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« Le Ministre de la Santé devrait être le ministre des patients ! »

Dans un contexte de dépenses de santé croissantes et de vieillissement de la population, l'ostéopathie se positionne comme une approche thérapeutique alternative, prometteuse pour une médecine plus préventive. Jean-Pierre Margaritte, ostéopathe chevronné analyse les enjeux de cette pratique et son potentiel pour désengorger le système de santé.

Frederic Valletou, ministre délégué chargé de la Santé et de la Prévention

En février 2024, le nouveau ministre de la prévention et de la santé Frédéric Valletoux a demandé sous certaines conditions à la Caisse d’assurance maladie de son département de rembourser à hauteur de 50€ les consultations réalisés par des thérapies complémentaires. L’ostéopathie, l’hypnose, l’acupuncture, la sophrologie étaient concernés. Cela a provoqué une levée de boucliers des médecins et des kinésithérapeutes obligeant le directeur général de la Caisse Nationale d’Assurance maladie a immédiatement donner consigne d’arrêter les remboursements. Que pensez-vous que cette initiative ?

Jean-Pierre MARGUARITTE : Il faut rappeler qu’en décembre 2023 le ministre alors député a déposé une proposition de Loi relative à l’accès aux soins qui a été adoptée par le Gouvernement. Je ne sais si son objectif était d’expérimenter sa mise en application et/ou d’évaluer l’impact économique de cet investissement. En tous cas, cette initiative marque l’intérêt que le ministre porte aux thérapies complémentaires et c’est bien la première fois depuis la reconnaissance de l’ostéopathie en 2002, qu’un ministre de la santé prend une disposition en leur faveur.

Vous pensez que le système de santé amorce une révolution ?

Révolution c’est beaucoup dire mais une évolution me paraît inéluctable. Les dépenses sociales représentent plus de 50% de la dépense publique et les pathologies chroniques sont le premier motif de consultation d’un médecin généraliste. D’après les chiffres annoncés lors de la première conférence à l’Assemblée Nationale sur les maladies chroniques organisée par Madame Sandrine JOSSO, membre de la Commission des affaires sociales, et le Docteur Alain TOLEDANO, cancérologue et directeur de la Chaire Santé Intégrative, 24 millions de français sont concernés et un quart des salariés  seront atteints en 2025.  La plupart de ces pathologies liées au mode de vie peuvent être évitées, il suffit d’organiser et de rendre accessible une médecine préventive afin de compléter avantageusement les actions de dépistage, la vaccination et les messages descendants directs.

Dans une Tribune à l’Opinion ce 3 mars dernier, le ministre déclarait vouloir être  « le ministre des patients » et assurait  « L’heure n’est plus aux corporatistes mais bien au rassemblement de toutes les énergies qui fondent notre système de santé ». Qu’attendent selon vous les patients du système de santé ?

Cette déclaration semble être une réponse aux oppositions à son initiative. Concernant les patients, l’accessibilité financière à une offre de soins mieux adaptée à leur trouble est non seulement une attente mais un besoin.  La grande majorité des patients qui consulte un médecin généraliste n’est pas malade au sens médical du terme. Leur état  qui se situe entre la santé et la maladie demande une médecine  qui s’intéresse plus au malade qu’à la maladie  avec les professionnels qui prennent en compte les aspects bio-psycho-sociaux de la personne.

Vous pensez à quels professionnels ?

Il ne s’agit pas de mettre en avant un professionnel plus qu’un autre.  Les causes sont généralement multi-factorielles et demandent un véritable accompagnement n’incluant pas seulement des interventions thérapeutiques mais aussi des recommandations notamment en matière d’alimentation. Ce mode de prise en charge globale et personnalisée a été présenté  sous le nom d’intervention non médicamenteuse (INM) lors d’une conférence de consensus qui s’est tenue au Sénat en décembre 2023.

De plus en plus dostéopathe intègrent en effet dans leur pratique des conseils dhygiène alimentaire et prescrivent des compléments alimentaires. Leur pratique peut elle être considérée comme une INM ?

Une INM doit répondre à l’ensemble des facteurs qui ont pu favoriser l’installation d’un trouble. L’environnement et le mode de vie en font partie mais il est difficile de sortir le patient de son contexte familial, social et professionnel, par contre on peut agir sur son équilibre général de façon à ce que sur le plan physique et psychologique, il puisse parvenir à m aîtriser son impact. Et cela commence par une meilleure hygiène de vie à commencer par l’alimentation et l’activité physique. C’est cet ensemble qui peut être considéré comme une INM.

Le gouvernement parle même de prescrire lactivité physique adaptée pour les personnes qui souffrent dune maladie chronique. Il est même dit que lactivité physique potentialise les effets des médicaments ce qui pourrait réduire leur dosage et donc leur toxicité.

C’est vrai mais comment une personne en surpoids pour avoir compenser son stress par des excès alimentaires, dans un état de fatigue chronique par manque de sommeil,  peut avoir envie de pratiquer une activité physique ?  De plus, le surpoids favorise les douleurs articulaires ce qui ne facilite pas l’activité physique.

Alors par quoi commencer ?  

Par le plus accessible. Par expérience, le mode d’alimentation s’est révélé comme un facteur majeur et cela a été confirmé par le Professeur Thierry SCHAEVERBEKE, président de la société française de rhumatologie qui est intervenu lors du Congrès au sénat sur l’évaluation des INM.Tout en soulevant la fréquence de troubles fonctionnels digestifs et le besoin d’associer d’autres spécialités telles que la gastroentérologie, il a fait remarquer que les médecins ne s’intéressent pas à l’alimentation.

 Mais changer les habitudes alimentaires ancrées depuis de nombreuses années n’est pas facile car le lien entre alimentation et émotion est installé dès la plus tendre enfance.

Le thérapeute doit disposer d’une pédagogie simple et intelligible de façon à ce que le patient prenne conscience du lien existant entre sa douleur et son comportement. 

Il existerait donc un lien entre le mode dalimentation et la douleur articulaire ?

Oui bien sûr, on le constate régulièrement dans la pratique de l’ostéopathie. Prenons le cas d’une personne qui consulte pour une lombalgie chronique et récidivante. Comme beaucoup de français, cette personne prend le petit déjeuner recommandé par les médias. Un café ou un thé, une céréale, un yaourt et un jus de fruit, petit déjeuner qui est d’ailleurs servi aux malades dans les hôpitaux. Ce cocktail détonnant inhibe la digestion et installe progressivement une irritation du colon. Le colon se spasme et exerce une compression des vaisseaux qui  irriguent les muscles de soutien de la hanche. Or un muscle mal irrigué ne peut répondre correctement à la contraction qui lui est demandé et devient hypertonique. Le colon se situant à gauche, l’hypertonie musculaire est asymétrique et le bassin se vrille. Le sacrum, l’os articulé entre les deux hanches sur lequel reposent les vertèbres lombaires s’incline, le pincement discal s’installe et la douleur suit. 

Sans un changement de comportement alimentaire et des recommandations posturales d’usage, les traitements conventionnels n’auront peu ou pas d’effet durable. Il suffit de constater l’échec traitements médicamenteux symptomatiques dans le cas de pathologies chroniques et les ostéopathes ne font pas mieux s’ils se limitent aux manipulations articulaires.

On évoque aussi souvent le stress lorsque les clichés radiographiques ne révèlent pas de signes lésionnels.

Le stress influence bien sûr le comportement mais il n’est pas la véritable cause. Il peut déclencher ou augmenter la douleur mais les effets de son impact sont liées au terrain. La manifestation d’une émotion varie selon chaque personne et cela peut installer un véritable cercle vicieux.

Dans l’exemple que je viens de prendre, le stress déclenche la sécrétion du cortisol qui freine la fonction de la thyroïde or la thyroïde peut favoriser un trouble de l’intestin qui synthétise la sérotonine, une hormone qui procure l’enthousiasme et la sérénité, agit sur le sommeil, l’appétit, l’humeur, l’anxiété et la dépression. 

Je peux vous donner de nombreux autres exemples.

Est-ce  l’émergence dune nouvel médecine à visée plus préventive ?

Je l’espère en tous cas il y a un vrai besoin. L’enseignement de la médecine porte sur le traitement des maladies. Les troubles fonctionnels ne sont pas des maladies au sens médical du terme.  Il existe un réel décalage entre les besoins de la population et le service de santé rendu qu’il devient aujourd’hui urgent de combler.  La médecine doit s’ouvrir à une prévention santé active et faire intervenir des professionnels qualifiés qui s’intéressent plus au patient qu’à la maladie.  

Et vous pensez que les ostéopathes sont suffisamment qualifiés ?

Oui mais je pense qu’il faut d’abord cadrer et homogénéiser la pratique pour répondre avec efficacité aux troubles fonctionnels chroniques liés aux modes de vie. Il existe de nombreuses écoles avec des orientations d’enseignement différentes. Certaines sont plus portées sur les manipulations structurelles, d’autres sur une approche plus globale et systémique en intégrant les techniques agissant sur les organes. Cette diversité de modes de pratique ne permet pas d’établir un véritable climat de confiance.

Le Québec a annoncé mettre en place de programmes universitaires de deuxième cycle basés sur des données probantes visant à uniformiser les pratiques en ostéopathie et à protéger le public.

En effet, cette situation ne se trouve pas qu’en France. Plusieurs pays tels que la Grande Bretagne, l’Australie, la Suisse, la Belgique et les Etats-Unis en ont déjà mis en place. Il est temps que la France dont la concentration d’ostéopathes par habitant est la plus élevée dans le monde, suive cet exemple.

Vous ne pensez pas quune formation complémentaire qui demande du temps et de largent alors que les études dostéopathes déjà très chères, on parle de 8 à 9000 par an sur cinq ans, représente un frein ?

La formation professionnelle continue est obligatoire. Ce programme universitaire pourrait rentrer dans ce cadre et le Gouvernement aurait tout intérêt à favoriser son accès. Et puis réserver quelques heures sur une année pour être encore plus performant, permettrait aux ostéopathes en pléthore de se distinguer et d’acquérir une nouvelle source de patients en errance médicale.

Un syndicat propose d’intégrer lostéopathie dans le code de la santé publique ce qui permettrait aux ostéopathes d’être considéré comme un professionnel de santé à part entière ce qui ouvrirait une voie au remboursement des actes remboursés par lassurance maladie.

Je ne crois pas que ce soit la bonne solution. La tarification des actes par l’assurance maladie dont le déficit ne parvient pas à être maitriser aura automatiquement des conséquences sur le temps consacré aux soins et donc leur qualité. Cette hypothèse n’a pas été retenue dans le rapport de l’Inspection Générale des Affaires sociales sur l’ostéopathie qui a été rendu public en mai 2023. Ce rapport précise « Une reconnaissance en tant que professionnel de santé n’entraine ni codification ni prise en charge par l’assurance maladie des actes réalisés par ces professionnels ». L’idée est plutôt d’obtenir un engagement financier des organismes complémentaires santé qui y ont un intérêt. Toutes ont constaté que les assurés qui consultaient des ostéopathes généraient moins de dépenses de santé.   

De plus, du fait de la diversité des modes de pratique, l’entrée de l’ostéopathie dans le code de la santé publique risque de soulever de fortes oppositions corporatistes. Je pense que la priorité est de commencer par réguler la profession. Les ostéopathes sont en surnombre. Et cela passe par la révision des conditions d’agrément des écoles qui sont pour l’instant essentiellement d’ordre administratif et la constitution d’une commission d’agrément indépendante excluant tout conflit d’intérêts. 

Les ostéopathes nont pas de conseil de lordre comme les médecins, et les kinés.

Rassembler les ostéopathes qui pratiquent l’ostéopathie de façon exclusive au sein d’une structure nationale représentative qu’ils soient professionnels de santé comme les kinésithérapeutes ou ostéopathes de formation initiale, me parait important pour plusieurs raisons. Aujourd’hui ce sont des syndicats peu représentatifs en nombre d’adhérents qui sont les interlocuteurs de l’administration avec chacun leurs propres idées.  

Ces ostéopathes ont besoin d’une structure représentative qui les rassemble tous et qui soit leur seul interlocuteur auprès des instances politiques et administratives. Plus de 15 000 ostéopathes exclusifs ne disposent pas de code de déontologie applicable, pas de contrôle la formation professionnelle continue.

Le 13 février dernier sur France 2,  le ministre a définit les déserts médicaux comme un sujet démographique prioritaire avec la volonté de responsabiliser dautres professionnels que les médecins aux côtés des médecins. Les ostéopathes ont ils leur place ?

C’est une option qui ne peut être écartée. Les ostéopathes ont été formés pour poser des diagnostics d’opportunité et d’exclusion. Ils peuvent déceler une pathologie qui ne ressortirait pas de leur compétences et orienter dans ce cas leur patient vers un médecin. Les ostéopathes sont consultés en première intention et peuvent parfaitement servir de « filtre de santé ». L’augmentation constante du nombre de consultations d’ostéopathes le montre. 40% des consultations des médecins généralistes ne concernent pas des maladies mais des troubles fonctionnels chroniques liés au mode de vie avec en moyenne 10 consultations de suivi thérapeutique par an.

Dautres professions tel que les kinésithérapeutes ne pourraient-elles pas également remplir ce rôle ?

Si l’élargissement des compétences des infirmières et des infirmiers est d’actualité, cela semble difficile à envisager pour les kinésithérapeutes pour plusieurs raisons. Hormis deux pathologies lombalgie aigüe et l’entorse de cheville pour lesquelles l’accès direct leur a été réservé, ils ne peuvent être consultés en première intention. De plus, les patients peinent toujours et de plus en plus à obtenir un rendez-vous et leurs compétences porte sur des indications qui sont en rapport avec leur spécialité.

Vous ne croyez pas que ladministration de la santé  attend une meilleure cohésion entre les ostéopathes professionnels de santé et non professionnels de santé. Deux rapports sur lostéopathes ont été publiés en 2012 et en 2023 et rien ne bouge.

Si tel est le cas, au vu des attaques virulentes et successives de la présidente du Conseil de l’Ordre des Masseurs kinésithérapeutes à l’encontre des ostéopathes exclusifs, il va falloir être patient.

Espérez-vous une action concrète de ce nouveau ministère ?

Frédéric Valletoux est ministre délégué à la Santé mais aussi de la Prévention. Nous parlons depuis un moment d’une autre médecine à visée préventive qui ne consiste pas uniquement au dépistage, à la vaccination et aux messages descendants directs.   

La grande majorité des ostéopathes exclusifs attend une décision politique. Des démarches ont récemment été engagées auprès du ministre Frédéric Valletoux avec des personnalités du secteur de la santé conscientes de la nécessité d’un meilleur encadrement de la formation et de la pratique de l’ostéopathie mais aussi du besoin de « penser la santé autrement ».

Cette dernière phrase émise ors de la conférence de consensus au sénat en octobre dernier par le Professeur Bruno FALLISSARD, Président de la commission  « Thérapies complémentaires » de l’Académie Nationale de Médecine, résume tout.


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