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Antoine Gariel, directeur du Théâtre de Gascogne, entrepreneur des arts et de la culture

A Mont-de-Marsan, dans les Landes, en plein Festival YERAZ, un festival culturel consacré à l’Arménie, Antoine Gariel, le directeur des politiques culturelles pour la ville et son agglomération est, aussi, aux commandes du Théatre de Gascogne.

Photos Antoine Bordier

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A Mont-de-Marsan, dans les Landes, en plein Festival YERAZ, un festival culturel consacré à l’Arménie, Antoine Gariel, le directeur des politiques culturelles pour la ville et son agglomération est, aussi, aux commandes du Théatre de Gascogne. Portrait d’un entrepreneur des arts et de la culture, qui aime autant la tauromachie landaise que le duduk arménien. Pour lui, « il n’y a de richesses que d’arts, de cultures, de rencontres et de territoires ».

Le Théâtre de Gascogne, qui regroupe 3 théâtres, disséminés dans la ville et l’agglomération de Mont-de-Marsan, Le Pôle, Le Molière et Le Péglé, bénéficie du statut de « scène conventionnée d’intérêt national ». Ce statut est attribué par le ministère de la Culture pour une durée renouvelable de 4 ans. Il met l’accent sur l’art et la jeunesse, sur l’art et le territoire, l’art et la création. En arrivant au Théâtre de Gascogne en 2013, Antoine Gariel avait bien compris cet enjeu.  

Du centre de Mont-de-Marsan, il faut une dizaine de minutes en voiture pour rejoindre Le Pôle où travaille Antoine avec une partie de ses équipes. En tout, ils sont une quinzaine de personnes, à plein temps, et, une dizaine d’intermittents du spectacle pour faire tourner cette machinerie artistique et culturelle, qui est à plein régime depuis une dizaine de jours. Dans son bureau, qui domine l’entrée des artistes, Antoine fait une pause entre deux interviews, et, deux réunions. Il est en mode festival.

Comme un artiste ou plutôt un chef d’orchestre qui serait, aussi, un musicien, il alterne, dans le cadre du Festival YERAZ, la tenue décontractée, le complet veston bleu-foncé avec cravate, ou sans, et, le port du béret landais. Avec sa barbe foncée bien garnie, son visage rond, et, ses lunettes noires, il inspire à la fois la confiance, et, le sérieux. Normal ? Il y a en lui du Breton, de par sa naissance, et du Vendéen, du Gascon, et, maintenant de l’Arménien. Il ressemble à un menhir breton, qui ne dévie pas. « C’est quelqu’un qui va jusqu’au bout de ses projets. En plus, il sait trouver les arguments pour convaincre », explique un de ses proches, rencontré sur place.

Un bâtisseur de théâtre

Discret, Antoine n’aime pas trop parler de lui. Né à Brest, avec ses six sœurs et son frère, il a bourlingué pendant toute son enfance dans le monde entier. Son père est officier de Marine. « J’ai peu de souvenirs de Nouméa et de Tahiti. Mais, avec Djibouti, Brest, Toulon et Paris, cette mobilité permanente a bercé mon enfance et a été une source de belles découvertes. » Il parle de ses racines chrétiennes : « J’ai grandi dans la foi catholique. Ce qui est intéressant, c’est qu’une grande partie de ce que je réalise dans mon travail, dans mes projets artistiques et culturels ont été hérités de mon éducation reçue de mes parents, en particulier sur l’ouverture à l’altérité, aux autres. Dans ma famille, on chantait, on accueillait, on respectait les différences. » C’est certain, Antoine Gariel a hérité d’une ouverture d’esprit indéniable, d’une âme poétique, et, d’une colonne vertébrale droite, presque militaire. Il a développé, au fil du temps, un pouvoir d’adaptation aux genres et aux situations différentes. Mais ce sont, surtout, les rencontres qui ont forgé son rêve de bâtisseur-passeur.

En Vendée, alors qu’il n’a que 22 ans, il fait la connaissance, en 2006, d’Antoine Chéreau, un élu. « Il était à l’époque maire de Montaigu. Il est, actuellement, 1er vice-président du conseil régional des Pays-de-La-Loire. A l’époque, il voulait développer son territoire qui se trouve au centre d’un triangle qui relie Nantes, La Roche-sur-Yon et Cholet. » Les deux hommes se choisissent, Antoine C. voit en Antoine G. celui qui pourrait incarner l’esprit du renouveau, qu’il recherche. Et, Antoine G. voit en Antoine C. l’élu du terrain qui aime son territoire, et, qui veut lui donner un dimensionnement digne de ce nom. « Oui, ce projet était très intéressant, car il s’agissait de construire un théâtre !»

Ce-dernier sort de terre en 2010, il porte le joli nom de Thalie, en raison d’une sculpture représentant la muse grecque gardienne de la comédie. Cette statue datant du 19è siècle a été découverte plus d’un siècle plus tard dans les environs.

L’appel des Landes et de sainte Madeleine

Antoine le confie : « A l’époque, je n’avais pas de légitimité pour travailler dans ce secteur d’activité. Je n’étais pas un expert. » Ce choix audacieux et risqué à la fois se révèle être une réussite, pour celui qui a été recruté comme directeur-adjoint de la culture et comme chef de projet. Sans en connaître par avance les résultats, les deux hommes élaborent, ainsi, une nouvelle vision de la culture, qui devient « une politique d’aménagement d’un territoire ». C’est en tout cas, la conception aboutie d’Antoine Gariel. Ce marin d’eau de mer ne perd pas pied dans les eaux douces et effervescentes des arts vivants et des spectacles. Il apprend vite le métier et devient co-bâtisseur de théâtre. Par la suite, il répond à un nouvel appel : celui des Landes.

« Je suis arrivé, ici, à Mont-de-Marsan, le 13 juillet 2013. C’était la veille des férias. C’était assez surréaliste. » Il plonge directement dans l’âme landaise de ces fêtes et de ces courses de taureaux. Il découvre un autre art de vivre, de nouvelles couleurs, des rythmes particuliers. Les Fêtes de la Madeleine, qui est la sainte patronne locale, enivrent le nouveau directeur du Théâtre de Gascogne. Son nouveau challenge qui résonne comme un mot d’ordre : « mutualiser, intégrer et fusionner » les services et sites culturels existants dispersés dans leur programme et leur vision stratégique.

A la découverte des Landes

Au 1er étage du Pôle du Théâtre de Gascogne, Antoine Gariel quitte sa table de réunion et s’assoie un instant dans le joli fauteuil rouge qui fait face à son bureau. Quelques photos sont prises. Puis, il reprend son histoire. Il se lance dans une sorte de déclaration d’amour du territoire qu’il a, semble-t-il, arpenté sous toutes ses coutures. Comme s’il se répétait cette maxime devenue sienne : « la culture est une politique d’aménagement d’un territoire. »

Historien dans l’âme, curieux d’esprit, il s’est aventuré, depuis 9 ans, dans ces terres « aux richesses insoupçonnées ». Il cite Victor Hugo : « Les Landes, de Bazas à Mont-de-Marsan, ne sont autre chose qu’une interminable forêt de pins, semée çà et là, de grands chênes, et, coupée d’immenses clairières que couvrent à perte de vue les landes vertes, les genêts jaunes et les bruyères violettes. »

Dans ces landes forestières et marécageuses, le sable se mélange à la terre, pour lui donner une couleur de terre brûlée par le sel. Antoine ajoute : « C’est le plus grand massif forestier d’Europe. » La platitude du territoire, qui est le 3è département français (après la Guyane et la Gironde), par sa superficie, aurait pu, en effet, décevoir le premier venu qui ne verrait que marécages (il n’y en a plus, si ce n’est dans la littérature) et platitude. Mais, continue Antoine, « l’homme a, fondamentalement, modifié le territoire, en plantant des pins et des chênes. » Il évoque, au passage, la gastronomie landaise, et, les quelques vignobles. Lui, veut planter quoi dans cette terre d’art et d’eau ?

Son coup de cœur pour l’Arménie

Après ses 8 ans en Vendée, il participe, à son niveau, à la suite de sa rencontre avec Geneviève Darrieussecq, maire de Mont-de-Marsan entre 2008 et 2017, à l’embellissement de ce nouveau territoire rempli de promesses. Elle a la volonté politique de faire émerger de nouveaux projets culturels. Lui, a, maintenant, la légitimité et la technicité. Ensemble, ils vont « mutualiser, intégrer, et, fusionner les trois théâtres existants », dans une politique et une programmation culturelle cohérente.

Puis, Le vent se lève sur Mont-de-Marsan : celui de l’audace, de la nouveauté et des rencontres. Antoine monte sur un nouveau pont et avance au large. Il déploie le foc et la grand-voile. C’est ce qu’il fait alors que la tempête Covid-19 a, déjà, frappé le monde entier, la France et les Landes. Les activités culturelles sont en berne, à l’arrêt. Plusieurs rencontres vont permettre à Antoine de rebondir et de regarder vers un avenir plus optimiste. Sa ligne d’horizon pointe à l’Est, vers le Caucase.

A la suite de la venue d’Ariane Mnouchkine et de sa troupe le Théâtre du Soleil, à Mont-de-Marsan, Antoine fait la rencontre de Simon Abkarian, le célèbre comédien aux origines arméniennes. Les deux hommes vont devenir les meilleurs amis du monde. Ces deux rencontres sont une véritable invitation et une interrogation pour Antoine. L’Arménie ? Dans un premier temps la rencontre se transforme en accueil de la troupe d’une trentaine de comédiens à la résidence d’artistes, qui travaille sur la pièce de Simon, Electre des bas-fonds.

Des arts et des Arméniens

En privé, Antoine se plonge dans la littérature arménienne. Il dévore le livre des Zarzavatdjian. Corinne et Richard sont frère et sœur. L’Arménie et les Arméniens, de A à Z, devient son livre de chevet. Ses insomnies l’entrainent dans une nouvelle aventure artistique. Les rencontres se multiplient, à Paris, à Alfortville, etc. Il est, littéralement, touché au cœur lorsqu’il évoque avec Marina Dédéyan, qu’il a connu au Printemps du Livre, en Vendée, la guerre dans le Haut-Karabakh, de 2020. Puis, il fait la connaissance de Christina Galstian-Agoudjian et de sa Compagnie de danse Yeraz. 2e coup de cœur.

L’intuition du départ, échangée avec Simon Abkarian : « Faisons au moins connaître la culture arménienne », est confirmée, consolidée au fil des vagues successives de Covid et des rencontres. Puis, en mai 2021, c’est le voyage initiatique et fondateur en Arménie, dans le Caucase. « Avec Mathilde Lecuyer-Maillé, directrice du musée Despiau-Wlérick, de Mont-de-Marsan, Christina Galstian-Agoudjian, Serge Avedikian, nous sommes partis en Arménie. » Au retour les contours d’un festival sont confirmés : la municipalité, son agglomération et toutes les parties prenantes culturelles vont organiser, pour la première fois, une quinzaine arménienne. Quelle audace !

Le Festival YERAZ

Yeraz veut dire « rêve » en arménien. Il bat, actuellement, son plein. Depuis le lundi 21 mars et jusqu’au dimanche 3 avril, les 80 000 habitants de Mont-de-Marsan et des environs ont revêtu les couleurs rouge, bleu, orange (abricot) du drapeau arménien. Il flotte dans toute la ville, sous le pavoisement de Yeraz. « Il est trop tôt pour faire le bilan », explique Antoine Gariel. « Mais, nous avons ouvert le spectre artistique et culturel le plus largement possible. »

Des centaines d’artistes, d’auteurs, de comédiens, de danseurs, de musiciens, d’historiens, de journalistes spécialisés et d’élus ont répondu oui au pari audacieux et ont fait le déplacement dans les Landes, qui ne concentrerait qu’un petit nombre de familles d’origine arménienne. Incroyable rêve, mais vrai. Le rêve est devenu une saison culturelle #1 bien ficelée et bien réelle. En cumulé, côté public, et à l’heure où nous bouclons cet article, près de 5000 personnes auraient participé aux actions culturelles, ateliers, conférences et tables-rondes, projections cinématographiques et spectacles. Impossible de citer tous les artistes et les invités de marque. Citons-en quelques-uns, comme Hasmik Tolmajian, ambassadrice d’Arménie en France, Astrig Siranossian, violoncelliste virtuose, le groupe multiculturel Ladavina, Corinne Zarzavatdjian, la Compagnie Yeraz, la militante Pinar Selek, qui a été torturée et emprisonnée à Istanbul après avoir défendu la cause Kurde. Elle est réfugiée en France depuis 2011. En 2015, pour le centenaire du génocide des Arméniens, elle publie : Puisqu’ils sont Arméniens. Du côté des réalisateurs, citons Nora Martirosyan, Lévon Minasian et Anne Consigny. Les participants aux tables-rondes sont intervenus sur les sujets de la francophonie, de l’amitié franco-arménienne, de la diaspora, du génocide, du traumatisme, de la guerre en Artsakh, et sur l’actualité de l’Arménie.  

Une bénédiction, un jumelage et un chevalier

Dans quelques heures, le Festival YERAZ se clôturera par la bénédiction d’un khatchkar (une “croix-pierre” sculptée dans une stèle en tuf, la pierre volcanique arménienne) venu tout droit de Gyumri, la capitale culturelle, seconde ville d’Arménie. Juste avant cette bénédiction, prévue le 2 avril vers 18h00, Mont-de-Marsan va officialiser son jumelage avec cette ville. Pour Antoine Gariel, c’est maintenant de plus en plus certain : « Pour cette première édition, nous avons tenu nos promesses. Nous n’en resterons pas là. » Il regarde vers l’avenir…L’ivresse du mont Ararat l’a pris. C’est là, sur ce mont que Noé aurait accosté, après le Déluge…

Il y a 10 mois, le 30 mai 2021, Antoine, sous les applaudissements de Charles Dayot, recevait les insignes de chevalier des Arts et des Lettres, des mains de Geneviève Darrieussecq, devenue ministre. Ce 100% Breton est devenu 100% Gascon et 100% Arménien. Ce chevalier pense déjà à 2023…

Pour en savoir plus :

www.theatredegascogne.fr

www.yerazfestival.fr

Reportage réalisé par Antoine Bordier


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