Par Thierry Boukhari – Directeur délégué en charge des Relations Humaines chez Gifi
Tribune. Il aura fallu près de 70 ans pour que la RSE (Responsabilité Sociétale et Environnementale) passe du statut de concept, développé pour la première fois dans l’ouvrage de l’économiste Howard Bowen, « Social Responsabilities of the Businessman », à un principe réglementé qui influence de plus en plus la vie et les pratiques des entreprises.
En France, le Rapport de Jean-Dominique Sénard et de Nicole Notat sur la Raison d’être, qui a nourri la Loi Pacte de 2019, fut un accélérateur d’action et de conscience sur le sujet.
Les auteurs font, en effet, de l’entreprise un acteur politique au sens social, sociétal et environnemental au cœur de la Cité.
Cependant, durant ces 20 dernières années la RSE a pris une place centrale dans l’art de gouverner, en entreprise mais aussi sur le plan politique.
Elle est même devenue une filière professionnelle avec ses Directions de la RSE.
Si nous pouvons nous réjouir de la place croissante de la RSE, force est de constater que dans nombre de cas, l’ambition et l’engagement sur le sujet restent encore limités.
Pour preuves, sur le plan Humain, la RSE est loin de répondre aux attentes des salariés où le stress ne cesse de grandir. Sur le plan environnemental, les réflexions sur l’impact carbone progressent mais n’ont pas encore pris la forme de la révolution tant attendue. Enfin, sur le plan sociétal, l’entreprise reste encore trop souvent à l’écart de la Cité.
L’essentiel toutefois est que les choses progressent ; le nombre d’entreprises à mission en témoigne.
Le piège dans lequel est pourtant enfermée la RSE, c’est celui de l’expertise alors même qu’elle concerne chacun d’entre nous dans sa manière de vivre et d’agir.
En nommant les choses, on leur donne vie ; en les stigmatisant, on les limite naturellement, à l’instar de l’écologie politique vs l’écologie populaire qui, par définition, dépasse les clivages des partis politiques.
Qu’en est-il pour autant dans la vraie vie des citoyens ?
Il y a fort à parier que la révolution de la nouvelle RSE, viendra non pas uniquement des institutions mais bien de la prise de conscience des citoyens eux-mêmes et en particulier des fameuses générations Z et Alpha.
Leurs paradigmes face à la vie, au travail, à l’environnement ont changé au point de devenir des curseurs pour vivre pleinement et ce pour toutes les générations.
Prenons le travail, le temps où il représentait la finalité pour exister semble loin. Aujourd’hui il devient un accessoire de vie porté par la célèbre formule de 1968, « je ne veux pas perdre ma vie à la gagner » ; une formule de boomer au service de la jeunesse de 2023, intéressant… L’une des conséquences directes est la reconversion professionnelle à 28 ans qui est en passe de devenir un phénomène RH …
Sur le plan de l’environnement, les positions sont assez radicales entre les 25% de jeunes qui déclarent ne pas vouloir d’enfant en raison de l’état de la planète, ceux qui boycottent les trajets en avions et ceux qui font la fortune de Shein…
Sur le plan sociétal, le grand écart est encore plus marqué entre l’individualisme qui progresse fortement et la quête de sens qui fait la Une des médias…
Au-delà de la caricature, force est de constater que la RSE, bien plus qu’un enjeu économico politique, devient un enjeu de conscience, voir même d’éveil des consciences. ET ce au nom des générations futures.
Quatre piliers semblent prioritaires pour espérer que le R de la RSE soit réel :
Premier pilier, l’éducation : il s’agit d’éduquer les enfants aux nouveaux savoir-vivre en leur faisant prendre conscience, très tôt, de leur propre impact sur les questions sociétales et environnementales, à commencer par freiner l’usage prématuré des supports digitaux et encourager le bien manger.
Deuxième pilier, l’enseignement : si l’éducation est du ressort des familles, l’enseignement républicain est destiné à former de futurs citoyens responsables et engagés dans un vivre ensemble serein et harmonieux. L’enseignement doit réhabiliter les fondamentaux qui aident à conceptualiser les sujets, à les mettre en perspective pour cultiver le sens critique, le libre arbitre de chacun et la tolérance qui chérit toutes les différences.
C’est aussi former les générations futures à des métiers disparus, permettant de redévelopper le Made In France en rapatriant le savoir-faire autrefois délocalisé.
Troisième pilier, le travail : les entreprises doivent comprendre que la RSE ce n’est ni des grands principes, ni de la communication mais bien une philosophie de vie, au sens œuvrer pour des vies meilleures. Cet objectif qui est aussi une ambition forte en humanité impose de revoir certaines règles de gouvernance et de management au profit de plus de responsabilisation des équipes.
Cette prise de conscience nécessite également une compréhension des entreprises, de la réalité économique à laquelle sont confrontés les populations. A l’heure actuelle, les consommateurs ont pris conscience de l’impact de leur consommation sur l’environnement et sont prêts à la modifier pour mieux consommer.
Cependant, quand, selon le Centre d’Observation de la Société, 38.5% de la population française relève de la classe populaire, la question budgétaire entraine des pratiques de consommations qui ne sont pas toujours en adéquation avec leurs valeurs. C’est aussi aux entreprises de développer une offre responsable en accord avec les contraintes économiques actuelles avec pour objectif, de transformer ces valeurs en véritable nouvelle forme de consommation.
Quatrième pilier, le Sacré : Sans lien avec les aspects religieux liés à ce mot et qui appartiennent à chacun, sacraliser les essentiels de vie à commencer par la planète, les rituels et autres communions qui donnent du sens à la vie collective, le respect des différences cher à notre modèle de laïcité, sont des priorités très bien exprimées dans le dernier livre de Sonia Mabrouk, « Reconquérir le Sacré ».
A travers ces quatre piliers, chaque personne devient un acteur à part entière du déploiement de la RSE.
Le défi est d’être pleinement acteur et non spectateur d’un enjeu civilisationnel qui oppose une vision humaniste européenne, en particulier du capital, à une vision anglo-saxonne hégémonique.
Si l’Europe a une responsabilité majeure, chaque pays, chaque personne, en a une tout aussi importante. La RSE est une philosophie de vie fondée sur le Respect des Humains, des ressources, des relations.
Chaque employeur doit être habité, en toute humilité, par cette ambition pour nourrir sa propre mission et sa propre raison d’être.
Les entreprises à mission l’ont parfaitement compris et leurs équipes sont naturellement les missionnaires de leurs projets.
La RSE décomplexée et débarrassée des lieux communs à la mode, est une nouvelle forme de spiritualité d’entreprise ; elle appelle un nouveau leadership et à une réhabilitation du temps long que certaines organisations portent en elles, comme les entreprises familiales, les coopératives et autres mutuelles…
La transformation a commencé, à chacun d’y prendre part.
Thierry Boukhari
Directeur délégué en charge des Relations Humaines chez Gifi