Par Julien Billion et Claire Doussard, auteurs de l’ouvrage: « Il faut être audacieux. » Histoires et territoires d’entrepreneurs en situation de handicap. Editions EMS.
L’aide, le soutien, le réseau apparaît comme un élément essentiel au succès de l’entrepreneur. Ceci est aussi vrai pour les handipreneurs. La recherche que nous avons menée durant près de 3 ans s’est intéressée aux difficultés auxquelles les entrepreneurs en situation de handicap doivent faire face, notamment au regard de ceux qui les assistent au quotidien.
Les entrepreneurs en situation de handicap peuvent avoir besoin d’aide dans leur quotidien d’handipreneur. Néanmoins, les handipreneurs ne sont pas en situation d’équité face à la création d’entreprise. Certains d’entre eux disposent de ressources humaines pour accompagner leur handicap. Étant donné leur fonction, leur statut, ils ont des collaborateurs et des assistants qui peuvent les aider de manière régulière. Ceci constitue un gain conséquent de temps et une économie importante d’énergie profitable à leur entreprise.
Brahim, en situation de handicap visuel, reçoit l’aide d’un assistant salarié du centre de formation qu’il préside. “Mon assistant compense pas mal tout ce qui est difficile à réaliser à cause du confinement donc il m’aide énormément”. Il ne peut pas tout lui demander ce qui réduit en partie ses activités. Néanmoins, son assistant l’aide dans le cadre de l’association, et également dans celui de présentation de publications aux éditeurs et de préparation des conférences. Damien, en situation de handicap visuel, raconte ses difficultés. “Je dois quand même payer une paire d’yeux pour faire pas mal de choses parce que sinon j’y passe un temps colossal, voire je capte pas la bonne information, voire je renseigne la mauvaise information.” Il rémunère un gestionnaire qui va l’aider, entre autres, pour établir des tableaux excel, lire des éléments financiers. “Si je lis pas case par case, je vois pas les tendances donc ça prend énormément de temps outre la fatigue que ça engendre”. Il éprouve aussi le besoin d’être accompagné quand il rédige des rapports pour s’assurer que le rendu soit joli et présentable. Il se déplace régulièrement en réunion avec un collaborateur qui va lui donner la lecture des documents car quand il se rend en réunion “ben évidemment ils sont jamais en braille, ils sont jamais sous support informatique. Quand même, ils le seraient le temps que je prenne connaissance, ce serait plus long”. Il conclut : “mon handicap a un surcoût pour mes boîtes, ça c’est indéniable”.
Par ailleurs, lorsque le matériel de travail n’est pas accessible, les entrepreneurs s’appuient sur leur entourage pour les assister. Ceux-ci sont alors en mesure de gérer certains outils, surtout dans le champ du numérique. Les Technologies de l’Information et de la Communication peuvent représenter une opportunité pour les entrepreneurs. En revanche, ces technologies présentent certains inconvénients pour les personnes en situation de handicap. L’accessibilité des applications n’est pas toujours au rendez-vous, puisque l’accessibilité de ces outils n’est pas toujours nécessairement la priorité des développeurs et des fournisseurs. Jean, en situation de handicap visuel, demande à sa secrétaire de l’aider pour gérer son agenda inscrit sur un logiciel peu accessible. “Ici au centre de santé j’ai pas le choix, je suis obligé d’appeler le secrétaire”. Octave sollicite le soutien du gérant de son espace de coworking pour faire des photocopies. “Il [le matériel] est adapté aussi par la bienveillance du responsable. Y a des choses qui sont toujours compliquées”. Samir, en situation de handicap auditif, mobilise son associé dans certaines circonstances quand le centre relais ne peut être actif. “Je dois me déplacer ou alors faire appel à mon associé qui est entendant pour qu’il passe des coups de fil mais je fais en sorte que ce soit pas fréquent et seulement en situation d’urgence”. Tristan, en situation de handicap visuel, rencontre des difficultés particulières, surtout d’ordre administratif lorsqu’il doit s’inscrire sur certaines plateformes Internet. “Déjà y a ce qu’on appelle un captcha. Il faut s’authentifier en complétant des images. Quand on est aveugle, ça le fait pas”. Il doit faire appel à son expert-comptable pour poursuivre le processus.
Baptiste, en situation de handicap visuel, utilise beaucoup des technologies basées sur le Global Positioning System (GPS). “Les difficultés que je rencontre, soit je regarde au préalable sur google map pour savoir où je vais et/ou je mets mon GPS piéton si j’ai du mal sur place.”. Octave fait également appel à ces outils en complément de son chien. “Dans ce cas là, j’utilise beaucoup la géolocalisation, google maps, le waze sur le téléphone pour guider le chien car le chien lui l’adresse il la connaît pas”. En revanche, il reconnaît que ces outils peuvent être une source de stress s’ils arrêtent de fonctionner. “On a toujours cette angoisse est-ce qu’il y aura de la connexion, est-ce que le truc va marcher”. Le développement des technologies GPS a largement contribué à faciliter certains déplacements des personnes en situation de handicap. Les applications associées aux organismes de transports (RATP, SNCF) permettent de planifier au mieux les trajets. Des applications d’acteurs privés tels que Google Map, City Mapper, Waze tirent elles aussi leur épingle du jeu. En revanche, elles ne fonctionnent pas toujours, du fait du manque d’accès Internet dans certains réseaux de transports. C’est pourquoi se faire accompagner lors du déplacement demeure une solution souvent envisagée par les entrepreneurs.
Certains des handipreneurs que nous avons rencontrés ne disposent pas des ressources financières ou humaines pour se faire aider par des collègues ou des tierces personnes. Certaines tâches sont plus laborieuses à accomplir, voire irréalisables. Les difficultés d’ordre logistique qui s’accumulent et ne relèvent pas de l’entreprise à développer en tant que telle viennent s’ajouter aux obstacles inhérents au parcours entrepreneurial. Ces difficultés supplémentaires renforcent la complexité de ce parcours qui ne demeure déjà pas aisé en soi.
Jerry, en situation de handicap moteur, n’a pas les moyens de recruter des collègues. Marwa, en situation de handicap moteur, note qu’il faut vraiment avoir un poste très important pour que l’entreprise alloue l’accompagnement d’aides-soignantes la journée se rendant sur le lieu de travail. Elle prend son exemple personnel. “Je suis juste simplement à l’accueil, ils ne vont pas me mettre à disposition une tierce personne, ne serait-ce que pour manger, pour enlever nos manteaux, pour le remettre”. Elle conclut : “c’est des petites choses anodines pour certains qui sont quand même très importantes pour le confort”.
L’aide peut s’avérer nécessaire au quotidien pour accompagner le handicap des handipreneurs. Cette aide pourrait favoriser le développement de l’entreprise et réduire les inégalités entre les handipreneurs entrepreneurs face à leur handicap et à la capacité de se faire soutenir. Ainsi, il semble fondamental que le statut d’assistant pour les entrepreneurs en situation de handicap soit reconnu officiellement et légalement afin de favoriser le développement de leur entreprise. Ce statut d’assistant pourrait bénéficier d’une aide fiscale afin d’en réduire les coûts pour l’handipreneur.
NB : Les prénoms des informants ont été modifiés par souci de confidentialité.
Julien Billion, enseignant-chercheur à l’ISC Paris.
Claire Doussard, Enseignante à l’École Spéciale d’Architecture et chercheuse associée à l’UMR AUSSER 3329 CNRS
Julien Billion et Claire Doussard sont les auteurs de l’ouvrage: « Il faut être audacieux. » Histoires et territoires d’entrepreneurs en situation de handicap. Editions EMS.
