La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
Pour faire suite à ma dernière chronique, il me faut développer quelques réflexions sur les chances de voir le pays se relancer économiquement. La situation est grave, et les solutions sont d’autant plus compliquées à trouver qu’elles sont contenues dans l’affirmation : les élites ont failli.
Il ne reste plus, comme depuis la nuit des temps, qu’à compter sur soi-même et sur les citoyens engagés, ceux qui créent. Le travail personnel est le fondement de l’identité individuelle. L’État doit, par application des termes du Contrat Social, offrir aux citoyens les conditions de leur sécurité et les protéger. C’est le rôle des missions régaliennes que l’exécutif, le Parlement et les différents ministères doivent mettre en œuvre, mais le devenir de la société, dans le cadre des lois qui la régissent, doit émaner de la volonté individuelle, de l’entreprise individuelle, le mot « entreprise » étant pris ici au sens étymologique le plus large.
Il existe des valeurs fondamentales, comme les principes généraux du droit ou comme les vertus fondamentales de la République, si bien résumées dans la devise républicaine. Mais il est également nécessaire que le citoyen assume de son côté un rôle actif et non attentif dans le développement harmonieux de notre démocratie, de ses valeurs spirituelles et de ses richesses, culturelles, industrielles et financières.
Les valeurs fondamentales de notre Nation
Il faut vraiment rappeler ce que sont les valeurs fondamentales de notre société ! Je devrais dire de notre Nation ! Et j’ai bien conscience que l’on peut facilement verser dans la caricature, en parlant des « gens », des « politiques » ou de « l’État ». C’est d’ailleurs ainsi que les journalistes ou les politiques eux-mêmes s’expriment dans le débat public.
Mais c’est malheureusement une réalité, une frange non négligeable des citoyens, tous corps confondus, ne tient pas son rôle dans le fonctionnement normal de la société, les citoyens sans doute, les élites c’est certain, et tous ceux qui parlent à tort et à travers des droits et des devoirs de l’homme qui vit en société. La démocratie, c’est un système imparfait, mais c’est le seul supportable que l’on connaisse, et ce n’est pas moi qui le dis, d’autres l’on fait bien mieux, Churchill par exemple qui disait « La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres », ou selon la formule de Lincoln qui affirmait l’importance du « gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple ».
Le contrat social
On se trompe souvent sur la signification exacte du Contrat Social qui organise le fonctionnement des démocraties occidentales, et tout particulièrement la France, et régit les rapports des citoyens avec ceux qui les gouvernent.
Le principe fondamental du Contrat Social, c’est que le citoyen accepte d’abandonner une partie de sa liberté entre les mains du pouvoir central, sous condition qu’il obtienne en contrepartie la sécurité. La sécurité, pris dans son acception la plus large concerne, la propriété et l’intégrité physique.
J’accepte de perdre une partie de mes libertés individuelles, dans le respect des lois qui limitent fatalement mes initiatives et mes volontés personnelles, et j’obtiens en échange que l’on me protège des autres citoyens qui voudraient s’en prendre à mes biens ou à ma personne.
A cela se rajoute les acquis sociaux obtenus au fil des siècles pour garantir la couverture sociale, l’aide aux plus démunis, l’accès aux soins, à l’éducation, aux congés, aux loisirs etc.
Et donc, il faut en déduire que, pour le reste, l’État, qui a connu une époque où il était qualifié d’État providence, n’est pas tenu d’assurer, avec ou sans contrepartie, un salaire et un toit à tous les citoyens qui l’exigeraient. Chaque individu est responsable de lui-même, de ses actes et de son devenir. Pour vivre dignement dans un pays où règne l’économie de marché, libre à lui de trouver un emploi, d’obtenir une rémunération et d’utiliser ses revenus pour financer librement son train de vie.
C’est donc une erreur assez communément répandue chez certains de nos compatriotes de croire que « l’État nous doit tout ».
Appartenir à un groupe telle qu’une Nation, impose des règles que les citoyens doivent respecter, ce sont les lois. Celles-ci créent des droits mais aussi des obligations. Rien ne se fait à sens unique. Aux droits dont on dispose correspondent des devoirs qui s’imposent à nous. Cela sous-entend que l’État est là pour permettre aux citoyens de s’exprimer dans un monde de libertés mais aussi de contraintes. L’État n’est donc pas là pour tout faire à la place de l’individu.
Le travail et la création de valeurs
Le bonheur ou l’épanouissement de chaque citoyen, et de ceux qui l’entourent dépend d’abord de son engagement personnel, et comme son identité qui tient à son implication dans le groupe, son identité tient au travail qu’il fournit, sans doute pour se procurer des moyens d’existence, pour se trouver un toit, pour protéger les siens et notamment ses enfants, mais aussi pour contribuer à la richesse nationale.
Car, quoi qu’on en dise, la richesse nationale, la qualité des services que l’on est en droit d’attendre de l’État, dépend directement du travail de chacun et de la part prise dans le fonctionnement de la Nation par chaque individu. Les citoyens sont, on le sait, très nombreux à penser qu’on « leur doit tout », « qu’ils y ont droit », « qu’on le leur doit », etc.
Il y a trop souvent une confusion dans les esprits, les citoyens ne comprennent pas tous que la richesse de la Nation dépend avant tout de leur travail et de leur implication dans un mouvement global, et qu’il s’agit d’une grande chaîne d’union.
Il y a une sorte de dislocation de la compréhension. On travaille pour soi, pour les siens, pour son confort personnel, et on paye des impôts (ou pas selon les cas). Et puis on attend que la manne de l’État retombe comme un miracle pour rendre le quotidien plus supportable. Il est vrai que le jacobinisme français et l’accumulation de lois et de règlementation a tendance à laisser croire aux citoyens que « tout est prévu » et qu’ils n’ont qu’à demander pour être servis ou même qu’ils peuvent se servir eux-mêmes.
De plus, l’évolution du comportement des politiques (au moins d’une partie d’entre eux) contribuent à laisser croire aux citoyens qu’ils peuvent prendre exemple sur les plus mauvais d’entre eux et « profiter du système ».
Ils veulent le beurre et l’argent du beurre… vaste sujet qui, sous couvert d’une formule familière, décrit comment certains de nos concitoyens, quels que soient leurs rangs et leurs rôles, entendent profiter du système, accaparant tous les droits et les avantages et ne contribuant que très à la marge à l’essor général.
Il faut redéfinir le rôle de l’élu
Les politiques (et notamment les élus) sont, d’une façon générale, titulaires de charges et ont des missions à assurer, voire à assumer. Au tout début de l’histoire, lors de la création d’une structure, que ce soit une famille, une entreprise ou une démocratie, chacun s’investit dans le rôle qui lui échoit, avec conviction, avec un engagement moral qui se traduit par la satisfaction du bien commun. L’histoire des civilisations regorge d’exemples de ce type. S’engager pour les siens, pour son entreprise ou pour son peuple, ce n’est pas un métier, mais une mission. C’est après que les choses changent !
Comme je viens de l’écrire en employant le mot « missions », je sous-entends qu’entrer en politique, ce ne devrait pas être « se trouver un métier ». On fait tout autre chose, mais on consacre une partie de son temps à la chose publique. Malgré tout, il arrive que les charges d’une mission nécessitent que l’on fasse des choix, quitte à abandonner une profession d’origine, éventuellement avant d’y revenir plus tard, une fois la mission réalisée. Mais aujourd’hui, on voit bien que pour certains politiques, leur mission est devenue un simple « métier » comme un autre. Et dans de nombreux cas, et finalement dans de très nombreux cas, nous élisons des personnes qui n’ont pas d’autres métiers que la « chose publique ».
Je n’oserais pas dire qu’ils ne savent rien faire d’autres, mais il est bien connu que certains de nos élus n’ont jamais travaillé, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas exercé un métier opérationnel. Lorsqu’ils ont suivi une formation, c’est le plus souvent un cursus administratif. Mais ils sont le plus souvent issus du « sérail », de l’appareil politique et du parti dans lequel ils ont milité très tôt. Les « appareils » forment de futurs élus qui, à défaut d’avoir eu une activité professionnelle classique, ne connaissent pas grand-chose de « la vraie vie », celle du monde des entreprises, ou celle des salariés et des employés. Ce sont des professionnels de la politique qui gagnent leur vie par une certaine capacité à discourir sur des thèmes qu’ils ne maîtrisent pas forcément. La preuve en est qu’après les élections, certains élus non renouvelés dans leurs fonctions par les électeurs sont à la peine pour retrouver un « gagne-pain », et réintègrent les appareils politiques.
Et donc, si l’on suit bien mon raisonnement, les missions sur lesquelles un citoyen s’est engagé à servir le pays dans le cadre d’un engagement politique, les postes obtenus par l’élection (dont je rappelle que le principe est qu’elle ne se fait que pour une durée limitée), ou par le copinage au sein de l’organisation ou le parti politique auquel on appartient, il n’y a aucune raison que cela devienne des « rentes de situation ». Les élus sont au service du peuple et non l’inverse. Ils ne sont élus « à vie » et on ne leur doit donc pas une sorte de subside le jour où ils perdent la confiance de leurs électeurs.
Ce point étant précisé, il faut également revenir sur les avantages importants qui sont consentis aux élus de la République, à quelque niveau que ce soit, depuis la gestion d’une commune jusqu’à celle de l’État, entre les salaires, les budgets destinés à rétribuer des collaborateurs ou à couvrir les frais de représentation, et cela, du temps de l’exercice du mandat ou postérieurement à la fin de celui-ci.
De nombreuses enquêtes, notamment parlementaires, ont démontré que l’État coûtait cher à la Nation de par son seul fonctionnement. Assez hypocritement, on essaie souvent de faire croire à l’opinion publique que ce sont les millions de fonctionnaires qui coûtent cher, et les citoyens le croient souvent sans voir qu’ils sont trompés. L’État n’existe que par le travail et la création de valeur ajoutée des fonctionnaires. Posons la question : qui travaille ? Les enseignants et toutes les administrations des établissements scolaires et universitaires, les médecins, les infirmières et les aides-soignants, ainsi que toute la structure des services de santé, la police, la gendarmerie et les services judiciaires pour assurer la sécurité de nos concitoyens.
La liste est très longue de tous les secteurs où c’est le travail des fonctionnaires anonymes qui fait « tourner » la machine étatique et facilitent la vie des citoyens. Il est important de se rendre compte de l’importance de l’action de ceux qui, dans les ministères, font que cela fonctionne. Les « services » fournis par l’état, je le répète, dans les secteurs de la santé, de l’éducation et la de sécurité, mais aussi dans la défense de l’environnement, le secteur agricole, le monde de la culture, sont mis à disposition des citoyens par des « fonctionnaires » qui disposent de moyens limités et sont souvent épuisés à face de faire face à toutes leurs missions. Contrairement à des idées reçues, les ministres donnent des orientations générales, mais ce sont les fonctionnaires des ministères qui œuvrent, pas les cabinets des ministres, organes souvent peu utiles et disposant d’effectifs pléthoriques dont les membres sont payés sur des budgets annexes à des niveaux de rémunération déroutants.
L’État doit donc réduire ses dépenses et considérablement réduire son personnel « politique » dont la valeur ajoutée n’est pas prouvée.
On ne peut donc pas compter sur cette catégorie de citoyens pour valoriser les richesses du pays. Au moins, peut-on être assurés qu’ils contribueront à capter un maximum d’avantages personnels sans apporter en retour, une contribution à la hauteur de ce qu’ils coûtent.
Recréer de la richesse nationale
Le reste de cette mission se trouve entre les mains de ceux qui ont l’esprit d’entreprise chevillée au corps, de ceux qui ont le travail comme principe vital essentiel, comme valeur centrale de l’existence, comme unique raison d’être.
Bien évidemment, le mode de communication du monde politique va être de prouver que l’État peut tout et que l’exécutif, secondé par le législatif, va mettre tout en œuvre pour relancer l’économie du pays. Les électeurs du pays ont la mémoire courte, ou bien ils espèrent toujours des lendemains qui chantent, alors que leurs espoirs ont été maintes et maintes fois douchés. Tout le monde sait depuis le début de la 5ème République qu’à de très rares exceptions, la politique est tenue dans la main du financier. A titre d’exemple, aucune réforme n’a jamais contraint les grandes entreprises à agir ou à s’abstenir. Seuls comptent les profits que se partageront les actionnaires et aucun gouvernement n’a jamais pu empêcher la fermeture ou le dépeçage d’une usine.
On annonce ces derniers jours la renationalisation d’EDF. Il n’aurait jamais fallu privatiser un tel secteur régalien aussi important pour la vie des Français. Les tarifs de l’EDF/GDF d’autrefois était fondés sur la théorie du coût marginal. Si un tel projet, opportun je dois le dire, se faisait, on imagine aisément la lutte qu’il faudra engager avec les actionnaires actuels du groupe !
On sait que la politique économique que le gouvernement voudra mettre en place se heurtera à plusieurs contraintes, les moyens financiers du pays, la résistance des lobbies et l’implication de nombreuses volontés hégémoniques étrangères.
Les contraintes
Car si c’est l’État qui entend relancer l’activité du pays, le projet se heurte, en tout premier lieu à la question de son financement ! Oui, il est possible de réaliser les objectifs du plan « France 2030 », mais avec quels investissements ? Si l’on tient compte des récentes déclarations de Bruno Le Maire, du fait que la dette publique se trouve aujourd’hui à un niveau exceptionnellement haut et que la charge des intérêts de la dette ne fait qu’augmenter avec des taux d’intérêt qui ont cessé d’être négatifs, où va-t-on trouver les financements nécessaires.
Autrement dit, qui va racheter notre dette ?
Comme je le crains, ce sont les pays aux moyens excédentaires, la Chine, ou les pays du Moyen-Orient, déjà très implantés sur notre sol, qui envisagent d’acquérir des pans entiers de notre patrimoine, qu’il soit agricole, industriel ou culturel.
J’ai proposé, en conclusion de ma dernière chronique, une solution globale associant une contribution des Français les plus riches aux financements nécessaires et au rachat de la dette, au lancement d’un emprunt d’État dont l’accès serait réservé aux seuls citoyens français. Mais j’ai également affirmé qu’il convenait d’accompagner cette solution d’une baisse des dépenses publiques, et tout particulièrement celles des prébendes politiques !
Il est également nécessaire, il faut désormais s’en donner les moyens, mettre un terme à différentes dérives, par exemple en luttant contre les nombreuses différentes fraudes financières ou fiscales, ce qui permettrait sans doute de financer plus aisément notre relance. A titre d’exemple, précisons que la fraude à la TVA, cela représente plus de 20 milliards d’euros par an… Mais au-delà de la course contre les fraudes de toute nature, il faut avoir conscience que le challenge pour tenter de relever notre pays, chroniquement déficitaire, ce sera de réduire une dette de plus de 2.900 milliards d’euros. Et pour un tel objectif, il faudra pouvoir compter sur les forces vives de la Nation. Mais, à ceux seuls, les entrepreneurs français ne peuvent pas tout. Ils ont besoin d’employés. On sait qu’il existe près de trois millions d’emplois qui ne sont pas pourvus, par exemple dans l’artisanat, le bâtiment et la restauration. Mais, curieusement, c’est aussi le cas pour les métiers de la Santé !
Les mentalités
Pour rester dans une description un peu caricaturale des Français, on sent bien que depuis le début de la 5ème République, et tout particulièrement depuis les années 90, l’état d’esprit de nos concitoyens a considérablement évolué.
Les formations, il faut l’affirmer avec force, ne sont plus ce qu’elles ont été. Vouloir emmener 95 % d’une classe d’âge au baccalauréat est une absurdité, car les capacités intellectuelles n’étant pas touchées par le principe de l’égalité, c’est en revanche l’égalitarisme qui va triompher et qui s’accompagnera d’une baisse de qualité, disons-le, d’un nivellement par le bas. Et tout cela s’accompagne généralement d’une série d’exigences, vouloir des emplois auxquels on n’est pas formé, dans une zone géographique précise et des rémunérations de personnels qualifiés pour des apprentis à peine compétents.
L’état d’esprit d’une assez grande frange des candidats à un emploi a considérablement évolué depuis au moins trente ans. Ils ont notamment des exigences personnelles (salaires, responsabilités, organisation de vie, etc.) souvent inconciliables avec les contraintes de l’entreprise, mais ils ont surtout un état d’esprit très indépendant. Ils considèrent souvent que leur plaisir passe avant les contraintes de travail. Ils veulent « profiter de la vie », travailler juste ce qu’il faut pour payer leurs charges et consacrer leur temps libre à leurs jardins secrets. Enfin, quand je dis « secrets » ce n’est qu’un faible mot. Pour certaines des plus jeunes générations, la vie est comme un jeu vidéo et l’organisation de leur monde comme celle des réseaux sociaux, avec toute sa simplicité et toute sa duplicité. Le monde est le creuset d’un vaste complot entretenu par des millions d’individus qui ont perdu toute notion des valeurs fondamentales, et de la force des héritages culturels hérités de leur histoire personnelle.
Ils sont en perpétuel « grand écart » entre le petit « village » où ils vivent (maison, famille, commerces, bars et restaurants) et le monde immense et multiculturel d’internet. Et quand on parle de multiculturalisme, on semble avoir tout dit, sans se rendre compte à quel point la connaissance de cette multiculture est superficielle, méconnue et approximative.
La question du chômage se pose. Quand on veut relancer l’activité économique d’un pays, il faut des « bras », des travailleurs motivés. Or le constat est sans appel, plus d’un million d’offres d’emplois ne trouvent pas preneur, à tous les niveaux de qualification, soyons clairs, pas seulement dans les secteurs les moins attirants. On sait que les commerçants ne trouvent pas facilement d’employés.
Il en est de même dans le bâtiment, qui n’ a jamais été aussi actif, avec de nombreux programmes neufs, par exemple sur le périmètre du Grand Paris, mais aussi pour répondre aux importantes demandes en matière d’isolation, dans le cadre de la double lutte contre le réchauffement climatique et pour économiser les énergies.
C’est le cas également dans l’hôtellerie et la restauration qui, à l’entrée de l’été et dans un contexte de redémarrage de l’activité sont en grande difficulté pour recruter des employés qui acceptent les contraintes et les horaires si particuliers de la profession. Là aussi, une question d’évolution des mentalités, tout particulièrement dans cette tranche d’âge des jeunes entre vingt et trente ans qui ont souvent décidé de privilégier leur espace de vie personnel.
Les entreprises ne trouvent plus de candidats à embaucher, les jeunes diplômés réclament que l’on donne du sens à leur travail (sans le chercher par eux-mêmes), ils veulent disposer de plus de temps pour se consacrer à leur vie personnelle, et les cadres rêvent de congés sabbatiques et de retraite précoce !
On croit rêver, on manque de médecins ! Dans les années 70, on n’avait, disait-on, trop de candidats dans la filière « médecine », il y avait des numerus clausus pour l’installation des jeunes diplômés qui venaient de faire 12 ans d’études à tout le moins sans avoir l’espoir d’ouvrir ou de reprendre un cabinet ! Aujourd’hui, les hôpitaux sont amenés, vu leurs difficultés, à recruter des praticiens de pays étrangers, en général tout à fait compétents mais formés en Europe de l’Est ou dans le Maghreb alors que la France dispose d’un cursus de formation plus que réputé !
Il faut entendre le discours que tiennent certaines jeunes générations. Pour ceux qui travaillent depuis près de quarante ans et souvent depuis cinquante ans, le choc est brutal ! Ils disent ne plus vouloir « travailler en quantité » mais « en qualité ». Cela pourrait se comprendre par un souci d’améliorer le rapport au travail, mais ce n’est pas suffisant ! Pourquoi ? Parce que le vieillissement de la population entraine fondamentalement un déséquilibre entre les actifs et les non actifs. 26 millions de Français (dont 7 de fonctionnaires) qui travaillent et donc qui contribuent à la création de valeur (la participation des fonctionnaires à la mise à disposition de services gratuits est aussi créatrice de valeur) pour une population de près de 70 millions d’habitants, cela donne un ratio de pratiquement 1 sur 3 ! Le déséquilibre est patent ! Un tiers de la population française doit créer de la valeur pour l’ensemble national, et notamment supporter le poids financier des retraites.
Les jeunes générations semblent en « vouloir » aux baby-boomers qu’ils accusent d’avoir « trusté » les bonnes années et les belles places. À cela près, que ces soi-disant privilégiés nés dans les années 1945-1955 avaient une mentalité de travailleurs ! Pendant les étés de leur adolescence, les baby-boomers travaillaient pour se faire de l’argent de poche, et apprenaient ainsi que « tout salaire mérite travail » (formule volontairement inversée pour mieux comprendre que l’on ne vit pas de subsides et d’aides, mais des fruits de son travail. Toute rétribution doit être liée à un effort ! Aujourd’hui, les jeunes sembleraient préférer les vacances !
La perte de confiance dans la démocratie
Les enfants du baby-boom de l’après-guerre sont maintenant retraités et ils regardent avec stupeur comment leur pays a évolué en 70 ans, avec la perte de leurs « fondamentaux » ! Que sont devenues les valeurs qui les avaient mobilisés durant des décennies ? Le goût du travail, et surtout du travail bien fait, les valeurs traditionnelles perdues, le sens de l’engagement, l’esprit civique et tant d’autres motivations !
Les Français sont-ils donc désormais fâchés avec le travail ? Les périodes de confinement dues au Covid-19 ont accéléré la tendance. Les sondages le montrent clairement : de nombreux jeunes Français ont décidé de rompre avec le rythme de travail traditionnel. Ils quittent leurs emplois, exigent de s’installer à domicile pour ne plus travailler en présentiel mais via des organisations nouvelles de télétravail.
Ils boudent les offres d’emploi. Comme l’a imaginé le sociologue Jean Viard, les Français cherchent un nouvel art de vivre, car ils pensent que leur travail n’a pas (ou plus) de sens. Alors ils s’en vont, comme je le disais, sur Internet, sur les réseaux sociaux, cette simili existence proposée à des gens devenus quasiment analphabètes.
On a parlé du beurre et de l’argent du beurre !
Dans ce pays où les élites ont failli, où une partie des dirigeants d’entreprises font fructifier leur argent au détriment de la valeur « travail », où les politiques ont fait de leurs engagements un emploi à vie très rémunérateur, où une partie de la jeunesse se consacre aux jeux vidéo et à la non-culture du web, le navire économique de notre pays prend l’eau et s’en va emporté par les crues sous des averses de grêle, juste avant que les incendies et la sécheresse ne saccagent ce qui reste. Prenons exemple sur le Japon, un pays qui s’est toujours relevé des multiples drames qu’il a connu, par exemple de la guerre, de la terreur atomique ou des catastrophes naturelles qui ont pu la terrasser un temps, grâce à la solidarité nationale et grâce au… travail de ses citoyens !
Car nous vivons un monde totalement déconcertant par la capacité de la nature à nous faire supporter le poids de nos excès passés. On peut ainsi passer en quelques jours des inondations à la sécheresse, de la mort par noyade à la mort par la soif.
En tout état de cause, lorsque défilent des hordes de manifestants, les uns luttant pour leurs profits et leurs prébendes, les autres luttant pour une vie plus « cool », en hurlant « on veut le beurre et l’argent du beurre » ! On se demande ce qu’il adviendra de la crémière ? Celle-ci, dégoûtée, cessera de fabriquer le beurre tant demandé. À quoi bon ! Elle représente Marianne, désabusée, qui baisse les bras devant le spectacle d’une Nation qui a perdu l’esprit.
Bernard Chaussegros