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Textile : quand l’Ardèche défie l’Asie

Au fin fond de l'Ardèche, près d'Annonay, la PME textile Chamatex est devenue championne de l'innovation et de l'export. Sa filiale Advanced Shoe Factory 4.0, défie l'Asie. Entretien avec Gilles Reguillon, PDG de Chamatex Group.

Gilles Reguillon, PDG de Chamatex Group

Comment devient-on industriel ?

Gilles Réguillon : Je ne suis pas une personne tranquille. Je suis un amoureux de l’industrie et des produits au sens large. Être entrepreneur, c’est de la persévérance, pouvoir supporter des risques tels que les cautions personnelles qui font la différence avec d’autres métiers. Il est difficilement imaginable de ne pas réussir. Or, seul, on ne fait rien. Mon travail chaque matin est d’entraîner les équipes comme les partenaires. Avec le recul, je pense pouvoir apporter une différence grâce à ma capacité à convertir un projet en réalité. Au départ, je suis ingénieur généraliste, mon père était entrepreneur en maçonnerie, ce qui a clairement eu son influence pour la suite. Je savais qu’être entrepreneur signifiait travailler dur. J’ai occupé pendant douze ans différents postes dans le groupe Seb, en R&D, en sourcing.

Je pratiquais alors le VTT en compétition et j’ai imaginé des brevets. Plutôt que de les vendre, je me suis lancé dans la création. Quitter mon emploi de cadre sup chez Seb, c’était se retrouver seul à redémarrer dans ma chambre. Cela a pris forme, une équipe de 15 personnes s’est constituée, une ligne de production s’est installée à Taïwan pour notre client Renault Sport, l’entreprise réalisait 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires. Lorsque Renault Sport a abandonné le vélo lors de la relance en F1, nous avons été repris par Zefal, mais j’ai quitté ce groupe après deux ans. À cette époque, en 2006, Chamatex était en difficulté, et son fondateur, Jean-Claude Montagnon qui était mon beau-père à l’époque m’a sollicité pour le rejoindre.

Vous avez totalement changé le modèle du business de l’entreprise ?

Effectivement, nous nous sommes orientés vers les tissus sportifs, techniques et d’ameublement, puis j’ai racheté Chamatex en 2011. En 2013, j’étais seul à bord, l’activité s’est orientée vers de nouveaux segments. L’envol véritable a été possible à compter de 2018 lorsque le LBO contracté pour le rachat a été remboursé. Il était possible à nouveau de prendre des risques en matière de croissance externe et d’innovation. Nous avons racheté l’entreprise Rocle, ce fut l’occasion de rencontrer Julien Dykiert, devenu aujourd’hui le Directeur Général de Chamatex (Filiale de Chamatex Group).

Le tissu « Matryx » a fait la différence ?

Avec les deux brevets déposés sur le tissu Matryx, j’étais certain que nous disposions de la rampe de lancement nécessaire sur les chaussures de sport et qu’en automatisant, nous arriverions à être compétitifs, une conviction que j’ai partagée avec le patron du groupe Zebra, Bertrand Barré, et avec Siemens. Un Business plan a été élaboré pour la future Advanced Shoe Factory 4.0, notre seconde usine à Ardoix (Ardèche), près de l’usine qui fabrique le tissu Matryx. Pendant deux jours, nous avons fait un séminaire où étaient invités Puma, Salomon, Babolat, Decathlon, Millet pour les intéresser au projet. Salomon a suivi, Millet et Babolat plus tard, Puma est resté en veille. Ma femme Lucie Réguillon-André m’a rejoint dans ce projet fou que nous avons construit ensemble « from scratch ».

C’est elle qui dirige ASF 4.0 depuis. Avec ces trois premières grandes marques, avec des professionnels de l’industrialisation, Siemens, Bosch, et des financiers, nous sommes passés à la concrétisation. Deux ans plus tard, le Président de la République vient nous rendre visite, ce qui nous a rendu très fiers. Preuve en est que l’impossible n’existe pas lorsque l’on a l’énergie positive nécessaire pour « renverser la table tous les jours » avec les équipes. Dans ce processus, nous avons été épaulés par Laurent Wauquier, Président de région, Olivier Dussopt, puis Roland Lescure, enfin Emmanuel Macron et Nicolas Dufour de la BPI. Une belle aventure qui nous pousse à aller plus loin.

Quels sont vos objectifs sur le marché de la chaussure ?

Nous voulons devenir le N°1 européen de la chaussure de sport, grâce à une technologie disruptive, concrète, un process automatisé qui n’existe nulle part ailleurs, qui a fait l’objet de deux brevets avec Bosch, et un autre en cours. Nous allons installer notre deuxième ligne pour atteindre le seuil de rentabilité le plus vite possible. Nous avons transpiré un an pour atteindre le niveau qualitatif recherché par Solomon notamment. À présent, nous avons de l’avance. Cela nous permet de voir plus loin, raison de la levée de fonds en cours à hauteur de 40 millions d’euros. Et c’est tant mieux, car je pense qu’un pays sans industrie ne peut survivre. Notre chiffre d’affaires sera de 2 millions d’euros fin 2023, nous prévoyons 50 millions d’ici 3 ans sur plusieurs sites, et 100 millions d’ici 7 ans.

Vous êtes un militant de l’industrie ?

J’avais dans l’idée de prolonger le projet ASF 4.0 au Portugal et aux États-Unis. J’ai écouté les gens qui m’entourent, Siemens pour qui l’Europe devait être le premier pas, la BPI dont les intérêts sont de préserver l’emploi en France. Finalement, même si tout ne peut être dévoilé pour l’instant, nous allons investir en Haute-Savoie. Cela va permettre de passer de 500 000 paires après l’extension d’ASF à 1,5 million de paires sur deux sites français dans les deux ans. Le Portugal viendra une année plus tard, pour produire 1,5 million de paires supplémentaires, nous avons entamé les premières démarches. Avec 3 millions de paires en Europe sur la chaussure de sport de qualité, Puma devrait nous rejoindre, nous serons un acteur de poids en Europe. Le marché américain n’est pas oublié, mais j’écoute la voix de la raison. Il faut aussi relativiser, Nike vend 1 milliard de paires par an.

Tous les feux sont au vert ?

Ce projet fait sens pour plusieurs raisons. D’abord, les marques ont besoin de limiter leur dépendance à l’Asie, y compris dans le footwear. Le business de la chaussure, du vélo et des micro-conducteurs en Asie est détenu par Taiwan, dont la situation géopolitique est compliquée. Le second élément est que les jeunes générations regardent les étiquettes, la provenance, contrairement à la génération précédente préoccupée par la maximisation des Ebitda.

Si l’on ajoute à cela les questions de transport, les risques de pandémie, il devient indispensable de se positionner en local quel que soit le marché. En France, nous fabriquons notre tissu breveté Matryx à côté d’ASF 4.0. Depuis cette année, nous avons une usine au Vietnam pour approvisionner les usines asiatiques en tissu Matryx, ce qui permet d’améliorer notablement les processus de décarbonation. Notre projet est en pleine cohérence avec les valeurs du groupe, l’Humain, l’Innovation, la Performance et l’Éco-responsabilité.

Êtes-vous loin des coûts asiatiques ?

Nous allons nous rapprocher du coût asiatique dès que nos quantités vont augmenter, donc bientôt. De plus, l’inflation européenne se situe entre 4 et 8%, en Asie, elle est au minimum de 15%. En toute logique, les courbes vont se croiser.

Propos recueillis par Anne Florin


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