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Triballat Noyal : laitier breton, révolutionnaire et bio

Petit-fils des fondateurs de l’entreprise, Olivier Clanchin, 50 ans, perpétue une tradition familiale qui remonte à 1951. En deux générations, Triballat Noyal (320 M€ de CA) a révolutionné le secteur laitier et l’univers du bio. L’entrepreneur rennais accompagne cette trajectoire avec un mantra : sortir des sentiers battus.

Entreprendre - Triballat Noyal : laitier breton, révolutionnaire et bio

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Petit-fils des fondateurs de l’entreprise, Olivier Clanchin, 50 ans, perpétue une tradition familiale qui remonte à 1951. En deux générations, Triballat Noyal (320 M€ de CA) a révolutionné le secteur laitier et l’univers du bio. L’entrepreneur rennais accompagne cette trajectoire avec un mantra : sortir des sentiers battus.

Triballat Noyal, c’est d’abord une histoire de famille. Lorsqu’on l’interroge sur le déroulement de ses journées en tant que président de l’entreprise, Olivier Clanchin évoque d’abord ses enfants. Le plus grand « qui ne vit plus à la maison », le second qu’il faut emmener au train et la petite dernière qu’il « dépose à l’école ».

Olivier Clanchin, qui a déjà consulté ses mails et préparé sa journée avant de quitter son domicile, arrive à 8h15 à au siège de l’entreprise, situé à Noyal-sur-Vilaine. Enfin pas tout à fait. Avant de franchir la porte du siège, le directeur général fait un crochet par la maison familiale située… de l’autre côté de la rue – un « rituel », dit-il. Ce n’est qu’après un café partagé avec ses parents et des discussions qui, on l’imagine sans mal, gravitent autour de la vie de Triballat Noyal qu’Olivier Clanchin file retrouver ses collaborateurs.

« Le fait d’être une entreprise familiale permet de se placer dans une logique de temps long et d’être, de temps en temps, à contre-courant, explique l’entrepreneur breton. Notre modèle ne réagit pas aux mêmes contraintes que celles générées par un actionnaire extérieur ou un financier. » Ce confort pour investir à contre-courant ou explorer des domaines inconnus permet à la laiterie familiale de maintenir des projets qui ne sont pas immédiatement rentables.

« Ma responsabilité porte sur l’anticipation et la transmission. » Comme dans toutes ces entreprises où la famille et l’entreprise ne font qu’un, Triballat Noyal est d’abord l’histoire d’un patrimoine familial. « Mes décisions, ma vision et mon engagement se situent dans cette logique de transmission et de pérennité. » Si Triballat Noyal a vu le jour en 1951, l’entreprise descend en fait d’une activité de fromagerie fondée en… 1874.

Triballat Noyal a vécu sa « grande révolution » en 1968

Les grands-parents maternels, Maxime et Olga Triballat, ont installé l’entreprise familiale sur Noyal en 1951. En 1963, les parents d’Olivier Clanchin, François et Jean, prennent la relève. Quatre ans plus tard, en mai 68, Triballat Noyal vit sa « grande révolution », comme aime à le dire Olivier Clanchin, avec le lancement des premiers laits stérilisés dotés de l’opercule en aluminium qui s’ouvraient avec l’ongle – jusqu’à cette date, les bouteilles étaient soudées.

Cette innovation technique sur des produits conservables en frigo, à une époque où ce dernier n’était pas encore démocratisé, a agi comme un accélérateur et a permis à l’entreprise de se développer sur tout le territoire. Rapidement copiés, les parents d’Olivier Clanchin comprennent qu’ils ne peuvent se contenter d’opérer une rupture technologique.

C’est ainsi qu’au gré des rencontres autour de la philosophie du bio à la toute fin des années 60 et au début des années 70 que les deux dirigeants de Triballat Noyal font le pari, en 1975, de lancer les premiers produits issus de l’agriculture biologique. La dynamique est lancée. Tante Hélène est la première marque de produits laitiers biologiques vendue sur le circuit traditionnel, tandis que Vrai, lancée en 1995, sera la première gamme de produits bio vendue en grandes et moyennes surfaces.

L’entreprise bretonne a également devancé tout le monde en se lançant dans les produits à base de soja à la fin des années 80. « Mon père avait coutume de dire : “s’il y a quelque chose de difficile à faire, ça m’intéresse, car ce sera difficile à copier.” » Triballat Noyal a conservé ce credo pour rester à la pointe.

« Ils ont travaillé en bonne intelligence avec le monde agricole sur un cahier des charges visant à se différencier dans une logique d’agriculture à livre ouvert », explique aujourd’hui leur fils. L’intention des époux Clanchin était de rapprocher le producteur du consommateur. Sauf qu’à l’époque, le secteur n’est pas structuré : la réglementation est inexistante et plusieurs écoles cohabitent.

« Chacun faisait la bio à sa manière, précise Olivier Clanchin. Rien n’était fédéré, on tombait souvent dans le combat de clochers… La volonté de se regrouper aboutira beaucoup plus tard. » Avec notamment la création d’instances, comme le premier syndicat interprofessionnel Setrabio (Synabio), chargées de construire des fondations solides pour faire avancer l’agriculture biologique. Les parents d’Olivier Clanchin ont participé, avec d’autres, à la mise en place de l’ancêtre du label AB.

C’est dans cette effervescence initiale que Triballat Noyal a connu son tournant. Cette prise de conscience interne pousse l’entreprise à s’engager dans une logique de co-construction avec les parties prenantes du système : producteurs et consommateurs. À la fin des années 70, les adeptes du bio étaient très différents de ceux d’aujourd’hui.

« On était face à un consommateur militant, qui était en quête, cherchait des produits précis et avait beaucoup de questionnements », se souvient Olivier Clanchin. Cet écosystème bouillonnant autour de nouvelles attentes et modes de production agricoles a nourri l’entreprise et son développement.

« Au fil des ans, poursuit-il, cette exigence des consommateurs nous a fait prendre conscience de l’importance du végétal et des nouvelles filières, comme le lait de chèvre. » À l’heure actuelle, Triballat Noyal fonctionne sur la règle des 50% : 50% animal, 50% végétal ; 50% d’agriculture bio, 50% d’agriculture conventionnelle. Un équilibre quasi parfait entre les différents domaines d’activité. Triballat Noyal dispose des outils de production pour transformer les trois laits les plus courants (vache, brebis et chèvre). Plusieurs dizaines de produits différents ultra-frais sont confectionnés dans les usines de la PME bretonne.

Il a failli se lancer dans le commerce du poisson au Japon

Avant d’intégrer l’entreprise au début des années 90, Olivier Clanchin a réalisé un parcours qu’il qualifie lui-même de « moyen ». Une fois son bac en poche, il penche plutôt pour le commerce. Il intègrera finalement l’Institut commercial supérieur qui préparait ses étudiants… à l’expertise comptable. « On était loin de l’aspect commercial que je recherchais. Mais c’était un programme qui avait du fond, à une époque où les écoles de commerce privilégiaient plutôt la forme. »

Juste après son service militaire, Olivier Clanchin se passionne pour les nouvelles méthodes de management venues des États-Unis. Il part effectuer un stage en Angleterre pour parfaire son anglais. L’entreprise qui l’accueille, un importateur qui avait développé un système de fraîche découpe de fromages et possédait un savoir-faire sur le frais emballé, paraphe avec lui un contrat de 3 mois.

Son aventure au sein de l’entreprise durera finalement 3 ans. Sur place, il se perfectionne en suivant des cours de management, financés par l’entreprise, à l’université de Reading.

Trois ans après être arrivé à Londres, Olivier Clanchin était prêt à opérer un virage à 180°. Alors qu’il est sur le point de se lancer dans le commerce international du poisson à Tokyo, il est rattrapé par Triballat Noyal, le joyau familial.

« J’étais très attiré par l’Asie et prêt à partir, se souvient-il. Mais au même moment, mes parents étaient en pourparlers avec des Chinois pour vendre une usine sur place. Mon père m’a alors proposé de prendre la tête du projet. » Olivier Clanchin laisse derrière lui les poissons japonais et effectue son entrée dans l’entreprise familiale autour d’un projet périphérique avec pour mission d’accompagner le lancement de l’usine.

Avec le recul, explique le chef d’entreprise breton, cette intégration par l’international fut une « bonne manière de découvrir l’entreprise » et… d’être « découvert par l’entreprise ». Au bout du compte, ce projet chinois tombera un peu à l’eau – une seule usine sur les six prévues au départ sera vendue. Olivier Clanchin rentre donc en France et renonce à ses projets d’installation dans l’empire du Milieu.

Secrétaire général puis directeur adjoint, Olivier Clanchin gravit les échelons au sein de la laiterie familiale. En 2005, à 39 ans, il prend la présidence de l’entreprise.

« Ma principale satisfaction reste le leadership construit par l’entreprise autour du bio, du végétal et des petits ruminants. Nous avons su garder une longueur d’avance en innovant. » Depuis sa prise de fonctions, plusieurs initiatives originales ont vu le jour, notamment les recettes éphémères (5 agrumes, thé vert menthe) ou le partenariat avec le cuisiner Jean Imbert autour de Sojasun, deux des plus beaux succès récents de l’entreprise rennaise.

Triballat Noyal se caractérise depuis toujours pas une démarche d’innovation constante. « Une innovation pragmatique et proche des ateliers de production, des producteurs de lait et des consommateurs, précise Olivier Clanchin. Le fait de pouvoir décliner le concept du fromage frais – reposant historiquement sur le lait de vache – en lait de chèvre et de brebis peut sembler assez simple sur le papier, mais le processus est pointu au niveau technique. »

Autre avancée notable : avec sa marque Petit Breton, Triballat Noyal propose un lait de vache garanti sans OGM. « Au gré des crises laitières, on a étudié de quelle manière recréer une différenciation et une segmentation. Avec toujours cette logique de co-construction et cette démarche de proximité avec le monde agricole. »

La glace de soja et le couac thaïlandais

Triballat Noyal a aussi connu ses passages à vide. Comme pour beaucoup d’industriels du secteur, la crise de 2008-2009 a entraîné de fortes turbulences. Qui ont condamné certains projets novateurs. « Au rayon des échec, avance Olivier Clanchin, je vais vous en donner un significatif. Nous nous sommes lancés dans la glace de soja à l’été 2007 en partenariat avec un glacier breton. Les deux premiers étés n’ont pas été bons, la crise a stoppé net le projet. J’y croyais mais cela n’a pas fonctionné. » Autre concept mort-né : les dosettes Créasun. « Ce projet consistait à vendre des petites dosettes d’aromatisation de yaourt par Internet, à l’instar des doses de café Nespresso. Nous l’avons lancé en 2010, sans doute trop tôt et sans les outils nécessaires pour faire connaître ce produit. »

À l’international non plus tout n’a pas été rose pour l’ETI familiale. Il y a quelques années de cela, Triballat Noyal a lancé un vaste projet d’implantation en Thaïlande. « Nous avions le partenaire, le produit et l’équipe, se souvient Olivier Clanchin. Le salon sur lequel nous avons présenté le produit s’était très bien déroulé. » Bref, le projet entrait dans sa phase terminale et « tous les voyants étaient au vert ». Sauf qu’un grain de sable est venu enrayer la belle mécanique. « Cela s’est produit du jour au lendemain, raconte Olivier Clanchin. L’administration thaïlandaise est venue nous voir pour nous expliquer que le produit n’avait pas été enregistré dans la bonne classe en tant que produit d’importation. »

Conséquence : les 10% de taxes initialement prévus passent instantanément à 60%. « Cela a tué le projet », lâche Olivier Clanchin. Quelle leçon en a tiré l’ETI bretonne ? « Sur ces marchés internationaux, il faut amener des compétences et avoir un vrai travail de fond sur certains sujets : taxation, importation, homologation. Nous avons pêché dans ces domaines et on l’a payé cash. »

Malgré ces couacs, le groupe laitier reste en parfaite santé avec un chiffre d’affaires de 320 M€ en 2017 si l’on intègre le rachat de Céréco (40 M€ de CA, 170 salariés), producteur bio historique de céréales. Mais pour Olivier Clanchin, l’objectif est plus lointain. « J’aurai réussi ma vie professionnelle si j’arrive à transmettre à mes enfants », prévient-il. Père de trois enfants, l’entrepreneur noyalais souhaite conserver l’entreprise dans le giron familial en passant le flambeau à la quatrième génération. « J’espère que mes enfants voudront prendre la relève, mais ils sont encore jeunes… Quoi qu’il en soit, il faudra que cela soit choisi et non subi. Je souhaite qu’ils trouvent leur voie. Après, si cela peut se faire dans le cadre de l’entreprise familiale, j’aurais accompli ma mission. »


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