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Comment Stéphan Français veut faire de Thomson un géant de l’informatique

À 49 ans, Stéphan Français, entrepreneur sans complexes, veut conquérir le monde avec ses PC, tablettes et smartphones Thomson. Interview.

Entreprendre - Comment Stéphan Français veut faire de Thomson un géant de l’informatique

Stéphan Français n’a pas usurpé son titre d’Entrepreneur de l’année 2018. À 49 ans, ce diplômé en Sciences politiques, sans complexes, veut conquérir le monde avec ses PC, tablettes et smartphones Thomson. Interview.

En un an, vous avez ouvert plusieurs marchés (Afrique, Moyen- Orient, Etats-Unis). Comment avez- vous procédé ?

Stéphan Français : Nous avons lancé des actions de recrutement de commerciaux travaillant déjà dans l’univers informatique afin de bénéficier d’un réseau de ventes dans ces zones géographiques. Nous disposions déjà de gammes de produits pour l’Europe que nous avons présentées en Afrique, aux Etats-Unis, au Canada et sur le Moyen-Orient ; ce qui nous a permis de prendre très rapidement des commandes. Nous avons étoffé notre équipe commerciale de cinq personnes.

Un de nos commerciaux au Maroc s’apprête à décrocher un contrat avec l’opérateur Maroc Telecom pour dix pays africains. Nous positionnerons d’autres ressources sur cette zone dès que le contrat sera signé. Nous avons ouvert une filiale américaine et recruté un agent américain sur place qui gère les Etats-Unis et le Canada sous la responsabilité d’un directeur international basé en France. Nous avons signé un contrat d’agent au Bahreïn nous permettant d’ouvrir ce royaume ainsi que l’Arabie Saoudite et Dubaï.

Nous avons renforcé notre équipe en Europe, en particulier au travers d’un partenariat avec MediaMarkt (chaîne de magasins allemande spécialisée dans l’électronique et l’électro-ménager, NDLR), afin d’être en capacité de vendre dans dix pays européens.

Nous avons enrichi très significativement notre catalogue de produits depuis l’année dernière. Nous disposons désormais de trois catégories d’ordinateurs aluminium allant de produits « Atom » jusqu’à des produits « i7 » – ce sont les meilleurs processeurs du marché – avec les gammes NEOX, NEOY et NEOZ et des modèles plus classiques en plastique. Ces derniers proposent un excellent rapport qualité / prix / performance et bénéficient d’une très bonne vendabilité. Ils ont réalisé d’excellents scores de vente en France, en Europe et sur le marché Américain et nous ont permis de nous hisser dans les premières places des panels de vente.

Nous avons initié notre montée en gamme avec les NEO X (ordinateurs en aluminium). Ces modèles ont remporté un franc succès en France, au Moyen-Orient et aux Etats- Unis. Nous poursuivons notre développement avec des gammes d’ultrabooks NEO Y et NEO Z (ordinateur portable très fin et très léger en aluminium). La commercialisation de ces derniers a commencé en France, en Suisse, en Espagne et va se poursuivre en 2019 sur le reste des pays européens et aux Etats-Unis. Ce n’est qu’un début, la montée en charge ne fait que commencer.

Quelles sont les principales difficultés rencontrées quand on veut vendre dans le monde entier ?

Elles sont assez semblables dans tous les pays. Nous devons trouver un prestataire local – grossiste et distributeur – qui connaisse les clients, signer un partenariat, nous préoccuper des conditions de services après-vente pour chaque pays. Nous devons optimiser les moyens de transport en fonction des régions géo- graphiques (Etats-Unis, Afrique, Moyen Orient, Europe) et ne plus faire transiter toutes nos marchandises par la France.

Vous défiez les Américains sur leur territoire en arrivant à leur vendre des ordinateurs aux USA. Comment avez-vous relevé ce challenge ?

C’est en effet l’histoire d’un petit Français qui réinvente une marque française et européenne et qui se met à vendre des PC aux Américains… C’est finalement un peu comme vendre du riz aux Chinois (rires). Cela s’est fait de manière assez fluide. Les Américains sont orientés business. Ils ont été séduits par notre offre produit plus large et différenciante en matière de couleur et d’écran. Les parts de marché que nous avions gagnées en France ont également eu une valeur démonstrative. En l’espace de quatre ans, nous sommes devenus leader des ventes de produits à moins de 300 euros en France. C’est un exploit inimaginable il y a encore quelques années.

Les Américains ont été très à l’écoute, ils ont regardé et vérifié la qualité du produit, et ont fortement apprécié notre originalité en matière de design, de couleur et de configuration. La constitution d’un ordinateur est comparable aux variables d’une partie d’échec qui commence : vous disposez de millions de possibilités pour réaliser un PC. Nous avons été très pragmatiques en mettant sur le marché des offres séduisantes avec un excellent rapport qualité-prix. Le monde de l’informatique est dominé par six marques phares (Apple, Acer, Asus, HP, Lenovo, Dell). Nous sommes arrivés dans la peau du petit acteur, mais grâce à notre présence sur la scène internationale, Thomson vise aujourd’hui à la 7ème place mondiale.

Comment sont accueillis les produits « made in France » en dehors de nos frontières ?

Nos interlocuteurs étrangers apprécient beaucoup les Français. Ils nous perçoivent peut-être comme les nouveaux entrants offrant une flexibilité et une agilité en matière de design et d’ évolution technologique plus forte que les mastodontes installés. C’est aussi la « french touch » !

Comment conserver une avance technologique forte ?

C’est la question fondamentale ; elle est à l’origine de la création de la Société. Des années durant, j’ai constaté, en tant que directeur achats au sein de l’enseigne Surcouf (filiale, à l’époque, du groupe Pinault devenu Kering), que la technologie n’arrivait pas au moment où elle sortait. Les six majors de l’industrie informatique ayant un modèle économique beaucoup plus proche de celui de l’ industrie automobile que l’ industrie informatique, leur modèle est basé sur quelques références qu’ils produisent en très grosses quantités avec des équipes très conséquentes dans chacun des pays, des campagnes marketing massives et onéreuses, des locaux spacieux, etc. Pour amortir la sortie d’un produit, il leur faut donc une quantité astonomique de pièces à produire et à vendre. Une fois la production réalisée, les équipes de vente sont mobilisées mais l’amortissement des dépenses colossales engagées les contraint à respecter un calendrier à deux ou trois ans.

Vous avez beaucoup misé sur l’innovation de rupture…

Oui, nous estimons que la technologie avance beaucoup plus rapidement que la « vendabilité » des produits des marques installées. Notre schéma consiste à être les premiers à proposer la technologie dès qu’elle sort et à la promouvoir au travers de produits séduisants, à des prix maîtrisés grâce à des charges de structure très inférieures.

Nous avons fait le choix d’externaliser beaucoup plus de choses que nos concurrents, comme, par exemple, une partie de la R&D qui est confiée à des partenaires français tels que Hu and Co et Technofirst afin que les charges associées soient variables.. Pour résumer, notre stratégie consiste à bien faire ce que nous maîtrisons – le logiciel, la mise à disposition de la technologie, la partie commerciale et la composition de l’ordinateur – et à confier à des experts tous les pans que nous maîtrisons moins. A titre d’ exemple, nous externalisons également le SAV, la logistique et le transit. Nous apportons une valeur ajoutée à travers notre proposition produit et nous souhaitons continuer à être les premiers à proposer de la technologie.

Double champion olympique de judo, Teddy Riner est également actionnaire et ambassadeur de Thomson Computing.

Votre réussite offre une belle leçon d’optimisme dans un secteur hyper concurrentiel : l’informatique, qui affiche une importante décroissance. Considérez-vous qu’il n’existe pas de secteur condamné ?

Là où il y a du mouvement, il y a toujours de l’espoir. Il existe des secteurs chancelants, mais nous avons assisté à des révolutions technologiques et à l’introduction de modes de pensée différents qui ont permis de redonner un nouvel élan à des secteurs essoufflés. C’est précisément ce que nous avons prouvé par notre histoire. Depuis 2000, sept acteurs de l’informatique ont disparu ou ont réduit leur activité grand public (Sony, Toshiba, Samsung, Packard Bell et Compaq ont été rachetés, IBM a vendu à Lenovo) du fait de dépenses très largement supérieures aux recettes

et d’une situation de déficit chronique. Nous avons privilégié un schéma vertueux en considérant qu’il ne faut pas lancer de production sans commandes. Nous devons proposer des produits à nos clients, et obtenir des commandes sur les bases de ce que nous avons réalisé : des cartes mères, des choix produits ou logiciels que nous avons mis dans nos machines. Grâce à ce schéma vertueux, nos niveaux de stocks sont toujours très bas et nous sommes assurés d’une adéquation avec la demande sans être victime de sur-stocks et de dépenses inconsidérées sur des produits qui seront peut-être obsolètes six mois après. Je reste persuadé que ce n’est pas parce qu’un secteur entier est en déconfiture qu’il n’existe pas de solution : il faut penser différemment et proposer un schéma de rupture. La presse nous caractérise de « ZARA » de l’informatique car nous avons un schéma très innovant dans un monde quelque peu archaïque.

Quelles sont, pour vous, les valeurs cardinales d’un entrepreneur ?

La capacité à entraîner : en sachant constituer une équipe autour de soi et en étant très respectueux de leur travail en situation de réussite mais aussi d’insuccès. Notre équipe managériale est composée de sept anciens chefs d’entreprise. J’ai souhaité que tous les collaborateurs deviennent actionnaires de la société en distribuant des actions gratuites aux personnes qui font leurs preuves après deux ou trois années passées dans l’entreprise. C’est un choix vertueux.

Les valeurs de l’entreprise sont liées au travail : il n’existe rien de plus important à mes yeux que de savoir que tout le monde participe activement au développement de la société. Nous avons fait le pari de miser sur une société dont le socle est le mérite et non la politique. Nous encourageons la valeur travail, le respect de nos clients, l’ innovation et l’audace. L’audace fut une composante essentielle de notre scénario gagnant : il était assez peu probable il y a quelques années qu’ une société française, qui a commencé avec 30 000 euros, puisse devenir un acteur mondial en l’espace de 5 ans et vende des PC aux Américains.

Nous disposons aujourd’ hui de 7 M€ de fonds propres. Je considère que dans ce schéma gagnant, il est important d’ouvrir notre capital et faire rentrer des investisseurs afin de pouvoir changer de dimension. Nous allons ouvrir notre capital l’année prochaine afin d’obtenir entre 10 et 20 M€. Ce n’est pas superflu, compte-tenu des ambitions mondiales.

Comment trouver des financements ?

Group SFIT (Thomson Computing) dispose aujourd’ hui d’ un actionnariat 100% français, et j’ai à cœur de trouver des partenaires français ou européens. N’oublions pas que Thomson est une marque française depuis plus d’un siècle. Nous avons fait rentrer les fonds Esfin, Financière d’Uzès et Calao il y a deux ans, et nous cherchons aujourd’hui des partenaires qui pourront s’inscrire dans un schéma de complément afin de nous accompagner dans la phase 3 de notre développement sur 2019. Nous avons pour objectif d’ animer les ventes dans les pays déjà ouverts et d’élargir les zones géographiques sur lesquelles nous distribuons nos produits. Nous cherchons des partenaires financiers dont c’ est la spécialité en vue de leur proposer de rentrer en dette ou en equity.

Mon idée est de trouver un gros partenaire, comme un acteur du CAC 40 qui œuvrerait en tant que partenaire industriel, de développement d’idées et de R&D. Nous étudions également la possibilité d’une introduction en Bourse ; cette alternative pouvant constituer une solution intéressante. Nous incarnons la réussite d’ un petit fleuron français face à des géants de l’informatique chinois et américains. C’est une belle histoire. Les médias se sont emparés de notre parcours, votre magazine n’y est pas pour rien. Je n’ai que du bien à dire de la presse qui nous a apporté ce précieux soutien. L’impact médiatique est fondamental.

Vous luttez contre des mastodontes largement soutenus financièrement par leurs Etats respectifs. Qu’en est-il pour vous ?

Je n’ai reçu aucune aide. Nous avons mené cette aventure entrepreneuriale seuls et grâce à l’audace et à la résilience de notre équipe. Je serai reçu à l’Hôtel Matignon par le Premier ministre et ses conseillers le 14 décembre et j’ espère pouvoir obtenir un appui conséquent. Je ne cherche pas nécessairement une aide financière mais on pourrait imaginer une forme d’emprunts ou de pénétration de marché. Je souhaiterais pouvoir accompagner Emmanuel Macron à l’occasion de certains déplacements afin d’assurer l’ouverture de pays ciblés. Sur de grosses implantations comme aux Etats-Unis, une aide financière de Bpifrance serait appréciable. Nous avons été peu soutenus même si la BPI nous a apporté son aide en matière de garantie bancaire. Jusqu’à aujourd’hui, nos vrais partenaires ont plus été les banques (LCL, Crédit Agricole, Caisse d’Epargne, Palatine, Bred, HSBC) que l’État. Mais c’est en train de bouger.

Quelles sont vos ambitions au niveau international dans les années à venir ?

Le premier axe de développement se fera par le terrain. Nous allons poursuivre le recrute- ment de commerciaux dans des zones géo- graphiques qui ne sont pas encore couvertes. Nous sommes en train de décrocher notre première commande en Inde et nous initions également un distributeur en Russie. Nous attachons une attention particulière à réussir à conclure un accord avec Maroc Telecom afin d’ être présents au Maroc mais aussi sur dix pays africains francophones. Nous souhaitons également développer l’activité en Europe qui est un marché essentiel autour de Mediamarkt et de nos distributeurs. Des grands comptes européens comme Carrefour nous per- mettent par ailleurs d’être présents dans une dizaine de pays et vraisemblablement dans une vingtaine en 2019.

Comment voyez-vous l’avenir du Group SFIT (Thomson Computing) ?

Nous allons considérablement élargir notre gamme produits. Leader en France des PC à 300 €, nous avons pour ambition de continuer de monter en gamme l’année prochaine en sortant des PC très évolués intégrant les dernières technologies avec des prix pouvant atteindre 2000 €, afin de taquiner des marques comme Apple mais avec des technologies beaucoup plus pointues. Au-delà du développement de produits plus haut de gamme, nous allons nous attaquer au marché de la téléphonie en 2019 avec des produits innovants comme notre téléphone vidéoprojecteur qui sortira au premier trimestre.

Envisagez-vous des opérations de croissance externe ?

Ce n’est pas dans notre stratégie. Nous sommes convaincus que l’ humain est la clé de voûte. Nous misons donc sur une croissance organique adossée à un recrutement intensif de personnes ayant envie de participer à une aventure humaine incroyable. Nous sommes actuellement sur un schéma de croissance de 80% par an. Notre ambition à 5 ans étant de réaliser dans les 800 M€ de CA. Avec un chiffre d’affaires d’un milliard, nous serions seulement à un quinzième du plus petit acteur mondial, notre premier concurrent : Asus (15 milliards de dollars de CA, dont 1 milliard en France, NDLR). Grâce à cette stratégie gagnante, nous avons devant nous un marché immense à conquérir. Nous serons cette année autour de 700 000 pièces vendues, alors que le marché mondial pèse 268 millions de pièces. Le potentiel est donc gigantesque. Si nous réussissons, ce sera un signal fort pour l’ensemble de nos entrepreneurs.

Quels enseignements tirez-vous de votre épopée entrepreneuriale ?

Il est essentiel de bien s’entourer, et de pouvoir compter sur des personnes portant de solides valeurs morales et le sens du travail. Il est fondamental de s’adjoindre des compétences différentes afin de couvrir tous les domaines de compétences nécessaires. Nous devons être extrêmement vigilants afin de régler les problèmes dès qu’ils se présentent. La réactivité et l’adaptation deviennent les maîtres mots.

Vous avez été consacré Entrepreneur de l’année en 2018 par le magazine Entreprendre. Comment avez-vous vécu cette reconnaissance ?

Ce fut sans nul doute le moment le plus fort de ma carrière professionnelle. J’étais très touché car cela récompense le travail, l’audace et l’engagement de toute une équipe immensément fière et heureuse d’être honorée. Cette consécration m’a ouvert de nouveaux plateaux télé et une reconnaissance de la profession. Ce titre honore le schéma vertueux d’un chef d’ entreprise qui avait peu de chance de réussir 5 ans auparavant et qui, au final, a trouvé les clés pour prendre des parts de marché dans un monde aussi compliqué que l’informatique. Au delà de Thomson Computing, c’est aussi une formidable reconnaissance pour tous les entrepreneurs.


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1 commentaires sur « Comment Stéphan Français veut faire de Thomson un géant de l’informatique »

  1. Les marchés que le groupe a ouverts se fermeront peu à peu s’il continue à ne pas appliquer les offres promotionnelles. Avoir de l’ambition est une chose. Le respect des consommateurs en est une autre…

    Répondre

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