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« L’écologie ne doit pas être une lutte des classes déguisée »

Sandrine Rousseau, députée écologiste de Paris et figure de proue du courant décroissant (Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM)

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Par Ferréol Delmas, directeur général du think tank Écologie responsable

Tribune. Le XXIème est très clairement le siècle de l’écologie. Tout le monde en parle, tout le monde a un avis sur la question et pour pasticher l’écrivain Malraux, il est même possible de reprendre la fameuse phrase « le XXème siècle sera religieux ou ne sera pas », version 2022 en (beaucoup) plus vert ! Pourtant, cette thématique enthousiasmante, car elle concerne notre relation avec notre environnement, avec la manière d’aménager notre cadre de vie, est, aujourd’hui, la proie d’idéologues qui cherchent à fanatiser le débat.

La structuration nouvelle du courant décroissant

Tout récemment, un article du Figaro titrait « Bourgeois, votre tranquillité est finie », en écho au saccage d’un golf à Saint-Cloud par un collectif dénommé « Sangliers syndicalisé.es » au nom de l’écologie mais aussi de la lutte des classes. Ce qui pourrait être un épiphénomène est en fait bien plus profond. C’est tout un courant politique qui se forme au combat dans un remake de février 1917. Les slogans de ces groupes sont : « Bourgeois = parasites», «riche = voleur», «le séparatisme c’est vous». Encore dernièrement, un article publié dans Philosophie Magazine donnait le ton expliquant que « l’écologie sans luttes des classes, c’est du jardinage ». Les plus naïfs diront qu’il s’agit simplement de casseurs qui utilisent une cause qu’ils ne connaissent pas.

Pourtant, c’est tout un courant politique qui est en train de réellement émerger avec comme idée première celle de la désobéissance civile, c’est-à-dire de fouler aux pieds les règles de propriété privée pour protester contre le modèle capitaliste. Certes, des précédents existent avec les fameux faucheurs de maïs OGM et la figure de proue de José Bové. Mais cette fois-ci le pouvoir est influencé jusque dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale avec notamment la personnalité de Sandrine Rousseau et sa lutte contre le barbecue.

En sortant des caricatures faciles, ce courant intéressant, intellectuellement parlant, s’articule autour de la notion de conflit social. Il possède des figures de penseurs comme Bruno Latour (décédé récemment), professeur à Science Po Paris, qui a fait paraître un ouvrage intitulé Mémo sur la nouvelle classe écologique. Celui qui est l’un des philosophes français les plus lus, écoutés et traduits dans le monde est avait déjà, en 2015, développé l’idée du « nouveau régime climatique » dans un livre nommé Face à Gaïa avec notamment la prise en compte des « non-humains » par le biais d’un « Parlement des choses » ; dans lequel ces fameuses « choses seraient représentées par des scientifiques ou des personnes reconnues pour leurs compétences précises. Ce grand mouvement d’idées appelle à une grande lutte s’appuyant sur les « alliés naturels » à savoir « les prolétaires dans la production de la richesse, au sens des traditions socialistes ». Bref, cette nouvelle classe écologique serait « une gauche au carré » comme le présente avec humour une critique littéraire récente. Cette pensée décroissante se fonde donc désormais sur une pensée de plus en plus médiatisée et qui attire de nombreux jeunes en recherche d’idéaux.

Ne pas tomber dans le piège de la frontalité

Le grand piège des courants hostiles à la décroissance ou du moins à une vision plutôt régressive de l’écologie a été de ne pas prendre au sérieux les arguments de leurs contradicteurs. Le fait de nier pendant longtemps l’évidence du changement climatique mais aussi la nécessité de mettre en place de véritables changements a donné du champ au camp décroissant laissant le reste de la population sans cartouches ni idées à proposer. Le poncif le plus répandu a été d’ignorer (c’est encore malheureusement trop souvent le cas) l’impact et la progression des visions décroissantes. Dernier exemple en date, la perpétuation d’un modèle dépassé au travers de la future coupe du monde de football au Qatar, au mois de décembre. Quel non-sens écologique ! Sinon, faute de mieux, les décideurs publics présentent des politiques aberrantes comme le fait de porter des cols roulés. Si cet « éco-geste » est très louable, il ne s’agit tout de même pas d’une politique publique digne de la France mais tout simplement d’un geste de bon sens. Ces signaux, aujourd’hui faibles, doivent être une alerte. Pour que l’écologie reste une vision de l’aménagement respectueux de notre environnement et non pas une lutte des classes déguisée, il est nécessaire de changer – profondément – nos paradigmes.

Chercher à construire une pensée exigeante

Ce mélange de déni et de décalage par rapport aux réalités est le terreau de la doctrine portée par l’idéologie décroissante. Une jeunesse pleine d’exaltation est à la recherche de radicalité. Cette radicalité, l’écologie du bon sens, l’écologie positive doit pouvoir le lui apporter. Non pas par des discours démagogiques prônant la fin totale du modèle européen avec ses modes de vie mais plutôt par la réappropriation d’une culture de l’enracinement. Loin de nier la réalité climatique, il est urgent de proposer un autre modèle. Un modèle qui souhaite mettre en avant la place des territoires dans la refondation écologique : la ville doit être repensée dans sa manière de fonctionner donnant aux Français la capacité de vivre dans un endroit aimé. De cette pensée découle une meilleure gestion des moyens de transports, en zone rurale particulièrement, avec une augmentation des lignes de bus et de dessertes territoriales. Une prise en compte plus optimale des circuits courts alimentaires doit être sérieusement mise sur la table : aidons les jeunes agriculteurs à s’installer notamment grâce à un « chèque circuit court ».

Cette proposition développée par « Ecologie responsable » consiste à flécher une part des tickets restaurant vers des produits issus de nos terroirs et dont le gain est reversé à de agriculteurs de moins de 40 ans. De même, repenser nos espaces de vie en construisant des maisons en pierre, ce qui est plus coûteux mais aussi plus durable est une exigence de bon sens. Enfin, une formation accrue des managers doit être sérieusement envisagée pour éviter l’écueil, dans les entreprises, de décisions néfastes pour cette juste défense de l’environnement.

Penser la stratégie énergétique

La question du nucléaire est aussi primordiale. Il est bon de rappeler, en la matière, quelques chiffres : le nucléaire, c’est 220 000 emplois, en 2019, soit 6,7 % de l’emploi industriel français, c’est aussi une force de frappe énergétique importante avec un réacteur de 900 MW qui produit chaque mois 500 000 MWh, ce qui correspond à la consommation d’environ 400 000 foyers (plus d’un million d’habitants). C’est aussi une meilleure gestion des déchets avec le fait que les déchets potentiellement et durablement toxiques produits par l’énergie nucléaire sont les plus faibles parmi les déchets générés par les activités industrielles dont certains (métaux lourds non recyclables) sont très toxiques et ont des « durées de vie » pratiquement infinies. C’est donc toute une remise en cause de notre stratégie qui doit s’opérer en choisissant un mode énergétique plus durable et souverain, si nous ne voulons par revenir aux centrales à charbon avec les conséquences écologiques catastrophiques. Un travail de stratégie et de réflexion est attendu – avec des efforts de pédagogie pour rétablir certaines vérités – pour permettre à notre monde de progresser face à la nouvelle lutte des classes écologiques.


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