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Plateformes numériques : l’Union européenne attente à la liberté du travail

Le nombre d’emplois créé par les plateformes numériques est très significatif. Elles offrent des services de toutes sortes en faisant intervenir des travailleurs généralement indépendants pour assurer des prestations de chauffeur, de livraison, de travaux à domicile, de micro tâches dématérialisées…

Entreprendre - Plateformes numériques : l’Union européenne attente à la liberté du travail

Bien qu’il ne soit pas aisé de le quantifier, l’emploi indépendant généré par les plateformes est en forte croissance, estimée à plus de 7% par an, et pourrait représenter près de 350 000 équivalents temps plein en 2025 en France. Au sein de l’UE, environ 43 millions de personnes devraient travailler par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs plateformes de travail numériques en 2025.

Ces plateformes ont été un vecteur de l’innovation et de la croissance au moment où certains redoutaient que la montée en puissance du numérique réduise sensiblement l’emploi. Elles ont offert de nouvelles formes de travail correspondant mieux aux attentes des jeunes et à leur besoin de liberté d’organisation de leur emploi du temps. Ainsi, elles ont permis notamment à des jeunes de banlieues d’avoir accès à un emploi et de s’y trouver bien, d’acquérir spontanément et pour les besoins de leur mission la rigueur qui ne leur avait été apprise ni à l’école ni à la maison. Elles leur ont également appris la responsabilité puisque ces nouveaux emplois exercés à titre indépendants obligent leurs titulaires à souscrire eux-mêmes et payer leurs assurances sociales plutôt que de laisser un employeur le faire pour eux.

Mais des élus et fonctionnaires européens peinent à imaginer que certains travailleurs veuillent être indépendants, se prendre en charge, gérer leur temps et leurs revenus. Il fallait à tout prix qu’ils viennent à leur secours car si ces travailleurs restaient indépendants, c’était forcément parce qu’ils étaient trompés et exploités. Les syndicats ont fait pression de leur côté car des travailleurs indépendants sont plus difficiles à enrôler, à manipuler. L’UE a donc décidé de s’ingérer dans les relations contractuelles entre les plateformes et leurs collaborateurs pour que ceux-ci soient requalifiés en salariés presque automatiquement.

Le 9 décembre 2021, la Commission européenne a donc présenté une proposition relative à de nouvelles règles sur le travail via une plateforme. Depuis, les négociations ont avancé sur un projet de directive selon lequel les travailleurs seront légalement présumés être des salariés d’une plateforme numérique (et non des travailleurs indépendants) si leur relation avec cette plateforme remplit des indicateurs tels que l’existence de certains contrôles sur leur rémunération, leur organisation, leur tenue ou leur conduite, leurs conditions de travail, leurs affectations, la supervision de l’exécution de leur travail…

Il sera généralement difficile aux plateformes de ne pas remplir certains de ces critères car pour que le système fonctionne, le client doit disposer d’un service standardisé, organisé, tarifé, sécurisé. Les travailleurs des plateformes sont indépendants, mais ils savent aussi que la plateforme leur apporte une clientèle qu’ils n’auraient pas sans elle et ils acceptent donc des règles communes pour assurer une activité suffisamment normée pour être qualitative et attractive, commercialisable à grande échelle, ce qui fait le succès de ces nouveaux services. Cette soumission à des normes communes est courante et de nombreux artisans ou petits et grands entrepreneurs y sont soumis lorsqu’ils travaillent en sous-traitance.  Ceux-ci n’en sont pas pour autant considérés comme des salariés parce qu’ils restent directement responsables de leur travail comme le sont les infirmières libérales et les médecins, les avocats… et tous les autres professionnels libéraux même quand ils travaillent avec les plateformes que représentent pour eux par exemple les cabinets groupés ou les cliniques.

D’ailleurs, la plupart des chauffeurs de VTC ne veulent pas être salariés ainsi qu’en témoigne une lettre des principales associations de chauffeurs VTC en France, Portugal et Lituanie qui clament qu’ils veulent rester indépendants. Ils sont satisfaits et parfois fiers d’être leur propre patron. Ils sont incités au travail et sont contents de travailler en sachant que chaque course représente pour eux un gain direct, palpable, immédiat. Ils veulent eux-mêmes être contrôlés le moins possibles et ils n’ont pas besoin de l’Union européenne pour nouer des accords avec leurs plateformes. En France, un cadre de dialogue social entre chauffeurs et plateformes a été institué sous l’égide de l’ARPE. Il porte ses fruits puisque des accords ont été signés ces derniers mois pour fixer un revenu minimum net par course à 9€ (les taxis sont à 8€) et un revenu minimum net horaire des chauffeurs de 30€.

En obligeant, de fait, les travailleurs indépendants à devenir salaries, l’UE attenterait à la liberté du travail et à la liberté contractuelle. En outre elle appauvrirait le tissu économique qui se nourrit de la créativité que favorise la liberté du travail.

L’UE se vante d’être le premier législateur au monde à tenter de proposer des règles spécifiques pour les plateformes de travail numériques. Elle pourrait en être le premier fossoyeur. A l’imitation de la France, l’Europe taxe tout ce qui bouge et ce qui bouge encore elle le réglemente. Elle s’étonne ensuite que les GAFA poussent ailleurs !

Jean-Philippe Delsol
Avocat, président de l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales, IREF


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