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Jean Bertin, l’inventeur oublié

Photo : Les Amis de Jean Bertin

Il existe des entrepreneurs qui sont des figures publiques prenant plus ou moins la lumière. Bien entendu c’est toujours selon leurs caractères, leurs préférences, leurs tempéraments et leurs aptitudes.

Généralement, certains d’entre eux possèdent les médias (faisant office de soft power) et n’y interviennent qu’à bon escient, en l’occurrence pour :

-Communiquer afin de pouvoir faire avancer leurs intérêts (économiques, financiers et commerciaux).

-Promouvoir un de leurs nouveaux projets.

-Répondre à l’invitation insistante de journalistes qui ont -absolument- besoin de les interviewer.

-Eteindre des « incendies » par suite de révélations fracassantes et scandaleuses.

Au fil du temps, la figure entrepreneuriale s’est démocratisée (avec plus d’un million de créations d’entreprises en France en 2022) pour devenir une figure « idéale » constituée de liberté, d’argent, de prises de risques, d’exemplarité, de détermination, de puissance et d’accomplissement de soi.

Cette figure est même assimilée aux superhéros dans le subconscient hollywoodien comme Ironman et le personnage de Tony Stark qui a été inspiré par Elon Musk (et qui fait un sympathique caméo dans le premier film).

L’entrepreneur est celui (ou celle) qui a réussi à s’extirper de sa condition de salariés (donc avec des perspectives étaient intrinsèquement limitées et strictement encadrées) pour se confronter à son marché jusqu’à le conquérir à cout d’innovation, de communication, de marketing d’investissements, de partenariats et de prix (plus ou moins savamment étudiés). Cette réussite se traduisant en définitive en part de marché acquise et confortée dans le temps.

Les entrepreneurs fascinent car ils possèdent le pouvoir financiers (au moment même où une fracture de plus en plus nette se dessine, se formalise et s’érige entre « riches » et « pauvres ». Les classes moyenne étant en voie de paupérisation hyper accélérée avec une inflation déjà présente autour de 7% actuellement et la récession à venir), de pouvoirs médiatiques et parfois même politiques par des liens parfois très forts comme les Dassault avec Jacques Chirac en leurs temps, pour ne citer qu’eux.

Forts de leurs succès, les entrepreneurs imposent désormais leurs visions et leurs croyances dans leurs entreprises (qui est leurs lieux de prédilection et leurs terrains de chasse favoris), puis auprès de leurs actionnaires et auprès de toutes leurs parties prenantes. Puis au sein de leurs relais politiques. Ces visions et ces croyances finissent finalement par atteindre l’ensemble de la société par effet de contagion et de viralité sous l’impulsion de médias sous influence et de politiciens/politiciennes aux ordres.

Les forces et l’influence des entrepreneurs sont multiples, et impactent énormément la jeune (et moins jeune) génération qui se rêve et se projette en Patron/CEO/PDG/Chef/Cheffe de leurs propres empires et gérant d’une main de maitre leurs propres business. Il faut les encourager dans cette voie tout en les préparant à des chutes inéluctables comme celle de F.T.X. Chute plus que fracassante qui tire vers le bas tout un écosystème…sans oublier bien entendu tous les petits porteurs qui ont perdu toutes leurs économies.

Chaque Entrepreneur à sa trajectoire propre. Certains en pleine lumière, d’autres dans l’ombre parmi eux restent tout de même une fraction inspirante : Et c’est le cas de Jean Bertin.

Jean Bertin est un Polytechnicien et diplômé de l’Ecole Supérieure de l’Aéronautique qui est entré à la Snecma (Société Nationale d’étude et de construction de moteurs d’aviation, entreprise du groupe Safran).

En 1944, Il y est nommé Directeur technique adjoint spécialisé dans les moteurs en 1944. Il réalise le premier inverseur de poussée pour réacteur. Ce procédé sera testé sur des avions à réaction militaire (Vampire).

En 1955, il fonde Bertin et Cie grâce a une intuition et constate une faille de taille. Les entrepreneurs français sont dans l’obligation d’acheter des brevets à l’étranger alors que les procédés industriels français existent déjà notamment dans l’aviation et les moteurs à piston.

C’est pour réparer cette aberration qu’il crée son entreprise, souhaitant jouer le rôle de courroie de transmission entre brevet, innovation et les besoins des industriels de se renouveler, tout en poussant à fond l’innovation et le gout de l’ingénierie, du savoir pratique et de la créativité.

En 1957, Louis Duthion (un de ses ingénieurs) découvre l’effet de sol (correspondant à une forte poussée engendrée par des moteurs à réaction). L’invention de L’hovercraft en Angleterre en 1958 relance l’intérêt de cette découverte.

Cet effet de sol amène Jean Bertin et son équipe à créer des moyens de transport sur coussin d’air permettant de se déplacer sans frottement et donc de s’affranchir de la roue.

Le brevet du Coussin d’Air est déposé le 17 janvier 1961. Les recherches de Jean Bertin s’orientent vers des applications du coussin d’air dans les transports : avec l’aéroglisseur, le fameux aérotrain.

Aérotrain propulsé par turbomoteur via une hélice, c’est un avion sans ailes « glissant » (ou plutôt volant) sur une piste en béton en forme de « T » renversé et littéralement guidé sur sa voie.

L’aérotrain qui aurait dû être le train du futur. Il glissait sur un rail de béton pendant 12 ans en dépassant parfois les 400 Km/h. Et tout cela, 15 ans bien avant le TGV.

Avec l’accord du Président Pompidou, une ligne de 20 Km est même créée (il en reste encore quelques vestiges) à proximité d’Orléans, plus un financement qui permettra la construction d’un prototype poussé par une hélice et un moteur d’avion qui atteint le 200 km/h sur l’ancienne ligne Paris-Chartres. Et atteindra l’année suivant 345 km/h (plus que la vitesse de croisière d’un TGV qui se situe à 320 km/h).

La Direction des études et fabrication d’armement se montre intéressée. Bertin lance l’étude d’un aéroglisseur terrestre à des fins militaires.

Au cours de sa carrière Jean Bertin et ses équipes ont déposé 800 brevets.

La RATP se montre intéressée mais l’idée de transformer tout son réseau l’a fait vite changer d’avis. Car l’Aérotrain se déplace nécessairement le long d’un monorail en béton en forme de T inversé.

Un nouveau test est réalisé sur une nouvelle ligne au nord d’Orléans (de 18 km, constituée de tronçons de 120 mètres et portés par 900 poteaux de 10 mètres de haut). Ce second prototype parviendra à se déplacer à 422 km/h et 430,4 km/h en 1974 (Record de vitesse d’un véhicule sur coussin d’air). Le TGV n’atteindra ces performances qu’en 1989….

Ce sont ces coussins d’air qui permettent à l’aérotrain d’aller si vite. En décollant du sol, il évite tout contact, tout frottement donc tout ralentissement possible.

De 1963 à 1974, il se consacre donc à la conception et aux essais de l’aérotrain, projet d’abord soutenu par les pouvoirs publics, mais qui est finalement abandonné par l’État le 17 juillet 1974, bien que le principe d’une mise en place d’une ligne d’aérotrain CergyLa Défense ait été validé par la signature d’un accord moins d’un mois auparavant mais annulé avant de devenir une des branches du RER A (ligne la plus empruntée d’Europe).

La SNCF pèsera de tout son poids afin que le projet soit abandonné, tandis que Valérie Giscard D’Estaing signe l’arrêt de mort de l’Aérotrain.

Bertin compris que son invention n’atteindra jamais le grand public pour des raisons techniques (il aurait fallu construire tout un réseau à coté ou au-dessus des chemins de fer déjà existants ce qui représente des couts colossaux, les raisons politiques ou lobbyistes ont fait le reste. C’est la fin d’un rêve.

Mais quoiqu’il en soit l’ambition , la créativité , le travail , l’abnégation et la pugnacité de Jean Bertin ne resteront pas du tout lettre morte. Bien que son projet ne soit malheureusement pas une réussite commerciale (cela reste indéniablement une réussite technique et une innovation majeure !) Bertin par sa vision, son ambition et son savoir-faire a lancé la course à la grande vitesse en France. Et il a réussi à piquer au vif la SNCF. Dont le TGV (dont la vitesse d’exploitation moyenne est comprise entre 300 et 320 km/h) a été la réaction et la réponse à l’Aérotrain.

Jean Bertin a -probablement- inspiré Elon Musk avec son projet d’Hyperloop qui peine aussi à voir le jour malgré quelques avancées majeures. Musk étant trop occupé entre Tesla, Space X, Starlink et Twitter a laissé le projet en OpenSource laissant la possibilité aux entrepreneurs et investisseurs de déployer cette solution futuriste.

Jean Bertin a également impacté Xavier Niel qui le cite comme une source d’inspiration. Donc 25 ans après son décès, Niel et ses comparses (Rani Assaf, Michael Boukobza, Olivier Rosenfeld , Sebastien Boutruche, Antoine Levavasseur, etc…) « créeront » à coup de fer à souder et d’analyse des autres boitiers de l’époque , la fameuse Freebox c’est à dire l’invention du triple Play (télé/internet/téléphone le tout pour 29,99 euros. Une innovation mondiale française) avec ce boitier au nez à la barbe de grands constructeurs comme Alcatel, Siemens, Phillips, Orange ex-France Télécom et bien avant les Etats Unis ou l’équipe d’Iliad pensait trouver l’objet.

Toutefois Xavier Niel dépassera Jean Bertin faisant de son entreprise Free et de son projet Freebox à la fois une réussite technique, une innovation disruptive (tout comme l’Aérotrain) mais aussi et surtout une réussite commerciale avec tout le succès et toutes les conséquences que l’on connait sur l’écosystème entrepreneurial français avec le fond d’investissement Kima Ventures , Le plus grand incubateur du monde  la Station F, Ecole 42 , Hectar sans oublier l’export de ce modèle à l’international (Italie, Irlande, Pologne, etc…)

MEJRI Bassem


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