma performance électorale aux élections régionales de 1992, dans la région PACA, Pierre Bérégovoy, qui vient d’être nommé Premier ministre, me proposait d’entrer au gouvernement. »

« De nombreuses procédures sont en cours et j’ai des scrupules à évoquer un dossier pour lequel la justice n’a pas encore définitivement tranché. Bien entendu, chacun a sa version des faits. Je me contenterai donc, ici, de rappeler des vérités incontestables, et d’ailleurs incontestées, et je laisse à chacun le soin de faire l’analyse qui lui conviendra. »

« Souvenez-vous : pour accepter les fonctions de ministre, je devais me désengager et j’avais donc signé un accord complet, baptisé « mémorandum », entre le Crédit Lyonnais et moi-même.  L’article premier de ce mémorandum portait sur l’obligation qui m’était faite de vendre Adidas. Cette mission était confiée au Crédit Lyonnais, ma banque et mon associé dans le capital de BTF, le holding de tête de mon groupe.  L’évaluation d’Adidas était très difficile à faire, puisque les résultats des nouvelles stratégies et des restructurations étaient en cours d’apparition. »

« Nous avions choisi un prix de base qui équivalait approximativement au prix d’achat augmenté des intérêts et des commissions diverses, soit 2,1 milliards de francs. Les conseils du Crédit Lyonnais prétendaient qu’il était impossible d’obtenir un meilleur prix que celui-là et le renoncement à toute plus-value sérieuse sur Adidas était compensé par une réduction de mes dettes et par les profits qui m’étaient promis dans une société d’investissement créée grâce aux capitaux du Crédit Lyonnais. Même imparfait, cet accord était convenable. »

« La banque a effectivement vendu Adidas 2,1 milliards (le prix qu’elle m’avait imposé), mais les sociétés paravents offshore qui ont acheté n’étaient que des sociétés prête-noms, qui agissaient pour le compte du Crédit Lyonnais. Lorsque la banque a réellement vendu Adidas à M. Dreyfus, ce sont 4,4 milliards que les sociétés « exotiques » ont reçus. »

« Et comme si cette escroquerie et cet abus de confiance ne suffisaient pas, c’est avec l’argent que le Crédit Lyonnais a prêté à M. Dreyfus, que la vente s’est faite, permettant à celui-ci de devenir propriétaire d’Adidas sans jamais mettre un centime de sa poche. »

« La contrepartie de ce prêt offrait aux sociétés offshore en question la possibilité d’être associées à l’introduction en Bourse d’Adidas qui s’est faite sur la base de 11 milliards, c’est à M. Dreyfus qu’en revient le mérite. On ne peut pas lui contester cette performance-là. Il demeure l’un des meilleurs financiers de notre époque. »

« Mais personne ne peut nier que l’introduction en Bourse à 11 milliards a été réalisée en 1995, sur les comptes de 1994, et que ces résultats-là sont exclusivement le fait du travail de mes équipes. Personne n’ignore sérieusement sauf M. Peyrelade (patron du Crédit Lyonnais à l’époque), que les « temps de réponse » dans ces métiers sont des cycles d’au minimum trois ans (temps nécessaire entre les décisions prises par le management et le résultat de ces décisions dans les comptes). »

« En résumé, cette affaire pose deux problèmes. Tout d’abord, la banque avait reçu le mandat de vendre Adidas. Il lui était totalement interdit de se vendre cette société à elle-même. L’infraction est d’ailleurs prouvée par la création de sociétés écrans pour dissimuler les turpitudes commises. »

« Les conséquences juridiques de ces délits sont, tout simplement, l’annulation de la vente et, lorsque celle-ci ne peut être annulée, on sanctionne les fautifs par le paiement d’indemnités correspondant au préjudice subi. Pour déterminer le préjudice, non seulement de BT Finance, donc le mien, à l’époque, mais également de tous les petits actionnaires de BT Finance, les magistrats et les experts retiendront forcément le prix de vente réel à Dreyfus, soit 4,4 milliards. Mais ils devront tenir compte des bénéfices supplémentaires qu’ont réalisés les sociétés offshore au moment de l’introduction en Bourse d’Adidas, au prix de 11 milliards.»

« Le deuxième problème est plus grave encore. Lorsque je me remémore les moyens incroyables mis en œuvre par la justice pour découvrir qui avait fourni les 250.000 francs trouvés dans l’enveloppe enterrée dans le jardin de Christophe Robert (affaire du match OM/VA) : une cinquantaine d’inspecteurs du SRPJ de Lille et de Marseille mobilisé, 38 personnes en garde à vue parmi lesquelles tous les joueurs de l’OM, 5 personnes en détention préventive, 560 prises d’empreintes, 28 perquisitions, etc., je n’arrive pas à comprendre que la justice (deux ans après la révélation de l’existence des fameuses sociétés offshore, et alors que le ministre des Finances de l’époque, M. Arthuis, s’était publiquement engagé avec M. Balladur à ce que toute la lumière soit faite sur les scandales du Crédit Lyonnais), n’ait pas eu envie de connaître la réalité de ce qui s’est magouillé autour de l’affaire Adidas. »

« C’est 4,5 milliards, au moins (soit 5 fois plus que toute « l’affaire » Elf instruite chez madame Joly), sont passés dans les offshore écrans luxembourgeoises, en lieu et place de la banque, et personne n’a envie de savoir quelle répartition exacte a été faite de cette somme colossale. »

« Dominique Strauss-Khan venait d’être nommé ministre des Finances. Je le connaissais bien puisqu’il était ministre de l’industrie lorsque j’étais ministre de la Ville. Il n’était pas seulement compétent mais je le croyais rigoureux et honnête. J’étais certain qu’il ne pourrait pas s’accommoder d’une telle situation. Les blocages, qui ont empêché certains magistrats de la section financière de Paris et certains juges chargés des dossiers, dits délicats, de poursuivre leurs investigations, ne pourront pas durer indéfiniment. On finira par connaître la vérité. »

« On ne peut pas, en même temps, déplorer que les Français aient l’équivalent de 200 milliards d’argent gaspîllé ou détourné et continuer d’amuser la galerie en mettant en examen, et pourquoi pas en détention, des sous-fifres et des lampistes pour des affaires sans commune mesure avec celle-là. C’est ce combat que j’entends mener de toutes mes forces. »

« Me voler, pourquoi pas ! Mais me mettre en liquidation de biens en me déshonorant et en m’humiliant, de la manière dont ils l’ont fait, ne peut que me donner une énergie sans limite pour faire payer tous ceux qui ont contribué à ce scandale. Telle est la vérité de ma situation. Reconnaissez-le, très différente de la présentation que la presse en avait faite. »




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