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Vincent Klingbeil (European Digital Group), le fédérateur du digital

C’est l’entrepreneur dont l’étoile brille de plus en plus fort au firmament du digital. Il a su relever les défis qui viennent se mettre sur la route de tout entrepreneur, jusqu’à créer European Digital Group, en pleine évolution. Cette ETI du digital est l’une des pépites françaises du moment, et vise sans trembler un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros d’ici 5 ans.

Vincent Klingbeil

Vincent Klingbeil, l’esprit d’entreprendre est-il dans votre ADN familial ?

Vincent Klingbeil : Mon père est chirurgien-dentiste, ma mère commerçante, elle a monté plusieurs magasins. Plus que l’entrepreneuriat, c’est donc le goût de l’indépendance qui était bel et bien présent dès l’enfance. Mais je ne me suis pas lancé dans la création d’entreprise dès le démarrage de ma vie professionnelle. Après des études de commerce et de droit, je suis devenu avocat. Mon premier job fut de travailler pour un cabinet d’affaires américain. Je me suis rapidement aperçu que cela ne me correspondait absolument pas ! Je ne trouvais aucun épanouissement dans ce travail que j’avais pourtant choisi. Le salaire était évidemment confortable, mais pas au point de poursuivre dans cette voie. À tel point que j’ai décidé de monter un nouveau projet et de changer d’orientation et de vie.

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Sans aucune crainte ?

Vincent Klingbeil : Si ! J’avais extrêmement peur, mais il n’y avait pas le choix, je n’étais vraiment pas heureux dans ce que je faisais, je me suis dit, tant pis si je gagne moins, je dois absolument me donner une chance de me forger une meilleure vie. Ma crainte venait aussi du fait qu’autour de moi, tout mon entourage me disait de ne pas me lancer dans une création d’entreprise, une aventure risquée alors que j’avais un chemin tout tracé et des années d’études derrière moi. J’ai quand même créé ma startup, Talent Zapping, et en dépit de tous mes efforts, cela n’a pas fonctionné, ce fut l’échec.

Comment rebondit-on après cela ?

Vincent Klingbeil : Ce fut un moment compliqué, car finalement, ceux qui m’avaient prévenu de ne pas y aller avaient eu raison. Vivre un échec est sur le vif douloureux. J’étais à la croisée des chemins comme tant d’entrepreneurs, je souhaitais poursuivre en créant une autre structure avec une nouvelle idée, je n’avais aucune envie de revenir à mon ancienne vie. J’ai pris l’avis de ma femme que je venais de rencontrer, elle m’a conseillé de retenter l’aventure, ma famille également. C’est ainsi qu’Ametix est née, une success story. J’avoue que ce fut une grande satisfaction pour moi et mes proches, tout comme d’entendre certains qui avaient prédit le pire m’affirmer ensuite le contraire.

Faut-il en passer par les échecs pour pouvoir aller très haut ?

Vincent Klingbeil : Je vous parle ici des circonstances qui ont mené à la naissance d’European Digital Group, mais l’échec de Talent Zapping est ce qui m’a donné la « rage » en quelque sorte, et m’a aussi appris l’humilité, car jusque-là, je n’avais plutôt connu que des réussites en quelque sorte. Rétrospectivement, je suis convaincu que l’échec est un impôt à payer qui vous ouvre la voie de la réussite. Après cette désillusion, au moment de créer Ametix, mon état d’esprit était loin d’être serein. Heureusement, pas de second échec, au contraire, nous sommes passés de 0 à 600 employés en 5 ans. Après le succès d’Ametix et sa revente, j’ai retrouvé ces mêmes sensations, le même trac, une pression maximale, car après un premier succès, on attend de vous encore mieux. J’ai travaillé jour et nuit pendant deux ans de 2017 à 2019 pour lancer European Digital Group, et le succès a été encore plus important qu’avec Ametix, car en 4 ans, nous approchons des 1500 collaborateurs. Le trac et l’échec sont deux marqueurs dans ma trajectoire d’entrepreneur, mais je pense qu’il est nécessaire de garder un certain stress, générateur d’énergie, et de l’ambition pour progresser.

Pour un commerce, l’emplacement est le maître-mot, pour une entreprise, le bon moment est-il son équivalent ?

Vincent Klingbeil : Oui, clairement. Talent Zapping a été lancée la même année que Facebook, un peu trop tôt. Son concept était de poster des vidéos d’humoristes qui se lançaient des battles, puis le public votait. L’audience était excellente, mais en dépit d’avoir testé plusieurs modèles économiques, la rentabilité n’a jamais été atteinte. Le concept n’était pas en cause, il a d’ailleurs été plus ou moins repris depuis. Pour une startup tout particulièrement, détenir les bonnes compétences et avoir le bon « time to market » est essentiel. À l’époque, j’étais encore un junior, et quand la société s’est arrêtée, j’étais « au fond du trou », mais finalement peut-être n’aurais-je jamais réussi sans cette première expérience. Il faut vivre ces moments-là pour gérer de mieux en mieux les difficultés et imaginer les solutions. J’ai une personnalité plutôt stressée au départ, mais aussi optimiste. L’expérience, le vécu sont nécessaires pour mieux maîtriser la pression et trouver les portes de sorties.

L’année passée aux Etats-Unis fut-elle primordiale dans votre parcours ?

Vincent Klingbeil : Très importante oui ! J’y ai découvert une culture, une façon de penser et acquis mes compétences en anglais, indispensables aujourd’hui en matière de business. D’ailleurs, 50% des acquisitions que nous prévoyons à partir de cette année se feront à l’étranger, notamment aux US. L’autre élément est que j’ai expérimenté la vie dans un campus à l’américaine, de 65 000 étudiants, ce fut non seulement très enrichissant, mais je m’y suis fait des amis avec lesquels je corresponds encore aujourd’hui.

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Comment s’est constitué European Digital Group, entre croissance interne et externe ?

Vincent Klingbeil : European Digital Group est né avec le soutien du fonds d’investissement Montefiore Investment. J’avais été en contact avec Eric Bismuth, le fondateur, lorsqu’il s’était positionné sur le rachat d’Ametix, finalement vendu au groupe la Poste. Nous sommes restés en bons termes, et avons décidé de lancer le nouveau groupe ensemble. European Digital Group est composé d’ultra-spécialistes positionnés sur tous les leviers de la transformation et de l’accélération digitale des entreprises, ce qui nous permet d’aller sur tous les secteurs économiques, qu’il s’agisse du luxe, de la grande distribution, de la pharma… Notre croissance organique annuelle est en moyenne de 27%, bien supérieure à celle du marché. Le principe de nos acquisitions est de repérer une expertise qui nous manque, et de proposer notre principe d’association (cf encadré). Nous avons procédé à plus d’une vingtaine d’acquisitions en quatre ans et une dizaine de créations de sociétés en interne. Nous choisissons des structures rentables, qui dégagent déjà entre 2 et 10 millions d’Ebitda. Notre groupe est en quelque sorte le « LVMH du digital », nous grandissons sur le principe du build-up. L’intégration dans EDG se traduit pour ces entreprises par une accélération importante de leur chiffre d’affaires sans sacrifier leur rentabilité ni les dénaturer. Notre objectif est de développer un maximum de synergies entre elles.

Qu’en est-il du partage de la valeur ?

Vincent Klingbeil : Il s’agit de l’autre critère spécifique de notre groupe. Sur 1500 collaborateurs, près de 300 sont actionnaires, ce qui explique en grande partie notre hypercroissance et hyper-rentabilité. Le partage de la valeur est encore assez original, mais peut constituer un outil de succès pour les ETI y compris dans d’autres secteurs de l’économie. Les salariés sont plus motivés, il est plus facile de recruter des profils ultra compétents, de les fidéliser également ensuite, ce qui est indispensable pour devenir un champion dans son secteur. La preuve en est que 100% des entrepreneurs qui nous ont rejoints ont décidé de rester lors du prochain LBO.

Vous accueillez un nouveau fonds, Latour Capital à hauteur de 30%, est-ce pour augmenter la part de l’international dans un volume d’affaires encore très français ?

Vincent Klingbeil : Nous avons reçu six lettres d’intention et avons finalement choisi Latour Capital notamment pour des raisons humaines et de par leurs réalisations passées. Nous avons aussi donné la préférence à un fonds français pour des raisons d’agilité, cela garantit des décisions plus rapides par rapport à un fonds anglo-saxon, où les prises de décisions remontent au pays d’origine. Notre objectif est de passer de 280 millions de chiffre d’affaires à 1.2 milliards d’euros en 5 ans, avec un maintien de 20% de marge d’EBITDA sur le CA. Pour réussir, il nous faut poursuivre sur notre stratégie, c’est-à-dire travailler en parallèle notre croissance organique et la croissance externe. Notre département M&A a pour objectif de réaliser la moitié de nos acquisitions à l’étranger, avec une stratégie ciblée en Europe occidentale et aux Etats-Unis. La moitié du plan M&A 2024 est déjà sécurisé à la fin janvier 2024 dont une cible à l’international. Nos premières annonces devraient intervenir courant du second trimestre 2024.

Vous avez créé récemment la Digital Academy au sein d’EDG, avec Ad’s up Campus, dans quel but ?

Vincent Klingbeil : La Digital Academy a deux missions à remplir. En premier lieu, elle forme chaque collaborateur sur tous les leviers du digital, notamment les nouveaux outils d’IA Générative. Notre équipe est formée d’ultra-spécialistes qui peuvent ainsi s’acculturer à tous les aspects du métier. Par ailleurs, nous avons aussi développé en 2023 la Sales Academy avec Pitch Planet à destination de nos équipes commerciales. Ces différentes formations s’adressent également à nos clients, avec là aussi l’objectif de les faire monter en compétences sur les nouveautés installées chez eux. Dans notre métier, il est indispensable de se former tout au long de sa vie et de sa carrière, le « long life learning », tant les innovations sont nombreuses et impliquent des disciplines et expertises différentes.

L’IA va-t-elle transformer votre offre ?

Vincent Klingbeil : Nous avons nommé un Chief AI Officer en la personne de Hervé Mignot qui occupe la même fonction au sein de notre filiale Equancy. A lui de développer notre offre de conseil en matière d’intelligence artificielle. Nous avons déjà été sollicités l’année dernière pour plus d’une vingtaine de missions sur ce sujet, la croissance se poursuivra cette année car nous sommes à même de répondre aux attentes fortes des clients. Hervé Mignot est aussi responsable d’organiser les changements en interne afin de mettre en place dans chacune de nos structures les outils innovants qui vont nous permettre d’améliorer nos services. Dans notre métier et ailleurs, je considère l’IA comme une formidable opportunité qui va modifier la façon de travailler en éliminant certaines tâches répétitives. Il y a d’énormes opportunités dans le domaine du service. En revanche, je crains beaucoup pour le futur de ceux qui ne l’utiliseront pas.

Vous avez parlé de motivation, le recrutement est-il aussi un problème pour une entreprise comme la vôtre ?

Vincent Klingbeil : Les Relations Humaines sont la clé de voûte de la réussite, chez nous comme ailleurs. Dans notre secteur, il y a actuellement 80 000 postes vacants ! Cette pénurie européenne, américaine aussi, met évidemment une pression sur les salaires. Le défi est de trouver les bons talents. Pour y parvenir, il faut travailler à construire la notoriété de la marque employeur, rester ouvert et ne négliger aucun détail. L’accueil, le recrutement, la fidélisation des talents, les engagements RSE, sont autant de critères essentiels pour les collaborateurs. Chez EDG, nous accueillons plus de 500 nouveaux collaborateurs en moyenne chaque année dans le groupe. La stratégie de recrutement est notamment basée sur nos valeurs, en priorisant la parité, la diversité et l’égalité des chances. Nous avons nommé en tant que Chief Impact Officer, Marine Jousseaume, actuelle DRH et responsable RSE chez Metsys pour prendre la main sur les actions à mener au sein du groupe et de ses filiales.

Comment est constitué votre Comex et qui sont vos clients ?

Vincent Klingbeil : Tous les directeurs de nos business units font partie de notre Comex, ainsi que les directeurs des différentes équipes du siège (Finance, M&A, Commercial, Communication). Je le préside et donne le cap. Nous avons parmi nos clients les . du CAC 40 et du SBF 120 (indice boursier référence de la Bourse Paris, un CAC 40 élargi). Nous conseillons également des startups du Next 40 (un indice créé en 2019 rassemblant 40 entreprises prometteuses).

Tous les secteurs sont concernés, notre clientèle est constituée à 70% de grands groupes et à 30% de PME et ETI. Le secteur est très porteur, évalué à 90 milliards. Il est dominé par quelques très grandes sociétés telles que Publicis ou Omnicom et quelques autres. Mais 60% du marché reste très fragmenté, une opportunité à saisir. Que ce soit chez Ametix, ou aujourd’hui chez European Digital Group, l’une des forces est que tous les clients veulent réussir leur transformation digitale, d’abord sur un seul vecteur, puis plusieurs. Cela représente de formidables opportunités et explique aussi que nous puissions sortir une croissance organique 2023 de 27% et de 100% en y ajoutant la croissance externe. Pour rappel, la croissance du marché global est de 12%.

Le Tech Show, le talk show d’EDG diffusé sur YouTube, est-il un outil d’influence pour le groupe ?

Vincent Klingbeil : Le Tech Show est une émission mensuelle qui remporte un beau succès, on peut même dire qu’elle « cartonne » avec quelques 500 000 vues par épisode. Je l’anime avec plaisir, pour partager les actualités, mettre en avant les acteurs du digital, qu’ils soient ministres ou entrepreneurs. Mais bien entendu, cela permet aussi de partager des moments différents avec nos filiales. Elles participent à l’émission, nos chroniqueurs en sont issus. En toute humilité, le Tech Show est une émission populaire à part entière, nous avons même été approchés par certains médias pour des projets, mais à ce jour, l’émission fonctionne très bien en se positionnant comme le rendez-vous du monde de la Tech.

À chacun son hobby, sa façon de décompresser. Il semble que le vôtre soit le jeu d’échecs. Y voyez-vous une relation avec le métier d’entrepreneur ?

Vincent Klingbeil : Je suis un vrai passionné du jeu d’échecs depuis l’enfance, et je cultive cette passion en travaillant avec un grand maître deux fois par semaine. Il existe en effet un parallèle avec le métier d’entrepreneur. En premier lieu, il faut beaucoup travailler pour réussir, l’intelligence ne suffit pas. L’improvisation n’y a pas sa place, il convient de beaucoup apprendre, de connaître toutes les ouvertures par exemple, tout comme il faut connaître ses dossiers, ses clients…
Cette somme de connaissances est indispensable et prend du temps. Les échecs exigent aussi une vision stratégique, globale de l’échiquier et de ses possibilités, on ne joue pas que pour le prochain coup, mais aussi pour les suivants. Cette vision est très similaire à l’objectif final que l’on recherche ou dont on rêve pour sa société. Je dirais enfin que c’est un jeu qui permet d’améliorer sa logique, mais aussi son instinct. Dans ma vie professionnelle, l’instinct intervient dans absolument toutes mes décisions.

Je dirais que je fonctionne pour moitié en étant rationnel et analytique, et pour moitié instinctif. Je suis profondément convaincu que ne pas se fier au moins partiellement à son instinct peut conduire à prendre de mauvaises orientations. Les deux approches, raisonnée et instinctive, constituent à mon avis le bon mix pour un entrepreneur. Sinon, j’ai une vie bien remplie, avec trois enfants ! J’adore aussi le poker et je pratique le renforcement musculaire pour rester en forme. Je suis un gros travailleur pendant toute la semaine, et je tente de réserver tous mes week-ends à la famille et au privé.

Votre croissance hors-pair s’appuie en fédérant des entrepreneurs. Est-ce la clé de votre succès ?

Vincent Klingbeil : Nous formons un groupe qui a réussi à engendrer un fort sentiment d’appartenance. Nous nous distinguons aussi par les nombreuses synergies générées entre nous et par une émulation particulièrement puissante. Nos clients ne s’y trompent pas, une bonne moitié utilise plusieurs de nos services, bénéficie de l’expertise de plusieurs de nos sociétés, mais en ayant un seul interlocuteur en charge de la coordination, ce qui garantit l’efficacité du processus et la facilité relationnelle. De la passion se dégage de notre aventure collective, nous sommes ensemble, tous obsédés par la satisfaction client, moi le premier, afin de faire progresser sa valeur ajoutée et la nôtre.

L’autre passion qui nous rassemble est bien entendu celle du digital, il est excitant de travailler sur le monde futur, avec des évolutions très rapides de technologies, de processus, de méthodes de travail, un monde dans lequel il faut être en veille permanente et qui est ultra-porteur. Si nous nous sentons bien, c’est aussi parce que le groupe a de bons résultats ce qui est évidemment très agréable ! Nous avons l’ambition de poursuivre notre forte croissance, avec une volonté assumée de devenir un acteur leader en France et à l’international.

Propos recueillis par Anne Florin


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