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Vignoble d’exception : balade au Château Brane-Cantenac

Photos A. Bordier

Les Français ont une particularité : ils aiment le très bon vin… même s’ils sont rares à pouvoir s’en offrir. Le vignoble bordelais est leur région viticole préférée. Cette préférence est vécue par la famille Lurton, depuis 4 générations, comme autant de défis à relever. La 5è génération est, déjà, en route. Avec le Grand Cru Classé Brane-Cantenac, une référence mondiale, l’excellence a rendez-vous avec l’histoire. Reportage au cœur d’un vignoble de quatre siècles.

Il y a des vins qui font l’histoire. Ces vins-là réjouissent vos sens et les émerveillent de génération en génération. Il y a des régions viticoles qui remplissent plus que leurs promesses ancestrales. Ces régions sont des exceptions, tant elles paraissent avoir été modelées pour accueillir un trésor : celui d’un terroir unique. Ah, ces terroirs gorgés d’histoires familiales, de galets et de sable landais. Ces histoires forment une sorte de cavité souterraine, liquide où les racines de leurs âmes puisent toute leur force de vie. Les qualificatifs manquent pour les décrire et essayer de les définir. Combien de vies faudrait-il pour faire le tour du vignoble bordelais, par exemple ?

Déjà, essayons de répondre à la question : où se trouve le vignoble bordelais ? Question presque basique. Géographiquement, il se situe, comme son nom l’indique, autour de Bordeaux, dans le département de la Gironde. Puis, il se divise en 6 vignobles : au nord-ouest de Bordeaux celui du Médoc, plein nord celui de Blayais et Bourgeais, au nord-est celui du Libournais, à l’ouest celui de l’Entre-deux-Mers, et au sud les Graves et le Sauternais. Un chapelet de terroirs emblématiques. Une mosaïque de parcelles, qui se joignent les unes aux autres, pour donner vie à de divins breuvages.

L’appellation Margaux

Le vignoble qui nous intéresse est celui du Médoc, et, plus précisément, l’appellation Margaux. Le nom est mythique, plus que romantique. Il a fait plusieurs fois le tour du monde. Et, depuis 6 ans, il faut, dorénavant, parler de Margaux-Cantenac, car les deux communes ont fusionné. Mais, le terroir, lui, n’a pas changé. Vu du ciel, il ressemble à une immense étendue de 2 000 hectares, où règnent la feuille, le galet, la grappe, la vigne et le vigneron. Au loin, en vous hissant sur la pointe des pieds, vous apercevez les pins maritimes, puis, le lac d’Hourtin et de Carcans, avant de plonger dans le grand Atlantique, plein ouest. L’estuaire de la Gironde est tout proche, à une course de cheval, à trois jets de galet. Zoomons un peu plus.       

De Bordeaux, pour aller au Château Brane-Cantenac, Second Grand Cru Classé 1855, il faut mettre 49 petites minutes. Vous apercevez les premiers rangs de vignes. Dès que vous roulez dans le Médoc, le dépaysement est assuré. Un nouveau pays s’ouvre à vous, fait de petits villages, d’étendues de vignes à n’en plus finir, plus vertes les unes que les autres, et de vallées ondoyantes dorées par le soleil de midi. L’air qui s’engouffre dans la voiture est iodé. Et, si vous avez le nez assez fin, vous commencez, déjà, à humer quelques parfums teintés de rouge.

« Soyez le bienvenu à Brane-Cantenac »

Vous faites un petit détour et vous traversez Margaux avant d’arriver à Brane-Cantenac. Tous vos sens restent en éveil, lorsque, le Château Brane-Cantenac, au détour d’un virage, apparaît, comme posé en plein milieu de ses vignes, sur ses terrasses.  « Soyez le bienvenu à Brane-Cantenac », lance Henri Lurton, le propriétaire des lieux. L’homme étonne parce qu’il y a en lui du Chateaubriand, du Harry Potter et du Petit Prince. Par l’allure, une sorte d’humilité pincée d’un mystère effacé, il ressemble au héros d’Antoine de Saint-Exupéry ; par sa chevelure abondante, il se rapprocherait de Chateaubriand ; et avec ses lunettes rondes, il rappelle le héros de J. K. Rowling. Mais, il n’est pas un magicien. Pas du tout. Il se présente comme un « technicien ». Autour de nous, les bâtiments s’étalent, à la fois, simples et majestueux, chargés d’histoire.

« Ici, nous marchons sur des anciens marécages landais », explique-t-il en commençant la visite. Il est accompagné de Marie-Hélène Faurie, sa directrice commerciale, et de Christophe Capdeville, son directeur d’exploitation. Le trio semble fonctionner à merveille. Comme dans une danse à trois temps, ils alternent les propos qui distinguent les prés carrés de chacun : l’histoire, le management et la stratégie à Henri, le développement des ventes à Marie-Hélène, et les aspects les plus techniques et les plus opérationnels à Christophe.

Une histoire d’autrefois

« Les vignes entourent le domaine à 360°. Au 17è siècle, le Médoc s’est recouvert de vignes. Puis, notre essor s’est fait au 18è siècle. C’est de cette époque que datent notre maison et tous les bâtiments qui l’entourent, avec des parties plus récentes qui datent du 19è et du 20è siècle. Au 19è siècle, le propriétaire de l’époque a rajouté une tour à la chartreuse pour lui donner une touche chatelaine. Dans la région, vous verrez beaucoup de château à tourelles », explique le propriétaire.

Le soleil est radieux, la température matinale va bientôt tutoyer les 30°C. Dans les vignes, un groupe de personnes s’affairent, le chapeau sur la tête, les outils à la main. « Nous avons commencé l’effeuillage », explique Christophe Capdeville. Expert-œnologue, il travaille depuis 33 ans pour le domaine. Il a commencé comme stagiaire. Il est réputé dans la région au sujet des installations vinicoles. Tout un art, qu’il met au service du château.

Et l’effeuillage ? Il consiste à « éclaircir les feuilles qui recouvrent tout ou partie de la grappe de raisin. C’est un travail d’orfèvre qui se fait pied par pied. Il s’agit de bien calibrer l’ensoleillement, pour améliorer l’aération autour des grappes et équilibrer le rendement photosynthétique. »

Des vignerons et des vins

Henri Lurton est tombé dans le tonneau quand il était petit. Son savoir, son talent, son subconscient, presque, sont innés. Certes, il a dû travailler, apprendre la théorie pour expliquer et démocratiser les mots et la science du noble breuvage, vulgariser les termes scientifiques pour la compréhension du grand public. Toute cette connaissance et toute cette expérience, il les a acquises au fil de son enfance, de ses jeux de cache-cache, de ses promenades au cœur du vignoble familial.

Visionnaire, il est un précoce. « Quand j’étais adolescent, j’ai choisi de consacrer toute ma vie au vin. J’étais le seul des 10 frères et sœurs à avoir fait le choix de devenir vigneron… » Henri Lurton sourit et se met à rire quand il se souvient de ses nombreuses escapades nocturnes. « Je sortais par la fenêtre de ma chambre, qui donnait sur les vignes. Je grapillais le raisin, avant tout le monde. Dans la journée, j’allais voir travailler les ouvriers dans les vignes. Et, je leur posais plein de questions. » Le petit enfant en culotte courte, à la chevelure romanesque, a les yeux qui regorgent de grains de raisin. Il est devenu grand. Il est devenu œnologue. Puis, il a fait des études de biologie et de recherche sur les sols.

« Je suis un technicien à la base, et avec mon père, je me suis, beaucoup, occupé de viticulture, quand j’ai démarré en 1986 avec lui. Et, j’ai, ensuite, repris cette propriété. Il faut savoir que mon père avait 11 propriétés, et nous étions 10 frères et sœurs. Chacun a sa propriété. Et, chacun a mis sa signature. » Une histoire familiale unique au monde, qui donne un dimensionnement hors-du-commun à cette famille de vignerons qui produit des vins au caractère d’exception. Des vignerons au premier degré effacés, mais qui au second degré, si vous arrivez à les suivre, vous plongent dans leurs racines. Pensez : 5 générations ! Henri Lurton était, donc, le premier des 10 à devenir vigneron, à marcher dans les graves du terroir paternel. « Tous avaient démarré un autre métier. Et, en 1992, notre père, Lucien, et notre maman, Marie-Jeanne, nous ont dit : maintenant, c’est à vous ! ». Séquence transmission.

Un terroir « unique au monde » 

La balade dans les vignes continue. Nous longeons le bâtiment du 18è siècle, de 1760 exactement, qui ressemble, de l’extérieur, à une grande écurie. Mais, là, à l’intérieur, comme dans une horlogerie, c’est tout le mécanisme d’élaboration des 3 vins de Brane-Cantenac qui épouse presque à la perfection les lieux. Le bâtiment fait une longueur d’une cinquantaine de mètres pour une profondeur de plus de 15 mètres. Dans les années 1990 et 2000, Henri a remanié le chai de vinification. Il l’a modernisé. Lui, qui aime les vieilles voitures, puisqu’il a été véhiculé dans son enfance dans une vieille Jaguar, aime aussi, les vieux cuviers. Mais, il les a tous rénovés.

Il évoque, ensuite, le changement climatique. « Nous avons eu beaucoup d’orages, cette année, mais assez peu d’orages forts. Nous bénéficions d’un micro-climat d’exception, lié à notre situation géographique. » Climat d’exception, famille d’exception, terroir d’exception. Henri Lurton, un technicien du sol et de la vigne hors-pair, formé à Bordeaux, le répète : « notre terroir est unique au monde ». Aucun doute : il est composé de graves dites profondes. Les racines plongent, alors, à une douzaine de mètres de profondeur. Là, dans le silence, gourmandes, elles se délectent, en toute quiétude, de minéraux abondants.

Sur les 75 hectares de vignes, le château cultive sa spécificité “ verte ” sans certification biologique : « Quand j’ai commencé ici, en 1986, déjà, nous traitions moitié moins que ce que faisaient les autres. On nous posait souvent la question sur certains traitements, et je me souviens que nous répondions : Non, nous n’en utilisons pas. » Avant-gardiste et libre, Henri Lurton est, également, un passionné. « Oui, nous sommes bien au service du terroir. Il est exceptionnel. Regardez notre 4è terrasse, avec ses graves, ce mélange de galets et de sable. Son drainage est naturel. Notre travail consiste à le préserver. Pour sa sauvegarde, nous mettons en place les solutions ancestrales, transmises de génération en génération. Pour cela, nous faisons de nouveaux essais de cépages résistants au changement climatique. »

Double L, comme Lucien Lurton

Avant d’entrer, dans le chai, sur la droite, il indique la maison de son père. « Malheureusement, il nous a quitté le 25 mars de cette année. Il a fini ses jours ici. La maison est un peu vide, maintenant. Même si sa présence est, toujours, à nos côtés. » Séquence émotion. Le silence s’invite dans notre conversation. Il rejoint celui du terroir.

Il faut dire que son père était un Monsieur, avec un M majuscule. Il était le Monsieur vin de la région, et même au-delà. L’arbre généalogique des Lurton n’est pas un arbre. C’est une vigne qui a 4 siècles. Il faudrait, d’ailleurs, parler de vigne généalogique.

Quand on remonte l’histoire familiale des Lurton, on y croise, un autre grand Monsieur : Léonce Récapet (1858-1943). Et, on comprend tout. C’est lui, le Géo Trouvetou de la famille, le génie. Depuis 1650, la famille possède des vignes dans la région. Ils font quel métier ? Ils exercent celui de meunier et de liquoriste. Inventeur né, au caractère des plus tranchés, Léonce Récapet va réaliser une chose inédite, à la fin du 19è siècle : celle de créer la distillerie à vapeur. Et, ça marche. C’est le début de la saga familiale. Lucien était, son petit-fils. Il était à la tête de 11 vignobles. Il en a hérité certains et en a acquis d’autres. Ensuite, pendant, 20 ans, il a été le Président de l’appellation Margaux. Avec son double L, il faudrait rajouter un double M : celui de Monsieur Margaux.

 Des équipements d’exception

Nous entrons dans le Grand Chai, celui du Baron de Brane. C’est le Second Vin du Château Brane-Cantenac. « Le baron était l’ancien propriétaire du domaine, au 19è siècle. C’est une grande famille. Sa mère était propriétaire de Château Margaux. Mon arrière-grand-père, puis mon grand-père ont eu, bien plus tard, 40% des parts de cette propriété qui a toujours fait un vin d’exception. Un vin reconnu comme l’un des plus grands vins du monde », raconte Henri. Il ne s’arrête plus. Il est un livre ouvert.

Dans le chai, ses dernières machines s’étalent, mystérieuses. Comme son équipement de tri optique et son nouveau système extraction-douce R’Pulse, qui pour l’heure est au repos. Ces améliorations techniques permettent aux équipes du château de réaliser un travail d’orfèvrerie lors de la vinification. Comme l’indique, Christophe Capdeville : « Nous avons la chance de pouvoir investir dans de nouveaux équipements, qui nous permettent de vérifier chaque grain de raisin et de sélectionner les meilleurs pour nos cuves. C’est notre maître de chai Florent Cillero, qui pilote tout ça ». Du grand art.

Henri et Christophe changent alors de casquette, pour prendre celle de l’architecte. « Notre architecte, Vincent Defos du Rau, a très bien compris, que nous voulions faire un chai éco-responsable. » Nous sommes à la fin des années 1990. Henri, avant-gardiste, a, toujours, une longueur d’avance. En 1999 son nouveau chai sort de terre. « Nous avons été pionnier. Et, nous étions une référence dans les revues d’architecture. » Il y a du Léonce dans cet Henri. En plus, leur chai est hi-tech. « Lors des vendanges, les tracteurs se positionnent sur le quai, en face, et les grappes sont déposées par vibration sur le tapis de tri… » De là à faire de bons vins…il n’y a qu’un pas. Que nous faisons pour nous rendre dans la cuverie. Puis, direction…la dégustation.

Une dégustation et Napoléon

Dans le chai de dégustation, les trois vins d’Henri Lurton sont prêts. Comme ses deux fils, Vincent et Nicolas, qui s’occupent du domaine au…Mexique. En 2015, la saga familiale a pris un billet aller-simple pour la Basse -Californie, pour Ensenada, dans la vallée de Guadalupe. Le domaine porte le nom du père : Bodegas Henri Lurton.

Mais, pour l’heure, la dégustation n’attend pas. Vincent y participe. Trois étiquettes, trois vins : Margaux de Brane, Baron de Brane, Brane-Cantenac. « Devant vous, explique Christophe Capdeville, vous avez un concentré de complexité. Dans chaque bouteille, vous avez une mosaïque de cépages, de lieux, de parcelles, de terrasses et de sols. En amont de cette dégustation, nous avons eu plusieurs travaux d’assemblage. » 

Le monde du vin, de ses hommes et de ses femmes, de son propriétaire, de son histoire, est là, dans ces bouteilles. Elles renferment un trésor. Le vin de Brane-Cantenac, avec sa robe rouge noble, est, à la fois, élégant et puissant, charnu et soyeux. Lors de l’assemblage se retrouvent les 6 cépages répartis sur les 75 ha de la propriété : le cabernet franc, le cabernet sauvignon, le carménère, le malbec, le merlot, et le petit-verdot. Le travail d’assemblage est un travail d’orfèvre. Le noble liquide coule dans les verres.

La dégustation du Baron de Brane 2015 retient toute l’attention. « On l’appelait le Napoléon des vignes », raconte avec amusement Henri Lurton. « Nous sommes sur d’autres terrasses que celles du premier vin. Il est moins en profondeur et en structure, mais il est extrêmement aromatique. » Nous sommes sur le terroir de Margaux et avec ce millésime exceptionnel de 2015, la qualité éclatante se déverse naturellement.

Des femmes et des mélomanes

Pour Marie-Hélène Faurie, « ce vin n’est pas du tout masculin. Il est féminin. J’adore cet équilibre où on a encore les fruits, qui sont frais et croquants. »  

La dégustation se termine. Il est temps de repartir. Dans les vignes, les tracteurs continuent à se faufiler. Comment sera le Millésime 2023 ? Comme celui de 2022 ? Exceptionnel ? Il serait, peut-être, « le millésime du siècle », comme certains experts le prédisent. Patientons.

Les portières des voitures se referment. Le Château Brane-Cantenac s’éloigne. Les vignes, qui l’entourent, ressemblent à un tapis vert qui invite à la dégustation. Cet écrin naturel des plus précieux raconte une grande histoire : celle du vin, celle de la famille Lurton, celle d’Henri, celle de Vincent et de Nicolas, celle de Brane-Cantenac, celle de Margaux, celle de la France et celle du Mexique. Cette saga familiale n’est pas prête de s’arrêter-là. Et, demain ?

Un violoniste, un ami d’Henri Lurton, tout droit venu des Etats-Unis, viendra marier sa musique avec le noble breuvage. Si « le vin réjouit le cœur des hommes et de Dieu », comme le dit une phrase biblique, ici, il réjouit le cœur des femmes et des… mélomanes.

Pour en savoir plus : www.brane-cantenac.com et www.bodegashenrilurton.com

Antoine BORDIER


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