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Marc Sanchez (SDI) : « Les TPE se trouvent en état d’urgence économique »

Entreprendre - Marc Sanchez (SDI) : « Les TPE se trouvent en état d’urgence économique »

Pour le secrétaire général du Syndicat des Indépendants (SDI), les TPE, poumon économique du pays, se trouvent dans une situation critique. « Nous n’attendons pas des mesures de mise sous perfusion des entreprises, mais davantage de visibilité dans la relance », prévient-il.

La situation des TPE est-elle inquiétante ?

Pour les entreprises de moins de dix salariés, on a constaté dans notre enquête de mars une baisse de chiffre d’affaires — en dehors des secteurs S1 et S1 bis qui ont été fermés (hôtels, cafés, restaurants) — allant de 20 à 40 % sur l’ensemble de l’année 2020. Avec un redémarrage en 2021 dans le même ordre de grandeur…

Quand vous réalisez 60-70 % de votre chiffre d’affaires et que cette perte devient récurrente, et plus seulement occasionnelle, des problématiques de viabilité de l’entreprise apparaissent. La situation du dirigeant se dégrade également : beaucoup d’entre eux ont fait le choix de limiter les premières dépenses limitables, c’est-à-dire leur rémunération, et ne se sont pas payés pendant 3 à 4 mois. Certains continuent encore aujourd’hui.

En raison de la situation sanitaire, les TPE, notamment celles qui reçoivent du public (commerçants, artisans…), se trouvent dans un état d’urgence économique. Elles ont été victimes de mesures sanitaires très négatives, notamment le couvre-feu à 18h qui a fait d’énormes dégâts dans des secteurs qui avaient été plus ou moins préservés auparavant — les métiers de bouche, par exemple — qui réalisaient entre 10 et 20 % de leur CA journalier entre 18 et 20h.

« Les dispositifs d’aides aux entreprises sont jugés technocratiques par beaucoup de dirigeants »

Les mesures prises par le gouvernement étaient-elles suffisantes ?

Les dispositifs étatiques mis en place à travers le fonds de solidarité ont été plutôt loués au départ de la crise. Mais même s’ils ont désormais un rayonnement plus large et touchent plus d’entreprises, ils restent complexes à mettre en place. Ils sont jugés technocratiques par beaucoup de dirigeants. Certaines entreprises attendent encore les versements du fonds de solidarité de décembre ou janvier… Ce temps d’attente est souvent trop long lorsque vous faites face à des charges sociales, fiscales ou d’exploitation que vous devez payer de façon immédiate. C’est particulièrement le cas dans des secteurs d’activité nécessitant d’importants besoins en trésorerie pour renouveler les stocks (habillement, équipement de la maison…).

Craignez-vous une vague de faillites dans les mois et années à venir ?

Nous risquons en effet de voir apparaître des problématiques de cessations d’activité amplifiées entre 2021 et 2023. Certaines entreprises vont perdurer dans leur volonté de continuer alors qu’elles n’ont plus les ressorts pour pouvoir le faire. Parfois, des entreprises sont maintenues en vie grâce aux perfusions des dispositifs publics (PGE, fonds de solidarité…). En général, ces entreprises avaient déjà des situations économiques difficiles avant la crise Covid.

Toutes nos études montrent que cette crise provoquera beaucoup de faillites. Ce phénomène sera progressif, elles n’arriveront pas toutes en même temps. Mais à partir du moment où on stoppera les mécanismes d’aide aux entreprises, 2021 risque d’être une année compliquée. 2022 le sera davantage : à partir du moment où la « perfusion » sera retirée, les entreprises vont se retrouver avec des charges constantes cumulées, des problématiques d’apurement du « mur de dettes » (loyer, charges fiscales et sociales, remboursement de PGE…), etc.

Ce qui pose beaucoup de problèmes aux dirigeants, c’est le manque de perspectives pour appréhender sereinement la relance. Durant nos réunions de travail avec le gouvernement, nous prônons des perspectives restructurantes pour permette aux chefs d’entreprise qui le peuvent encore, voire qui le veulent encore, de pouvoir relancer leur activité. Je ne veux pas charger le gouvernement. J’ai conscience de la volonté du Président d’éviter les fermetures totales. Il n’empêche, on a parfois pu se demander si rester ouvert avait une utilité économique… Vous avez plus de charges à payer quand vous restez ouvert avec des chiffres d’affaires en berne plutôt qu’en fermant définitivement !

Les chefs d’entreprise sont donc dans l’attente… Que demandez-vous ?

Nous n’attendons pas des mesures de mise sous perfusion des entreprises, mais davantage de visibilité dans la relance. On demande à ce que chaque dirigeant ait la possibilité de faire un audit de sortie de crise de son entreprise pour qu’il sache où il en est, ce qui lui permettrait de mieux appréhender les dispositifs auxquels il va faire appel.

On peut également évoquer la question de la réglementation du remboursement du PGE. Nous avons formulé une proposition : pouvoir isoler la dette du PGE (la « dette Covid ») : ce n’est pas une dette économique, c’est une dette subie. Même si vous décalez d’un ou deux ans son remboursement, cette dette existera quand même dans le bilan. Et elle restera quoi qu’il arrive dans le passif de votre entreprise et dégradera votre notation Banque de France, ce limitera vos investissements futurs…

Isoler cette dette permettrait de l’apurer sur un temps plus long. Les entreprises allemandes ont obtenu gain de cause sur ce sujet. N’oublions pas que les PGE ont essentiellement servi à payer des dettes et à maintenir en vie une activité. Si on laisse un temps plus long et qu’on empêche que cette dette affecte le résultat économique des entreprises, cela donnera des perspectives aux dirigeants.

« Les TPE, ce sont 98 % des entreprises françaises. Elles représentent 4 millions d’emplois en CDI »

Les TPE sont-elles les grandes oubliées de cette crise ?

Je serai malhonnête si je disais que nos revendications ne sont pas entendues au niveau gouvernementale. On a toujours été écouté au niveau d’Alain Griset (ministre délégué aux PME — ndlr) ou de Bruno Le Maire (ministre de l’Économie — ndlr). Par contre, le dispositif de mise en place a parfois été complexe. Certains processus technocratiques ont posé souci, notamment quand on a voulu donner accès au fonds de solidarité par code APE (code permettant d’identifier le secteur d’activité principal d’une entreprise — ndlr). Ce qu’on attend, comme je le disais auparavant, ce sont des perspectives.

Le dispositif est-il trop technocratique ou bureaucratique ?

C’est le sentiment de nos adhérents. Pour les entreprises fermées, les aides de l’État fonctionnent très bien. Le souci concerne celles qui ont subi des pertes de chiffre d’affaires cumulées. Dans ce cas-là, aucun dispositif ne vient vous soutenir. Vous devez rester ouvert et vous continuez à régler toutes vos charges : salariés, stocks, loyer, encours bancaire…

Pourquoi doit-on, selon vous, se soucier de l’avenir des TPE ?

Les TPE, ce sont 98 % des entreprises françaises. Elles représentent 4 millions d’emplois en CDI et 2,1 millions d’entrepreneurs qui ont une entreprise de moins de 10 salariés. C’est 30 % du PIB de ce pays. C’est une économie de proximité qui crée du lien social. Cela permet de réduire les intermédiaires dans les réseaux de distribution. La proximité quand on est confiné, c’est important ! Les TPE forment nos jeunes. Elles créent une plus-value sociale, fiscale et contribuent à l’emploi des jeunes. On ne peut pas se passer de ces entreprises.

Les TPE d’aujourd’hui sont les PME de demain. Il faut qu’elles aient la possibilité de grandir. Une PME ou une ETI a démarré en tant que TPE. Si vous coupez l’arbre au niveau du tronc, il ne repoussera pas. Voici pourquoi il est vital de permettre aux TPE de se relancer de manière efficace. La petite taille permet de bien rebondir. Ce qui a recréé de la vitalité économique après chaque déconfinement, ce sont les TPE, pas les entreprises du CAC 40.

Il est nécessaire qu’on ait des politiques publiques qui accompagnent les TPE. Soyons honnêtes, cela a globalement été le cas. Mais beaucoup d’entrepreneurs n’ont pas compris la distinction entre les catégories essentielles et non essentielles. Surtout quand toutes les études démontrent que les clusters ne se situent pas chez votre boucher ou votre boulanger. Mais ce sont ces entreprises qui ont été pénalisées.

« Les TPE d’aujourd’hui sont les PME de demain »

La digitalisation serait, aux dires de certains, la solution à tous les maux des TPE. Qu’en pensez-vous ?

Il faut savoir ce que l’on veut. La digitalisation représentera au maximum entre 10 et 20 % du CA d’une TPE. C’est à la marge. Cela permet de conserver un lien avec les clients, mais cela ne développe pas 100 % de votre CA. Une entreprise de proximité à vocation à créer du lien social et physique avec ses clients. Sinon, vous allez créer des centres-villes avec des devantures vides et vous commanderez tout sur Internet. Est-ce cela que les consommateurs désirent ? Certainement pas. La digitalisation est un outil, mais ce n’est pas la quadrature du cercle, ni pas la solution à la sortie de crise. C’est un peu présenté de cette façon.

La question est politique : a-t-on une vraie volonté politique de permettre aux TPE de se relancer ? Cela a un coût. Mais ce coût n’a pas été discuté pour les salariés à travers le chômage partiel, alors qu’il l’est pour les indépendants… Certains interlocuteurs au gouvernement nous ont expliqué que le fonds d’indemnisation ne pouvait pas intervenir pour une entreprise réalisant 70 % de son chiffre d’affaires. Je pose la question : pourquoi ? Comment pérenniser une entreprise dans ces conditions ? Une entreprise avec 70 % de son chiffre d’affaires est-elle durable ? Peut-elle se relancer et recréer des emplois ? Si les TPE ne perdurent pas, elles seront contraintes à court, moyen ou long terme de procéder à des licenciements.


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