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Laurent Marti : « Si les gens sont prêts à payer beaucoup plus cher, je peux tout relocaliser »

Incontournable dans la ville du grand vin, le fondateur de Toptex, leader français de la distribution de textile promotionnel, est également président du club de rugby de l’Union Bordeaux-Bègles. À 52 ans, Laurent Marti est un autodidacte qui a commencé sa carrière d’entrepreneur en vendant des... briquets. Une belle histoire.

Entreprendre - Laurent Marti : « Si les gens sont prêts à payer beaucoup plus cher, je peux tout relocaliser »

Fondateur de Toptex, leader français de la distribution de textile promotionnel, et président du club de rugby de l’Union Bordeaux-Bègles, Laurent Marty est un autodidacte qui a commencé sa carrière d’entrepreneur en vendant des… briquets.

D’où venez-vous ?

Laurent Marti : Mes parents sont des pieds-noirs d’ Algérie. Mon père est rentré en France à l’âge de 20 ans. Il était autodidacte. Il n’a jamais été à son compte, mais il a fini directeur du crédit immobilier de Bergerac (Dordogne). Mon père n’était donc pas réellement chef d’entreprise, mais je l’ai vu se battre pour franchir les échelons.

Vous avez suivi un BTS d’action commerciale avant de créer votre première entreprise en 1988 à Bergerac. Vous vendiez alors des briquets publicitaires…

J’ai créé cette entreprise durant ma première année de BTS en avril 1988. Alors que je cherchais un stage, mon père m’a donné l’idée de vendre des briquets. J’en ai parlé à mon directeur d’école qui m’a incité à créer une entreprise. A l’époque, créer une entreprise à 20 ans était atypique, on n’était pas nombreux… De nos jours, avec Internet, c’est monnaie courante. Je me suis inscrit au registre du commerce. J’ai démarré comme ça.

Ce fut un saut dans l’inconnu. Comment l’avez-vous vécu ?

Très bien. Les études ne me passionnaient pas. J’étais impatient de rentrer dans la vie active. Les affaires me plaisaient et j’étais fait pour ça. J’ai passé beaucoup de temps dans mon entreprise. J’ai commencé avec les briquets publicitaires, mais je suis très vite passé aux objets de toutes sortes. Un an et demi après, j’ai compris que le textile publicitaire avait davantage d’avenir. Nous vivions les premiers frémissements de ce secteur. En gros, cela se résumait aux t-shirts et aux casquettes que l’on distribuait sur le Tour de France. J’ai donc commencé à vendre du t-shirt publicitaire. J’avais un simple bureau. J’achetais mes t-shirts, je les faisais sérigraphier et je les vendais. A ce moment-là, vous êtes donc à la tête d’un PME bergeracoise en pleine santé.

Comment avez-vous franchi les étapes suivantes ?

Bergerac est une belle ville, mais c’est le fin fond de la Dordogne ! Je ne voulais pas passer ma vie à vendre des t-shirts en Dordogne, j’ ai donc décidé d’ aller chercher les marchés nationaux. Je suis monté à Paris. J’ai réussi à décrocher Canal+, ma première référence. Et puis, l’entreprise a grossi.

Et les difficultés ?

Nous avions du mal à nous approvisionner en t-shirt. Nous travaillions avec des petits importateurs français qui achetaient des t-shirts de mauvaise qualité en Chine… J’ai donc racheté un distributeur toulousain (IPC Distribution) sur mes fonds propres en 1994 pour 500 000 francs (soit 76 000 euros — ndlr). Très vite, j’ai compris deux choses : ce métier me permettait d’aller beaucoup plus vite. Au lieu de vendre moi-même des t-shirts sérigraphiés, je devenais fournisseur des sérigraphes. J’ai compris que s’il y a 1000 ou 2000 entreprises en France qui revendaient du textile publicitaire, autant traiter avec eux plutôt que d’ essayer de les remplacer.

Je possédais les deux marques fortes du secteur. Je devais m’installer partout en France. J’ai commencé par Bordeaux, puis je suis allé à Nantes, Strasbourg, Marseille… Je n’étais pas le seul distributeur de ces marques, mais j’étais celui qui occupait le plus de territoire.

En 1995, vous lancez votre propre marque, Kariban. Pourquoi ?

Les grandes marques ne proposaient qu’un t-shirt, un sweat-shirt et un polo avec quelques couleurs. On devait être capable de proposer des chemises, des bermudas, des polaires, des coup-vents… J’ai eu l’idée de créer mes propres produits. Mais je ne connaissais rien à la fabrication.

Comment avez-vous procédé ?

J’ai entendu parler de l’île Maurice. On disait qu’on y fabriquait du textile de qualité, que les fabricants travaillaient sérieusement… J’y suis allé, j’ai visité des usines. J’accroche avec une ou deux. J’ ai commencé avec deux modèles de chemises et un polo de rugby. En 1998, je voulais être plus compétitif et proposer d’autres produits. Je suis donc parti à Hong Kong. J’ai commencé mes importations asiatiques. Dans le même temps, j’ai compris que la France ne suffisait pas : j’ai donc racheté un distributeur en Belgique. A partir des années 2000, j’ai continué à développer ce modèle.

Dans quels pays vos produits sont-ils fabriqués ?

On a réduit notre production en Chine. Nous réalisons 60% de notre production au Bangladesh, 20% en Chine, 10% au Pakistan. Le reste est fabriqué en Inde et en Turquie.

Envisagez-vous de relocaliser une partie de la production en France ?

On a lancé un t-shirt d’origine France, mais il est cinq ou six fois plus cher… Si les gens sont prêts à payer beaucoup plus cher, je suis prêt à tout relocaliser !

De nombreuses entreprises prennent des engagements en la matière…

On développe de plus en plus le bio, le recyclé, etc. Et c’est notre devoir. Quant au fait de relocaliser une partie de la production, on serait ravis de le faire. Mais au Bangladesh, ils ont le droit de manger et de travailler. Si vous enlevez l’industrie textile à ces pays, ils vont tomber dans une misère absolue. Les clichés selon lesquelles il y aurait des enfants dans les usines sont faux. Les conditions déplorables étaient une réalité, ça l’est encore en partie, mais les choses sont en train de changer.

J’y vais deux fois par an depuis quinze ans. J’ai vu ce pays progresser, évoluer. Le chantier est encore colossal : il y a d’énormes progrès à faire sur les conditions de travail, sur les salaires, etc. Mais il y a des évolutions positives : les femmes travaillent, les crèches dans les usines se développent… Ils ont le droit de bosser. Sinon, que deviendraient-ils ? On est d’accord pour leur vendre des Airbus, des tramways ou des centrales, mais sans rien leur acheter ? Il faut raison garder et trouver un juste milieu.

Mais je reconnais qu’il faut continuer à leur mettre la pression pour qu’il y ait de plus en plus de partage des richesses et que les droits humains soient davantage respectés, car ils sont en retard sur ces sujets. On y participe.

Comment contrôlez-vous l’application du cahier des charges que vous imposez à vos sous-traitants ?

En premier lieu, ce sont les grosses entreprises mondiales qui leur ont mis la première pression. Elles ont un pouvoir énorme sur eux : ce sont leurs plus gros clients. Ces entreprises ont donc réalisé le plus gros du travail. Pourquoi ? Il ne faut pas être hypocrite : ces entreprises ont subi une pression énorme – et fondée – de la part des consommateurs. Elles ont donc dû s’assurer que les conditions s’amélioraient. Dans la foulée, de nombreux organismes de contrôle délivrant les certifications ont vu le jour. A notre petite échelle, nous avons un bureau sur place et des équipes.

Les entreprises avec lesquelles on travaille doivent répondre à un cahier des charges précis. On est en permanence dans ces entreprises. On sélectionne les plus belles usines. J’y vais deux fois par an. En cumulé, avec toutes mes équipes, on s’y rend au moins six fois par an. Tous les deux mois, pendant une semaine, ils voient une équipe de chez nous qui déboule.

En parallèle, vous êtes impliqué dans le rugby en tant que président de l’Union Bordeaux-Bègles. Un poste que vous occupez depuis 2007.

Le projet bordelais a été compliqué à développer. C’est ma treizième saison en tant que président. On est reparti du fin fond de la Pro D2 (la deuxième division — ndlr). Le sport professionnel est beaucoup plus dur que le monde de l’entreprise. Si vous interrogez des présidents de Top 14, ils vous diront la même chose. Il y a plus d’ incertitude, l’aléa sportif notamment.

Avez-vous songé à vendre le club ?

Je pourrais m’arrêter, vendre le club… J’ai beau être actionnaire à 97% du club, j’ai toujours considéré que je gérais quelque chose qui faisait partie du patrimoine local. Cela donne une grande responsabilité, qui impose notamment de s’assurer de la pérennité du club, raison pour laquelle j’ai ouvert le capital.

Craignez-vous un éventuel rachat par un fonds étranger ?

C’ est quelque chose que j’ ai du mal à concevoir. Paradoxalement, le business dans le sport m’a toujours dérangé. Dans le monde des affaires, c’est utile, mais vendre son club à un fonds d’investissement, c’est quelque chose que je ne peux pas entendre. Un fonds est là pour investir dans des entreprises, rester 5 ans et repartir avec des plus-values. Un club est une institution. Je ne vois pas ce que les fonds d’investissement viennent y faire.

Avez-vous un modèle de gestion qui vous est propre ?

Mon modèle consiste à mettre l’humain au coeur du projet. Et le faire vraiment, pas qu’avec du cinéma et de belles paroles. Je veux donner envie à mes salariés de se battre avec moi. Il faut être droit, juste et solidaire. Quand on a motivé les gens autour de soi, on a fait 50% du chemin. Ensuite, il faut de l’intuition et du bon sens.

Vous avez épongé une partie des pertes du club l’an dernier. Pourrez-vous assumer un tel coût financier chaque année ?

C’est une somme indécente que mes sociétés peuvent tout à fait engloutir car elles tournent très bien, mais ce n’est pas l’objectif. Il faut reconnaître une chose. Quand j’ai repris le club, nous sommes restés quatre années en Pro D2, au cours desquelles j’ai perdu beaucoup d’argent. Ensuite, nous sommes montés en Top 14. Durant six ans, nous avons cessé de perdre de l’argent et nous avons même fait des bénéfices. Un club a des cycles, qui suivent le cycle sportif avec un petit décalage.

Propos recueillis par Thibault Veysset


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