Rappelons qu’outre-Rhin, en Bundesliga, il est interdit pour un groupe étranger de détenir un club de l’élite. En France, notre championnat, ouvert à tous les vents, semblait ne pas trop intéresser nos chefs d’entreprise tricolores d’envergure. Dassault a investi un temps au FC Nantes, Peugeot est sorti du FC Sochaux, mais ni Bolloré, Decaux, Le Duff ou le groupe Renault n’ont pris de parts dans un club. Et quand Mohed Altrad a racheté Montpellier, ce n’était pas pour le ballon rond ! Il lorgnait davantage le rugby et le fameux Top 14, devenu sans doute le premier championnat du monde de l’ovalie, mais avec des budgets plus resserrés. Ce qui permet à un club comme le Stade Rochelais de devenir triple champion d’Europe tout en étant détenu par un patron indépendant, Vincent Merling (cafés Merling), aux côtés d’une myriade d’entrepreneurs locaux. Un peu comme l’avait fait, en son temps, Noël Le Graët avec En Avant Guingamp.
François Pinault, déjà investi avec son fils François-Henri au Stade Rennais, avait pourtant depuis longtemps sonné l’alerte. Lorsque les Girondins de Bordeaux recherchaient un sauveur (avant l’arrivée de Gérard Lopez), il avait incité les grands propriétaires viticoles, Bernard Magrez en tête, à prendre pied dans le ballon rond, sport mondial incontesté, propre à conforter une notoriété sur toute la planète. Résultat : le patron du géant coopératif agricole InVivo, dirigé par Thierry Blandinières, également patron des vins Cordier, prend la présidence du CA Brive (en Pro D2), mais c’est du rugby, et le transporteur champenois Jean-Pierre Caillot, valeureux président du Stade de Reims, a toujours autant de mal, étrangement, à trouver appui auprès des grandes maisons de Champagne comme Lanson ou Taittinger. Une anomalie qui pourrait être corrigée plus vite qu’on ne le croit !
Pour le foot français, l’arrivée de la famille Arnault au sein du capital du PFC est une bénédiction qui peut débloquer les esprits et inciter d’autres grands groupes à faire de même. Jusqu’à présent, seules quelques belles ETI familiales, à l’instar du groupe Nicollin à Montpellier (MHSC), de l’entrepreneur Waldemar Kita au FC Nantes, du financier Joseph Oughourlian au RC Lens, ou de Denis Le Saint au Stade Brestois 29, prenaient le risque. Cela pourrait changer, et plus vite que prévu. Pourquoi ne pas imaginer un Rodolphe Saadé (CMA CGM) investir dans l’OM, Airbus au Stade Toulousain, ou le groupe Auchan à Lille (l’un des héritiers Mulliez, Alexandre, ne vient-il pas d’investir dans le FC Versailles) ?
Après tout, on a même déjà Kylian Mbappé au Stade Malherbe de Caen, club historique de Normandie, qu’il s’est payé pour à peine 18 millions d’euros cet été aux côtés du producteur télé à succès, le local Pierre-Antoine Capton, président de Mediawan avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse. Du beau linge qui ne peut que renforcer un peu plus l’attractivité financière et marketing du foot tricolore, qui en a bien besoin après le mauvais épisode estival de la baisse des recettes télévisuelles, orchestrée sans beaucoup de résultats par le patron réélu de la Ligue 1, Vincent Labrune.
En prenant 55 % du capital du PFC, aux côtés de Red Bull (15 %) et de l’actuel Pierre Ferracci (30 %), la famille Arnault, qui fait tout méthodiquement, n’a pas rejoint les investisseurs du foot par hasard. D’abord, parce que les propriétaires de LVMH mesurent, et depuis longtemps, l’impact de plus en plus moteur du sport et de son image sur les métiers de la mode, du sportswear, du luxe et de l’horlogerie. Déjà sponsor du PSG avec sa marque de montres Hublot, ou de la Formule 1 avec Tag Heuer, les équipes de l’avenue Montaigne n’ignorent pas que le phénomène sport ne peut que s’amplifier.
Venus sur le tard épauler le Comité d’organisation des Jeux Olympiques de Paris 2024, et fortement incités à le faire par Emmanuel Macron en personne, le géant du luxe a peut-être aussi pu mesurer un peu plus tout le bénéfice qu’il pourrait retirer de ce type d’événements. Très présent sur la cérémonie d’ouverture, Louis Vuitton ne s’est pas beaucoup trompé en misant sur notre nageur en or, Léon Marchand, consacré « nouvelle star » par le magazine Journal de France ce mois-ci.
En devenant majoritaire au Paris FC aux côtés de Red Bull, Bernard Arnault, poussé par son fils Antoine, n’ignore pas qu’il pourra s’appuyer dans leur communication mondiale sur un logo qui, s’il fait florès au plan sportif, représente aussi sur son blason historique celui de la Tour Eiffel. Un emblème mondial de premier ordre que les équipes de Dior ou Vuitton ne seront pas les dernières à exploiter. Une ligne de sport avec Moncler et PFC pourrait facilement être lancée. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Gageons que les déclinaisons ne tarderont pas à sortir.
Au Paris Saint-Germain, et contrairement à ce que l’on aurait pu croire, Nasser al-Khelaïfi s’est déjà réjoui de cette arrivée : « une nouvelle fantastique pour le PSG, Paris et le football français tout entier ». Et ce n’est pas forcément un discours de façade. Car la présence d’un deuxième grand club dans la capitale ne peut que renforcer l’attractivité de la Ligue 1, créer une émulation, et pourquoi pas aussi enlever au PSG un peu de pression. Restera à régler le choix des stades. On sait que le PFC fait le forcing pour jouer normalement, après Charléty, au Stade Jean-Bouin la saison prochaine. Reste en suspens l’avenir du Parc des Princes, une enceinte mythique que le PSG souhaite toujours racheter à la mairie de Paris pour la moderniser et porter sa capacité à 65 000 places.
L’arrivée surprise de Bernard Arnault au PFC pourrait rebattre les cartes, d’autant que ses relations avec Anne Hidalgo ne sont pas exécrables. On se souvient que l’empereur du luxe s’était vu attribuer, par exemple, la gestion du Jardin d’Acclimatation et de son aménagement. Sans parler de l’ouverture du palace Cheval Blanc à la Samaritaine, qui atteste aussi d’une relation suffisamment fluide. Une probabilité pourrait être de voir le PSG construire enfin son propre grand stade à Saint-Quentin-en-Yvelines (78), comme le souhaitent ardemment Valérie Pécresse, présidente de région, et l’actif maire d’agglomération Jean-Michel Fourgous, qui s’est rendu au Qatar il y a quelques mois.
Autant d’initiatives qui ne peuvent que bénéficier au foot français dans son ensemble, d’autant que les résultats des clubs ne sont toujours pas, au plan européen, à la hauteur du potentiel du réservoir de joueurs et des résultats exceptionnels des Bleus de Didier Deschamps en Coupe du Monde.