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L’insoutenable légèreté de la charge mentale


Charge ou surcharge, cognitive ou émotionnelle, la question de la saturation de notre cerveau est un fléau auquel personne n'échappe...

Entreprendre - L’insoutenable légèreté de la charge mentale

Dirigeant surbooké, manager sursollicité, entrepreneur surmené, qui parmi nous prétendrait avoir trouvé la parade ? Retrouver du pouvoir d’agir passe certes par la mise en place d’outils concrets et pragmatiques. Mais il existe sûrement d’autres chemins pour envisager la charge différemment, et la vivre paradoxalement avec davantage de légèreté…!

La charge mentale une invention bien française ?

Peut-être bien… ! Car lorsqu’on interroge un manager outre-Atlantique, il ouvre en général de grands yeux et tente d’imaginer de quoi il s’agit, pour finalement résumer de manière laconique sa compréhension d’un sujet somme toute un peu « fumeux » à ses yeux : « Vous les français, vous n’êtes jamais contents ! ». Une pirouette un peu rapide pour évacuer un sujet de préoccupation réelle pour les neuroscientifiques aujourd’hui. Mais force est de constater que c’est bien en France que la question de la charge mentale a pris forme. Tout d’abord au travers des travaux de la sociologue Monique HAICAULT, qui soutenait en 1984 une thèse intitulée « La gestion ordinaire de la vie en deux », pour poser clairement le problématique de la superposition des vies professionnelles et familiales chez les ouvrières. Puis par l’entremise de la dessinatrice Emma, qui en 2017 enflammait les réseaux sociaux avec sa bande dessinée « Fallait demander… ! »

Et au-delà du sujet de la perméabilité entre vies professionnelle et personnelle, se pose pour nombre d’entre nous la question cruciale du débordement récurrent de notre charge professionnelle. Celle des mauvais jours et celle des « coups de chauffe », mais aussi celle du quotidien, avec la sensation d’un déséquilibre entre les contraintes et les ressources, symptomatique du stress dans sa définition première. Peut-être devrions-nous alors plutôt envisager la question en termes de « surcharge mentale », et accueillir la question de la « charge » comme une donnée inhérente à nos vies contemporaines, et qu’il s’agirait davantage d’accepter comme le challenge de chaque jour, et d’accueillir comme une énigme à résoudre, chacun avec nos moyens…

Surcharge mentale : un défi quotidien à apprivoiser

Car force est de constater que nous ne sommes pas tous également sensibles à cette question du poids des choses qui s’imposent à nous. Au-delà de la réalité factuelle des tâches qui nous incombent, la charge mentale tient en grande partie à la représentation que nous entretenons de la réalité : celle des tâches en question, des enjeux qui y ont associés, et surtout de nous-mêmes dans notre mission à les réaliser. La propension « typiquement française » à dramatiser les choses en entretenant une vision parfois catastrophiste des situations semble nous exposer davantage à la charge mentale que les ressortissants d’autres cultures… Et se voir lucidement nourrir cette représentation de soi, victime malheureuse de la charge mentale, permet sûrement déjà d’alléger en partie cette dernière…

Les neurosciences cognitives apportent également un précieux éclairage, en nous invitant à cultiver une attention dédiée au moment présent et à la tâche qui nous occupe. C’est bien l’objet de l’orientation attentionnelle que préconise Jean-Philippe Lachaux, Directeur de Recherche à l’INSERM, et qui se consacre à l’étude des mécanismes neuronaux associés à l’attention. En croyant être plus efficace en menant de front plusieurs tâches, nous épuisons finalement notre cerveau, qui ne sait se dédier qu’à une seule chose à la fois. Ouvrir dans notre esprit plusieurs sujets simultanément revient à laisser tous les placards ouverts, à, l’image des multiples onglets restés actifs sur notre ordinateur, et que nous redécouvrons avec surprise au moment d’éteindre ce dernier en fin de journée…

Fermer les onglets et clôturer les sujets un à un au fil de notre cheminement permet ainsi de reconquérir l’espace mental nécessaire pour s’engager l’esprit clair dans le sujet suivant. C’est précisément ce qu’a mis en évidence le Docteur Zeigarnik, observant que les serveurs d’un restaurant sont capables de mémoriser des commandes extrêmement longues et complexes avant de les annoncer en cuisine. Or, ce souvenir disparaît de leur mémoire une fois la commande réglée. Ainsi, le cerveau humain mémorise plus facilement les tâches en cours plutôt que celles déjà accomplies. Une invitation à organiser notre activité en petites tâches successives pour pouvoir « fermer les boucles » au fur et à mesure, et alléger notre esprit de ce qui est déjà terminé. Dans la même perspective, les outils d’organisation et de gestion du temps (to-do-list, loi de Pareto et autres matrice d’Eisenhower…) contribuent sans aucun doute à réguler efficacement la charge mentale.

L’attention comme clé : du chaos au flow

Mais que dire alors de ceux d’entre nous dont le cerveau fonctionne « en arborescence », à l’image des ramifications de l’arbre qui se déploient bien loin de la pensée initiale, propices aux associations d’idées créatives et disruptives, avec ce plaisir manifeste pour la complexité vécue comme une expérience joyeuse et vivifiante, et un sens affûté du détail assorti d’une vision stratégique et globale… Une invitation modélisante à évacuer la sensation de poids au profit d’une expérience stimulante et multidimensionnelle.

Et sûrement est-ce ce chemin qu’empruntent aussi les « champions » que Jean-Philippe Lachaux évoque dans son dernier ouvrage, après avoir exploré les mécanismes qui permettent à leur cerveau de cultiver ce fameux « flow ». Ou encore le pianiste lorsqu’il interprète son concerto accompagné par l’orchestre, attention focalisée sur sa propre partition et toutes les notes qu’il doit produire, avec une conscience diffuse de ce qui se joue autour de lui (l’entrée de la flûte qui chante avec lui, les accents des violoncelles sur lesquels il s’appuie…). Et sûrement aussi l’ingénieur du son, qui capte et note tous les détails qu’il lui faudra corriger lors du mastering (les pistes de l’enregistrement), tout en conservant la perception globale de ce que l’auditeur recevra (la musique, et tout ce qu’elle véhicule d’émotion et de sens).

Attention focalisée et conscience diffuse, une pratique méditative emblématique de la pleine conscience, qui vise à conserver l’intimité avec soi-même tout en faisant corps avec ce qui est là pour nous et autour de nous. « Ne te quitte pas », écrit Martin Aylward, l’un des enseignants en méditation les plus renommés au monde aujourd’hui, et qui évoque ce subtil équilibre entre le dedans et le dehors, entre la conscience de soi et la nécessité d’être avec l’autre. Une piste aussi sûrement pour le manager, l’entrepreneur ou le dirigeant…, pour envisager la charge mentale avec curiosité, souplesse et peut-être même avec légèreté… !

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