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Henri Giscard d’Estaing (Club Med) : « Nous inventons une nouvelle définition du luxe »

Henri Giscard d’Estaing

Club Med depuis 20 ans, me reçoit. Bientôt trois septennats pour le fils de l’ancien chef d’Etat dont le nom et le style inspirent toujours un grand respect. Un léger chuintement dans la voix n’est pas sans nous rappeler le tic de langage du papa Président. Il y a eu VGE, il y a désormais HGE, un patron qui compte dans l’univers du tourisme et qui a su transformer le Club Méditerranée en institution durable et rentable.

L’ancien diplômé de Sciences-Po, titulaire d’une maitrise de Sciences économiques, a démarré dans la politique comme conseiller général du Loir et Cher étant à 22 ans le plus jeune politicien à cette fonction. On l’avait vu aussi défiler sur les Champs Elysées en 1980 devant son père en tant que chef de peloton de chars. Et puis le monde de l’économie l’a inspiré. HGE a connu le marketing à la Cofremca, puis BSN (devenu Danone), avant de plonger dans l’univers du Club Med qu’il a totalement refaçonné jusqu’à modifier l’image originale de cette marque mythique en passe de devenir une nouvelle référence dans tourisme de luxe.

Au cours de cette interview, Henri Giscard d’Estaing détaille ses relations avec son partenaire chinois, le groupe FOSUN actionnaire majoritaire du Club Med. Il revient aussi sur les années noires, post Covid, où l’Etat français est intervenu pour aider le groupe qui aura perdu au final 1 an de chiffre d’affaires. Il nous parle aussi de la magie « Club Med », pionnier dans la défense des grandes valeurs et morales. Le Club oui, a été le premier à mettre en avant la mixité, la parité, la tolérance et l’intégration sous toutes ses formes. Et l’on y retrouve par inspiration, les grandes avancées du visionnaire VGE qui pilotait une France fière de ses valeurs entre 1974 et 1981. Dieu, que Marianne était jolie chantait à cette époque Michel Delpech ! Dieu que le Club est resté beau en 2023.

Que l’on aime ou que l’on n’aime pas cette machine à rêves, créatrices du… « bonheur si je veux », le Club Med tourne de nouveau à plein régime malgré les nouveaux aléas économiques actuels.

Éric de Riedmatten : Après toutes ces crises depuis 3 ans comment va le Club alors que la Chine ralentit, plonge dans le Covid et que la Russie est de plus en plus menaçante ?

Henri Giscard d’Estaing : Même si nous avons eu à subir un contexte très difficile à cause de la pandémie et si tout n’est pas rentré dans l’ordre dans le monde, je peux vous dire que le Club Med va bien. Nous avons enfin retrouvé globalement notre niveau d’activité d’avant la pandémie. Et en termes de rentabilité, notre résultat net est positif en 2022. Nous avons également réussi à réduire notre dette.

Grâce aux aides ? Grâce à votre actionnaire chinois Fosun ?

H.G.E. : Il n’y a pas de hasard. Le Club est monté en gamme et sa transformation porte ses fruits. On a longtemps épilogué sur ce changement de cap majeur, on a même douté de sa réussite au moment de son lancement en particulier. Aujourd’hui, nous sommes reconnus comme unacteur solide et unique dans l’univers des vacances, et cela au niveau mondial. Notre modèle économique est rentable.

Le covid vous a coûté cher ?

H.G.E. : Oui. Pour vous donner une idée de l’ampleur de la crise, en avril 2020, nous avons dû fermer tous nos villages, ce que nous n’avions jamais fait en 70 ans d’histoire. Et ensuite, ils ont rouvert progressivement. En deux ans nous avons perdu l’équivalent d’une année de chiffre d’affaires. A l’hiver 21, lorsque nous n’avons pas pu ouvrir nos villages dans les Alpes, nous avons perdu 260 millions d’euros de chiffre d’affaires !

Payés par qui ?

H.G.E. : Nous avons bénéficié des dispositifs mis en place par le gouvernement français : les Prêts Garantis par l’Etat (PGE) français à hauteur de 250 millions d’euros mais c’est une dette que nous remboursons ; nos équipes ont bénéficié du chômage partiel. En ce qui concerne, le manque à gagner de l’hiver 21, nous n’avons bénéficié que de 25 millions d’euros de compensation !

Et quel rôle a joué votre actionnaire ?

H.G.E. : Fosun nous a soutenu activement durant cette période de pandémie, notamment en apportant 130 millions d’euros, essentiellement sous forme de capital.

Après tout cela, vous restez optimiste ?

H.G.E. : Je suis confiant dans la poursuite de notre croissance car nous avons eu un très bon rebond en Europe et en Amérique du Nord et du Sud au cours des derniers mois. Aujourd’hui, l’activité redémarre en Asie. Nos réservations pour le premier semestre 23 sont en forte progression.

La Chine actuellement traverse une période difficile. C’est un nouveau souci pour vous ?

H.G.E. : À court terme, ce sera encore complexe à gérer. Mais nous sommes habitués à gérer ces situations, et le fait que la Chine rouvre ses frontières est une bonne nouvelle pour la suite.

Le club est sauvé ?

H.G.E. : Il l’est, bien sûr ! Structurellement. C’est avant tout grâce à la transformation de son modèle et de son produit qui en fait un acteur mondial rentable et en croissance, alors que le secteur du tourisme connaît de réelles difficultés. Beaucoup des acteurs européens vont mal. Voyez Thomas Cook qui a disparu.

Vous êtes au club depuis 25 ans dont vingt ans passés à la présidence. Le temps vous a aidé ?

H.G.E. : Le temps est un facteur fondamental pour réussir et atteindre les objectifs. Cette profonde transformation a été consommatrice de temps d’autant que les crises ont freiné notre travail. Il y a eu le tsunami, le volcan islandais, la crise financière de 2008, le printemps arabe et le covid qui a été « la mère de toutes les crises ». A ces crises s’est ajoutée l’ampleur de la transformation. Changer de modèle prend du temps.

Comment s’est faite cette transformation ?

H.G.E. : La montée en gamme a été décidée en 2004. C’était le premier acte de notre virage stratégique. À cette époque, 25% des villages seulement étaient haut de gamme. Aujourd’hui, 97% de nos clubs sont aux normes que nous nous étions fixées, premium et « exclusive collection » (c’est-à-dire le plus haut niveau de confort).

Et donc des investissements lourds ? Comment avez-vous fait ?

H.G.E. : Transformer nos Clubs en produits haut de gamme a été long, complexe et coûteux. Il a fallu fermer beaucoup de resorts, en transformer d’autres et en ouvrir de nouveaux, aux 4 coins du monde. Ce sont des investissements qui ont été rendus possibles grâce à nos partenaires immobiliers car ils ont cru en notre stratégie. Dernier exemple en date : la Caisse des Dépôts a financé notre nouveau village de Tignes. Cela a coûté 130 millions d’euros. Val d’Isère qui est devenu notre 1er resort « Exclusive Collection » à la montagne. Ce village bénéficié d’un investissement de 50 millions d’euros pour sa transformation. Aux Seychelles, c’est un ancien hôtel Beach Comber, qui a été entièrement reconstruit alors que nous étions en pleine pandémie et avec des conditions d’accès parfois très difficiles car, comme beaucoup d’entre eux, ce resort est situé sur un lieu unique mais isolé, une île privée en face de la capitale, Mahé.

Le luxe est-il la clef de la réussite ?

H.G.E. : Nous avons voulu monter un cran plus haut et proposer une libre interprétation du luxe avec des resort très haut de gamme. C’est notre nouvelle gamme « Club Med Exclusive Collection » qui représente le meilleur de notre offre, mais n’a pas vocation à dépasser à terme 15% de celle-ci. Nous l’avons déjà expérimentée dans certains clubs comme Michès Playa Esmeralda en République Dominicaine. C’est une très belle réussite : un resort eco-chic dans un lieu sauvage et luxuriant à 1 heure de Punta Cana, permettant des vacances exceptionnelles pour les familles et les couples actifs.

Vous ne vous êtes jamais lassé du Club ? J’y suis j’y reste ?

H.G.E. : Je reconnais la célèbre phrase du Président Mac Mahon ! Je préfèrerais ne pas me comparer à lui … Ce que je peux vous dire c’est que je suis fier, avec une équipe de direction formidable et des GO et GE qui ont tout de suite adhéré au projet, d’avoir remis sur les rails une marque iconique qui aurait pu disparaître comme beaucoup d’acteurs du tourisme qui n’ont pas résisté aux crises. Cette constance je l’ai, car j’ai toujours cru au Club. C’est aussi un projet sociétal qui a touché plusieurs générations et dont l’ADN n’a pas varié. La marque reste synonyme de bonheur et de liberté.

Le Club reste-t-il français ? N’a-t-il pas perdu ses origines ?

H.G.E. : Le Club a conservé ses racines françaises. Et puis, dans nombre de domaines, dont la restauration bien sûr, nous utilisons les codes de l’art de vivre de notre pays. Mais il est exact aussi que, à l’instar de son management, l’entreprise s’est internationalisée. Parce que la clientèle est aujourd’hui majoritairement internationale, même si nos clients français restent toujours très attachés à la marque. Nous sommes devenus un groupe « Glocal » c’est à dire global et local en même temps car nous nous adaptons aux marchés et aux destinations où nous nous trouvons.

Votre père venait-il au Club Med ? Et appréciait-il ?

H.G.E. : Il y est venu avec ma mère. C’était à Marrakech. Oui, il a aimé.

Que pensez-vous de cette France « tout tourisme » qui s’est faite au dépens de son industrie ?

H.G.E. : On devrait être fier de notre succès touristique. Je regrette que la France ne porte pas suffisamment d’attention à notre secteur d’activité : le tourisme, c’est la vie. Alors il est vrai que le Covid nous a montré combien nous étions dépendants de ce secteur. Mais on est toujours dépendant de quelque chose. Pour l’énergie, regardez l’état du parc nucléaire français aujourd’hui ! Notre dépendance énergétique nous pose bien des problèmes.

Mais faut-il plus d’industries et revenir à ce que votre père avait construit ?

H.G.E. : C’est un bon choix de tenter de relocaliser un certain nombre d’industries. Mon père avait fait de la France le premier producteur d’énergie nucléaire au monde. Aujourd’hui, vouloir réindustrialiser le pays est une bonne chose. Mais, le tourisme doit rester une industrie majeure. Elle génère des emplois et des ressources qui se diffusent sur tout le territoire.

Faut-il plus de touristes en France ?

H.G.E. : Cela ne doit pas être l’objectif. Notre pays n’est pas adapté au tourisme de masse. Je me suis toujours opposé à l’objectif de 100 millions de touristes par an. Nous devons mettre la France sur les rails d’un tourisme qualitatif. Un tourisme capable de générer davantage de recettes, et de respecter notre magnifique environnement.

La France est sur cette voie selon vous ?

H.G.E. : Oui, la meilleure recette, c’est la montée en gamme, la qualité de l’accueil et de l’offre touristique : c’est ce que le président de la République a annoncé et c’est le bon objectif. C’est exactement la voie choisie par le Club Med. La France doit monter en gamme comme l’a fait le Club Med !

Emmanuel Macron et son épouse Brigitte sont-ils venus dans l’un de vos clubs ?

H.G.E. : La famille du Président y est venue. Mais je respecte leur discrétion et ne vous en dirai pas plus.

Le changement climatique pèse sur l’enneigement dans les Alpes. Vos investissements en montagne ne sont-ils pas risqués ?

H.G.E. : Nous espérons tous que la neige soit présente sur nos sommets alpins longtemps encore. Mais nos resorts ont été conçus pour faire de la montagne une destination exceptionnelle, avec de nombreuses activités au-delà du ski, hiver comme été. Les piscines, les terrasses, le confort des chambres font que la montagne reste magique en toute saison. Et notre clientèle s’élargit. 80% des Brésiliens qui viennent skier en France vont au Club Med. Cette année, 25 000 d’entre eux vont séjourner dans nos clubs des Alpes après avoir visité Paris ou une autre capitale européenne. Pour eux, c’est un véritable « exotisme » et ils sont vraiment attirés par la montagne qu’ils n’avaient jamais vue jusque-là. Les enfants en particulier ! Et c’est intéressant de voir que les Européens rêvent de Copacabana quand les sud-américains rêvent des Alpes françaises !

Il paraît que vous avez mis les chinois au ski ?

H.G.E. : Le premier Club Med ouvert en Chine, en 2010, l’a été symboliquement à la montagne, dans le nord-est du pays, à Yabuli. Nous avons eu le pressentiment que cette activité allait connaître un très fort développement dans cet immense pays et attirer une clientèle de familles alors que jusque-là seule une riche clientèle s’y rendait, en provenance de Hong Kong notamment. Avec les Jeux Olympiques de Pékin, le ski a conquis les chinois. Et nous avons aujourd’hui trois villages de montagne en Chine et plusieurs en projet.

Quelle est votre première inquiétude quand vous regardez l’économie française ?

H.G.E. : Mon inquiétude c’est l’inflation. La hausse des prix est aussi forte qu’il y a 40 ans. Et cela a aussi un impact sur notre exploitation car les hausses de l’énergie, des achats alimentaires vont contribuer à l’augmentation des coûts.

Que vous répercuterez ?

H.G.E. : Tous les séjours réservés actuellement  ne  subiront aucun ajustement ultérieur. C’est en quelque sorte un « bouclier anti inflation » qui permet à ceux qui partiront l’été prochain de ne subir aucune hausse de tarif si la réservation est faite maintenant.

Redoutez-vous de perdre des clients ?

H.G.E. : Notre formule tout compris est la meilleure réponse à la hausse des prix. Elle protège nos clients de l’inflation, ce qui n’est pas le cas des hôtels où la moindre consommation est facturée en supplément. Et donc soumise à la variation des tarifs.

Vous qui avez été le plus jeune conseiller général de France, referiez-vous de la politique ?

H.G.E. : Non, j’ai décidé de me consacrer pleinement à l’entreprise.

Votre nom de famille est aussi une belle « marque » ?

H.G.E. : Ce qui me fait plaisir c’est qu’il est associé à la modernité et que, grâce à mon père, il est synonyme de nombreuses avancées sociétales concernant l’évolution des mœurs, la condition féminine, le droit de vote à 18 ans. Ce nom est associé à de grandes conquêtes et tout cela perdure.

Mais aussi un nom souvent brocardé par les humoristes Et les imitateurs…

H.G.E. : Oui cela ne gênait pas mon père dès lors que les imitations étaient sans méchanceté délibérée et gratuite. Nous sommes allés voir Thierry Le Luron en 1981 au théâtre Marigny pour l’anniversaire de mon père qui était encore président. Et il avait rencontré Coluche qu’il admirait. Mon père avait beaucoup d’humour.

Et le film « Les Bronzés » ? Vous l’aviez vu ?

H.G.E. : Je l’avais vu, difficile d’y échapper ! Gilbert Trigano, le fondateur du Club Méditerranée, en avait été très affecté car il y voyait une caricature grossière. Aujourd’hui, tout cela est lointain : beaucoup de choses ont changé, seul le nom est resté. Et si vous voulez mon avis, le plus réussi est sans aucun doute « Les Bronzés font du ski » !

Propos recueillis par Éric de Riedmatten


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