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La condamnation pour recours abusif contre un permis de construire : effet concret ou illusion législative ?

Les recours abusifs contre les permis de construire entraînent des retards importants et des coûts supplémentaires pour les projets de construction.

Entreprendre - La condamnation pour recours abusif contre un permis de construire : effet concret ou illusion législative ?

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Par Josué Jannin, Institut Janus

Différents arsenaux législatifs existent et ont été successivement perfectionnés par le législateur au cours de ces dernières années en vue de limiter les recours contre les autorisations d’urbanisme lorsque ceux-ci sont de nature abusive. Cela étant, l’application pratique de la loi et les condamnations judiciaires se font rares et s’appliquent à différents degrés.
Il est donc permis d’en faire le rappel (1) avant d’en apprécier la mesure (2).

1. Rappel du dispositif, les moyens d’indemnisation du pétitionnaire

Le recours abusif est réprimé par l’article L.600-7 du code de l’urbanisme qui prévoit :
« lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. »

La loi ELAN du 23 novembre 2018 a eu pour objectif de renforcer la lutte contre les recours abusifs envers des autorisations d’urbanisme. Mais après cinq années de pratique, ce texte ne permet pas réellement une indemnisation du préjudice à la hauteur des espérances de la loi.

Les recours contre les permis de construire peuvent (et c’est souvent le cas) s’inscrire dans un contexte de conflit de voisinage ou encore d’opposition à un projet immobilier porté par un opérateur, par un aménageur ou par une Ville. Ce recours peut également servir de tribune politique pour s’opposer à des projets d’aménagement de certains quartiers.

Ajoutons à cela que les délais de recours souvent longs (18 à 24 mois en première instance, 12 à 18 mois en appel), pour un acte administratif, le permis de construire qui sera peut-être finalement jugé parfaitement légal…

Certains pétitionnaires, ou collectivités, souhaiteraient alors pouvoir engager une action plus forte pour sanctionner les recours abusifs et éviter que certains projets ne soient retardés voire annulés à cause de ces recours.

2. Application et appréciation par le juge, le dispositif est-il satisfaisant ?

L’intérêt à agir du requérant contre le permis de construire est la notion centrale du dispositif.
Le code de l’urbanisme (article L.600-1-2) restreint les possibilités d’agir contre les permis de construire.

En effet, exception faite des associations (et du Préfet), les particuliers doivent justifier que le projet attaqué « est de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance » de leur bien pour être recevable.

Le requérant doit démontrer que le projet viendra bien le gêner : perte de vue, d’ensoleillement, d’intimité… Une fois cette première démonstration faite, le requérant est recevable à agir contre le permis de construire.  Cela ne signifie pas son recours entraînera l’annulation du permis de construire ; mais simplement que son recours sera bien examiné par le juge administratif.

Faute d’intérêt pour agir, le recours est rejeté – sans même examiner la légalité du projet de construction.

Les recours abusifs peuvent être sanctionnés par la juridiction civile.

Le juge civil peut donc être saisi d’un recours, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, pour obtenir une indemnisation lorsque le recours contre un permis de construire occasionne un préjudice excessif. 

La jurisprudence du Tribunal de grande instance de Grenoble a, le 13 décembre 2018, rendu un jugement condamnant les requérants à l’encontre d’un permis de construire (RG 13/04870, décision non publiée sur Légifrance). Il a considéré que les arguments présentés « n’avaient que pour objectif de retarder le projet », projet au demeurant d’intérêt public dans la mesure où il prévoyait des logements sociaux. La condamnation a obligé à verser plus de 160 000 euros au bénéficiaire du permis de construire.

Mais l’intérêt à agir n’est pas exclusif de l’abus.

La notion d’abus étant souvent laissée à l’appréciation souveraine du juge, elle est dans la plupart du temps appréciée au cas par cas par les juridictions administratives. Aussi, un requérant qui ne dispose d’aucun intérêt à agir use-t-il nécessairement d’un comportement abusif ?

Le juge administratif ne tire pas de conclusion automatique de cette situation de telle sorte que l’absence d’intérêt à agir n’entraîne pas forcément un comportement abusif de la part du requérant.

La différence d’appréciation entre le Juge administratif et le juge civil est importante et il paraît sans doute plus judicieux de demander réparation par la saisine du Tribunal judiciaire qu’espérer une éventuelle indemnisation par le Juge administratif, sur le fondement de l’article L.600-7 du code de l’urbanisme.

La portée limitée des décisions de justice en la matière :
Plusieurs arrêts limitent l’espoir de la portée de condamnation judiciaire rappelant que « la volonté du législateur était de faire spécialement du juge administratif le juge de la responsabilité en matière de recours abusifs contre un permis de construire, à l’exclusion du juge judiciaire. A fortiori, le but du législateur étant de raccourcir les délais de règlement des contestations en matière de permis de construire en ce compris la sanction des requérants dont les recours sont “abusifs”, toute interprétation contraire serait de nature à restreindre, voire réduire à néant, l’effet utile de cette modification législative et finalement ne pourrait que ramener ce contentieux, sans justification ni juridique ni pratique ni économique, à la situation antérieure que le législateur a voulu combattre par cette modification (…) ».

Il faut néanmoins aller plus loin pour permettre les opérations d’aménagement.

Quelques pistes :

  • Raccourcir les délais de traitement avec un délai maximum pour enrôler l’affaire devant le tribunal : pour le promoteur le temps qui passe est le pire ennemi de la réussite de l’opération. Plus le contentieux sera traité rapidement par le juge moins le pétitionnaire n’aura besoin d’aller demander une indemnisation.
  • Renforcer le pouvoir du greffe dans l’appréciation de l’intérêt à agir pour filtrer les demandes de recours.
  • Définir certains secteurs dans lesquels les recours ne sont pas possibles, par exemple les recours contre des permis dans des opérations situées en ZAC ou dans des périmètres urbains déterminés par une opération d’aménagement (OIN, OAP etc…) ou encore lorsque le permis vient remplacer du bâti dégradé ou en état de péril.
  • Autoriser le recours contre les autorisations d’urbanisme mais sans que la sanction ne soit l’annulation du permis de construire.
  • Permettre un délai de régularisation d’urgence ou a posteriori si la modification est mineure ou facilement corrigeable (ce qui peut déjà se faire par le biais d’un Permis de construire modificatif en cours d’instance).

En mettant en place des mesures efficaces contre les recours abusifs, le législateur favorisera un processus de construction plus efficace, avec des délais réduits et ai final encouragera l’investissement dans de nouveaux projets.

Josué Jannin
Institut Janus


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