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Manuel Valls : « La politique de poursuite de hausse des taux d’intérêt risque d’étouffer l’économie »

Photo Christian Liewig ABACAPRESS.COM

Lors de cet entretien avec Manuel Valls, Tom Benoit et Cyril Viguier évoquent les récentes augmentations des taux directeurs par la Banque centrale européenne, ainsi que l’émergence monétaire des pays du BRICS. L’ancien Premier ministre expose un point de vue objectif sur la situation économique.

Tom Benoit : Bonjour, Manuel Valls. En 2014, lorsque vous étiez Premier ministre de la France, vous regrettiez que la Banque centrale européenne ne mène pas une politique suffisamment expansionniste. Aujourd’hui, la politique de la BCE est très restrictive. Si vous étiez aux manettes, est-ce que vous auriez procédé à l’augmentation des taux directeurs ?

Manuel Valls : Je n’ai jamais été candidat à diriger la Banque centrale européenne, qui est indépendante, mais ce qui a changé à partir de 2014, notamment avec Jean-Claude Juncker à la tête de la Commission européenne et Mario Draghi à la tête de la BCE, c’est la politique expansive. D’ailleurs, on l’a vu notamment pendant la période du COVID et cela a été très utile. Donc, on peut comprendre certaines décisions de la BCE par rapport à la montée de l’inflation, mais j’alerte sur une politique de poursuite de hausse des taux d’intérêt qui risque d’étouffer l’économie et peut mettre dans une très grande difficulté des millions de personnes appartenant à la classe moyenne concernant le logement.

Tom Benoit : Oui, puisqu’une augmentation des taux directeurs entraîne une limitation des accès aux prêts pour les ménages comme pour les entreprises, donc une crise de l’immobilier parfois. Par rapport à la situation espagnole – vous avez une expérience citoyenne et politique en Espagne -, est-ce que la France pourrait connaître la même situation que l’Espagne, c’est-à-dire une baisse significative des ventes sur le marché de l’immobilier ?

Manuel Valls : C’est un risque et je crois qu’en France, on est déjà en train de s’en apercevoir. Cela a des conséquences en termes d’emploi pour un secteur qui est celui du BTP, qui est évidemment un secteur essentiel, mais l’accès à la propriété – l’Espagne est un pays de propriétaires, tandis qu’en France, il y a aussi beaucoup d’habitat social – pour les jeunes ménages, est un vrai sujet. Or, on voit, selon les banques, que l’accès au crédit pour le logement est déjà en recul, donc attention, car on touche là à notre économie et à sa croissance. Les dernières prévisions publiées par le FMI sont plutôt correctes, mais cela a aussi des conséquences sur les classes moyennes et quand on touche à ces classes moyennes, les conséquences politiques, dans un moment que nous avons déjà décrit comme délicat, peuvent être considérables.

Tom Benoit : Des conséquences sur la monnaie également et la crédibilité de la monnaie. Est-ce que l’essor des BRICS et de pays comme l’Arabie Saoudite par exemple, qui frappent de plus en plus fort à la porte des BRICS et sont exportateurs de pétrole, pourrait conduire des pays de la zone euro et la zone euro vers des crises de solvabilité ?

Manuel Valls : Il faut faire attention, c’est en effet un des sujets d’actualité. Ces crises de solvabilité peuvent aussi concerner des pays qui appartiennent à ces BRICS également. Mais attention, car nous sommes dans des économies très interdépendantes. Je me réjouis qu’on ait une BCE forte, qui agisse. Pour que l’unité de l’Union européenne sur le plan économique soit vraiment accomplie, il faut une politique monétaire, fiscale, des harmonisations économiques, fiscales et budgétaires qui aillent jusqu’au bout, mais attention aux conséquences que vous venez de décrire.

Cyril Viguier : Je reviens sur la question de Tom Benoit, en voulant la creuser avec vous, Manuel Valls. Vous qui connaissez bien l’Espagne, bien sûr parce que vous êtes aussi espagnol. Quelle est la différence aujourd’hui entre l’Espagne et la France ? Comment jugez-vous les deux pays, vous qui allez souvent en Espagne ? Je rappelle que vous êtes marié avec une Espagnole. Comment observez-vous l’évolution de ces deux pays ? Qui est devant aujourd’hui ?

Manuel Valls : La France est devant, la France est une puissance économique, budgétaire, politique. La France parle au monde alors que l’Espagne a renoncé depuis longtemps à parler au monde.

Cyril Viguier : Malgré sa langue, l’expansion de celle-ci ?

Manuel Valls : Oui, elle ne parle pas suffisamment à l’Amérique latine notamment et moi, je souhaiterais que la France parle aussi davantage à l’Amérique latine. Nous avons, avec l’Espagne, un destin commun, qui est celui de la Méditerranée et du rapport avec ce continent d’avenir qu’est l’Afrique : pas seulement à cause du défi de l’immigration, il y a aussi des défis géopolitique, économique, énergétique. Il y a toute cette jeunesse d’Afrique qui nous intéresse…

Cyril Viguier : Êtes-vous bien perçu en Espagne ?

Manuel Valls : Oui. Toujours avec un regard d’ailleurs étonné. Eux qui ont la retraite à 67 ans sont étonnés de ces mouvements de grève. Ce sont des pays plus apaisés dans le débat politique, même si fracturés, que nous peut-être, avec des gens qui croient moins en la politique.

Tom Benoit : Il y a la question de la dette publique naturellement, nous allons franchir en France la barre symbolique des trois mille milliards de dette publique. Or il y a des pays comme le Japon, qui a une dette à 260% de son PIB, mais détient 90% de sa dette. Nous détenons seulement 48%. Quelles perspectives voyez-vous par rapport à la soutenabilité de la dette publique en France ?

Manuel Valls : Ce sera rapide, donc ce n’est pas facile, mais c’est le grand sujet. Or c’est pour cela que l’effort demandé aux Français doit être bien expliqué. Parce qu’après la protection que les entreprises, mais aussi les citoyens, ont eu pendant la période du COVID, il faut dire que nous ne pouvons pas continuer avec le niveau de déficit public et de dette que nous avons, sinon, les conséquences économiques et sociales seront considérables. ■

Propos retranscrits par Oscar de Préneuf.

Géostratégie magazine est partenaire de l’émission politique Face aux territoires présentée par Cyril Viguier et diffusée en direct chaque jeudi matin sur TV5Monde. »


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