Le compositeur et pianiste Francis Poulenc a découvert la statue de la Vierge noire au sein de Notre-Dame de Rocamadour, ce qui a bouleversé à la fois le compositeur lui-même mais aussi sa musique et sa manière même de composer. C’est cette histoire d’une conversion, qui a montré une personnalité double chez Francis Poulenc, que Xavier-Marie Garcette nous raconte dans un roman passionnant qui vient de paraitre, intitulé La vierge noire et le voyou (Des auteurs des livres, 2023). Rencontre…
Marc Alpozzo : Vous faites paraître un livre, c’est un roman, alors que nous fêtons la soixantième année de la disparition du compositeur et pianiste Francis Poulenc (1899-1963), intitulé La vierge noire et le voyou (Des auteurs des livres, 2023). Le titre est énigmatique pour un profane. Pouvez-vous nous éclairer sur son sens ? Pourquoi dites-vous le voyou ? Est-ce que la Vierge noire a transformé l’homme ?
Xavier-Marie Garcette : C’est Claude Rostand, le critique et ami de Poulenc, qui a eu un jour ce mot resté fameux : « il y a chez Poulenc du moine et du voyou ». Une manière très juste de signifier combien la personnalité de Poulenc était double. Il y a simultanément en lui celui qui s’est converti en 1936 devant la statue de la Vierge noire de Rocamadour, et le « voyou », le jouisseur aux mœurs débridées qui adore s’encanailler dans des endroits louches…
M. A. : Ce livre est donc inspiré de la vie réelle du compositeur. Vous avez mené beaucoup de recherches pour l’écrire. Est-ce que cette relation avec la religion chrétienne et la Vierge, cette obsession qu’il avait pour la chapelle qui abritait la statue de la Vierge a notamment inspiré sa musique ?
X.-M. G. : C’est évident : dès la nuit qui a suivi sa venue à Rocamadour il se lançait dans la mise en musique des « Litanies à la Vierge noire » dont il avait trouvé les paroles dans le magasin de souvenirs de Rocamadour. Et au cours des années suivantes, ses œuvres de musique religieuse ont été très nombreuses, et très inspirées. Mais cela ne l’a pas empêché de garder une veine plus gouailleuse : d’ailleurs c’est pour « excuser » le côté un peu populaire de son concerto pour piano, qui n’était pas du goût de tout le monde, que Rostand a écrit cette fameuse phrase sur Poulenc.
M. A. : C’est donc sa découverte de la statue de la Vierge noire au sein de Notre-Dame de Rocamadour qui bouleversera à la fois le compositeur lui-même mais aussi sa musique, sa manière même de composer, notamment la composition des Litanies de la Vierge noire, opus 824, composée en hommage au compositeur Pierre-Octave Ferroud. Peut-on dire que Francis Poulenc est devenu à ce moment-là plus mystique ?
X.-M. G. : Mystique, je ne suis pas sûr que ce soit le terme qui le définisse le mieux. Poulenc n’est pas Messiaen, et il n’a laissé aucune trace d’écrit révélant la profondeur de sa réflexion religieuse ! Si la confiance aveugle qu’il avait envers la Vierge Marie ne peut être mise en doute, il se reconnaissait lui-même davantage la « foi du charbonnier » : il était plutôt l’homme qui va déposer un cierge au pied d’une statue, et les spéculations théologiques ne l’intéressaient pas. Cela ne l’empêchait pas de ressentir une profonde admiration pour sainte Thérèse d’Avila, qu’il a découverte lorsqu’il s’est lancé dans son opéra Dialogues des carmélites. Et Bernanos, l’auteur de la pièce dont Poulenc a tiré son livret, était, lui, un vrai mystique !
M. A. : Vous décrivez par le menu la relation que Francis Poulenc menait avec la religion catholique. Il en avait d’ailleurs hérité de son père qui avait pour habitude de dire qu’« être Aveyronnais et être catholique, c’était tout un, indissociablement ». Cette éducation catholique a-t-elle, selon vous, favorisé cette révélation qu’il a eu devant la Vierge noire ? Était-il si pieux avant cette rencontre ?
X.-M. G. : Certainement pas ! D’ailleurs j’évoque abondamment sa vie très mondaine et superficielle durant les années folles, où il était un peu la coqueluche du Tout Paris ! Et même s’il avait reçu en effet une éducation chrétienne à laquelle son père était très attaché, jusqu’en 1936 la religion était très loin de ses préoccupations. On pourrait dire toutefois qu’il vivait totalement dans le « divertissement pascalien », et que cela ne l’empêchait pas de ressentir de grandes angoisses existentielles, d’autant plus qu’il a été très marqué par les nombreux deuils qui ont jalonné son existence, à commencer par la perte de sa mère quand il avait seize ans, et de son père deux ans plus tard.
M. A. : Vous montrez également que Francis Poulenc a évoqué des échanges spirituels avec la Vierge noire, notamment au travers de la statue, et vous dites que c’était pour retrouver son inspiration étouffée par la guerre et ses pensées. Pouvez-vous nous en dire plus ?
X.-M. G. : À partir de 1936, Poulenc est retourné chaque année en pèlerinage à Rocamadour. Et avec une foi qu’on pourra trouver naïve, il était convaincu que toutes les bonnes choses qui lui arrivaient dans la vie étaient des cadeaux de Notre-Dame en réponse à ses prières. Au point même qu’en 1957, après le succès de la création des Dialogues des carmélites à Paris (alors que la genèse de l’œuvre avait été particulièrement longue et douloureuse), Poulenc est allé remettre une très belle offrande au sanctuaire pour remercier Notre-Dame à la fois de ce triomphe et… de lui avoir trouvé un nouvel amant !
Propos recueillis par Marc Alpozzo