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Le retour du singe sélénite

Jean-François Marchi

Tribune libre. Pour celles et ceux qui l’ignoreraient, le singe sélénite est un personnage imaginaire vivant sur la lune, selene en grec. On a également nommés sélénites les adorateurs de la lune, secte qui se réunissait dans les bois encore au début du siècle dernier pour accomplir des rites initiatiques à la clarté des rayons  de l’astre de la nuit, « Le soleil des loups ».

L’un de ses adeptes, repéré par l’historien du bizarre, Guy Breton, ne prétendait-il pas que les poils lupins lui poussaient à l’intérieur de la peau, sous les effets bénéfiques de la descente au moment ad hoc du « fluide astral » en provenance de l’astre révéré.

Une autre branche de la secte attendait la fécondation du même fluide nommé cette fois-ci « sperme astral » lors de cérémonies réjouissantes pour l’oeil et pour l’esprit, au bois de Boulogne, si j’en crois l’historien cité, durant les nuits du gui l’an neuf. Il ne semble pas que l’Assemblée nationale soit si éloignée du bois de Boulogne, ce qui expliquerait, si la saison avait coïncidé, le retour en force du singe sélénite dans la fureur  punitive qui l’a saisie il y a peu.

Un député particulé, donc certes pas l’un des moindres, aurait suggéré que ne repartissent sur la lune, et plus vite que ça, tous ces migrants sélénites qui ont la prétention de s’introduire frauduleusement en France. Mais, nom d’un singe sélénite, si l’on ne peut plus parler du lieu d’où proviennent ces migrants, la lune en l’occurrence, où faudra-t-il les localiser ? En Chine ? En Afrique ? Au Monopotapa ? Le Monomotapa, on le sait, depuis la fable Les deux amis, cela n’existe pas, puisque à en croire le fabuliste, en écrivant ce vers : « Deux vrais amis habitaient au Monomotapa  » il suggère qu’il ne peut exister de véritable amitié puisque le pays n’existe pas. Après cet amer rappel, restent la Chine et l’Afrique.

En bref, imaginer de renvoyer sur la lune tous ces sélénites qui nous empastifouillent, c’était obscène !

Le grand Manitou qui règne sur ce coin de terre auquel appartient le bois de Boulogne s’en est mêlé. A l’unisson des glapissements réprobateurs des hypocrites, il joignit sa voix inautorisée dans une telle enceinte, pour faire part de son émoi. Et moi, et moi, et moi chantait Jacques Dutronc, en évoquant les 800 millions de petits chinois. Chut, il faut dire sélénites, on ne dit pas davantage ni Chine ni Afrique non plus, sauf quand on évoque la pompe miraculeuse qui porte le nom de cette dernière contrée.

Cette affaire est lamentable de falsification. Toujours des semonces, toujours du patati , toujours du patata. A force de prendre les gens pour des imbéciles on en fait des imbéciles réellement.

Il me vient à l’esprit les mots que Charles Maurras avait décochés à Georges Clemenceau, qui ne les méritait certes pas : « Destructeur sinistre et sinistre imbécile ! » En rajoutant un «s » au mot imbécile, on  comprend mieux la mauvaise foi des vierges effarouchées.

Soyons large, mettons aussi des « s » à destructeur et à sinistre.

Il y avait une différence notable entre souhaiter que les sélénites envahisseurs repartissent sur la lune dans leur ensemble et prétendre que seul l’adversaire du député incriminé, sélénite lui-même, était visé par l’injonction. Vous aurez bien compris qu’en fin de compte la lune n’est pas venue par hasard dans l’exposé de cette pitrerie, dont on peut dire que les personnes concernées par le scandale qu’elles avaient fomenté, étaient elles-même comme la lune dont elles se plaignaient.

Cette fable est comme un palindrome, elle se lit aussi bien de droite à gauche que de gauche à droite et du haut jusqu’en bas comme du bas jusqu’en haut, et même du très haut, cela va de soi.

Destructeur sinistre, avec ou sans « s ».

Les Jacquadits qui perroquent en criant au racisme, c’est évident, font dire au pauvre bougre ce qu’il n’a pas dit, ils le punissent avec la méchanceté jubilante des fanatiques qu’ils sont devenus.

Il faut lire de toute urgence Les contes cruels de Villiers de L’Isle -Adam, en particulier la nouvelle intitulée Les plagiaires de la foudre.

Ce petit monde y est croqué comme un bonbon acidulé.

Ne parlons même pas des draps de la défense déchirés et jetés en boule au bas du grand lit national qui constitue l’assemblée du même nom.

Gouverné à l’aveuglette, sinon même à tâtons, le pays s’enfonce dans la noirceur du rien, que zèbrent de temps à autre les éclairs et les clameurs des Palotins du père Ubu. 

Jean-François Marchi


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