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Le slow web, pour apporter de la raison dans la folie du digital

Entreprendre - Le slow web, pour apporter de la raison dans la folie du digital

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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS

Dans quel monde vivons-nous ? Dépassés par les progrès technologiques, manipulés par des outils bien camouflés et qui piochent allègrement dans nos données personnelles, autopsiés et décodés par une intelligence artificielle, nous croyons tout maîtriser de nos vies et de nos envies !

Mais il n’en est rien et il conviendrait de réagir, de mûrir et de perdre nos illusions de pouvoir ! Et de perdre des habitudes prises inconsciemment depuis quelques décennies, tellement nous étions bluffés par la nouveauté !

Accaparer toujours plus d’information, les classer toujours plus vite, les désirer de façon toujours plus instantanée. Notre attention est perpétuellement captive et notre complicité toujours réclamée est le moteur d’une question qui finit par nous dépasser.

Il est grand temps d’en prendre conscience, de réagir, de résister et de retrouver quelque maîtrise sur une mécanique qui s’emballe. Avant que toute cette bulle éclate, en faisant éclater nos vies, il faut réapprendre à prendre son temps et à prendre l’initiative. C’est sans doute ce que cache ce terme qui apparaît progressivement dans le « petit » monde du digital : le « slow web » ! Et en découlant de ce terme, on verra sans doute fleurir des notions comme les « slow medias » ou les « slow news ».

Il ne s’agit pas, cela va de soi, de faire la même chose « lentement », mais de faire mieux en échangeant la notion de quantité par la notion de qualité. En fait, on pourrait dire que le « slow web » est une conception humanisée de l’usage des technologies de la communication et de l’information. Utiliser les outils sans en être captifs, ne plus tout prendre pour argent comptant et se méfier des effets pervers de certaines novations.

De la même façon qu’on trouve, chez les experts économiques, ceux qui souhaitent remplacer l’inflation par la déflation, la croissance par la décroissance, il ne s’agit pas ici de tout changer, tout arrêter, tout araser et de se passer du monde connecté. Non ! Il s’agit d’apporter un peu de raison dans la folie ambiante. Ce monde est passionnant, mais il est dévoreur de temps et d’intelligence. Et en fin de compte il devient plutôt déraisonnable, il nous rend esclaves, tant du fond que de la forme !

Le fond…

Parmi les qualités qu’il nous faut retrouver, la première est essentielle, la liberté, et la seconde en découle l’esprit critique. On ne peut plus tout engranger et tout qualifier de certain, que ce soient les informations elles-mêmes ou les analyses d’informations qui nous sont envoyées sans qu’on les demande. Il faut réapprendre à se méfier de ce qui est « unanimement » partagé. Les exemples de complotisme sont légion dans cette dernière décennie et on peut vérifier à quel point les personnalités sont modifiées, voire écrasées, notamment chez les jeunes « internautes ».

On se rend d’ailleurs compte, dans la vie courante, à quel point les mentalités sont largement stéréotypées par un effet de mode. À titre d’exemple, on peut remarquer l’excès de publicité pour les jeux en ligne, jeux de rôle ou jeux d’argent, et de ce fait, l’engouement des jeunes générations pour une existence devenue un « jeu », leur refus de l’idée de « travail » et le goût pour « l’argent facile » déconnecté de la notion d’emploi ou de rôle social.

Cette vision manichéenne de l’existence découle d’une conception tout aussi dualiste de la diffusion de l’information. Il faut certes être capables de choisir avec intelligence les personnes avec qui l’on échange et aux propos desquelles on prête foi, et pour toute chose nouvelle, comme le dit Rouletabille, le héros du Mystère de la chambre jaune de Gaston Leroux, être capable de la « prendre par le bon bout de la raison ». Mais le monde de vitesse et d’instantanéité que nous traversons ne s’embarrasse guère de telles précautions.

En réalité, nous avons perdu le contrôle de notre vie numérique. Les réseaux sur lesquels nous « surfons », les journalistes ou les blogueurs spécialisés dont nous lisons les articles, nous fournissent des bribes d’information en temps réel. Il ne s’agit cependant pas d’un gage de véracité, d’une garantie de cohérence. Nous ne pouvons pas prendre cela pour autre chose que le résultat aux sources non contrôlées d’un « travail » demandé par un rédacteur-en-chef. On ne saurait présenter moins de garantie de qualité ! A la différence d’un article de la presse écrite, mais à l’instar des informations télévisées ou radiodiffusées, l’instantanéité des assertions dans lesquelles nous sommes noyés nous fait perdre assez aisément l’esprit critique. Tout ce que nous lisons ou regardons a été sélectionné par un tiers sans que je puisse me rendre compte des modifications ou des falsifications !

Mais comment privilégier la qualité plutôt que la quantité dans ce qu’on nous donne à savoir, comme on dirait « à manger » ou « à boire » ?

On peut à ce titre évoquer les influenceurs, dont le nom, pour le coup, ne cache pas l’intention « illusionniste ». Et quand on apprend que certains d’entre eux revendiquent des millions de « followers », il y a lieu de s’inquiéter sur ce phénomène qui consiste à offrir à des clients en manque de réflexion des idées toutes faites qui vont parfois faire la fortune de celui qui les promeut.

Bien évidemment, rien ne nous oblige à suivre leurs avis intéressés, mais pour cela, il faut avoir la capacité de raisonner, de s’interroger, de se rebeller, prendre son temps pour digérer ce qu’on lit ou ce que l’on entend. Surprenant dans le monde actuel ! Est-ce trop demander, en effet, que de disposer de plus de temps pour nous consacrer à des choses bien plus essentielles, dans le calme, avec concentration.

Mais tout cela est affaire d’éducation et de réflexion ! Saurons-nous convaincre autour de nous ceux qui filent à toute vitesse sur les chemins de l’ignorance et du complot ?

Les GAFA ont une position monopolistique sur le marché du digital dans lequel le consommateur n’est plus qu’un simple produit comme les autres. Les réseaux sociaux dont ils ont la maîtrise proposent de la vie une vision déformée. Ils posent donc un réel problème de santé publique, notamment pour ce qui est des affections psychologiques. On parle souvent à juste titre de l’augmentation inquiétante du nombre de suicides au sein des jeunes générations.

Il y a des techniques pour se libérer des addictions, car c’est bien de cela dont on parle, cette drogue de l’écran, du jeu et des idées toutes faites.

La forme…

Les machines ne devraient pas pouvoir contrôler nos vies. Dans toutes les grandes utopies philosophiques, comme dans l’histoire de la pensée politique, depuis Utopia de Thomas Moore (1516) jusqu’aux théories du contrat social, l’humain se place au centre et doit y demeurer dans une organisation idéale.

Et de tous temps, les machines sont construites pour nous venir en aide et nous servir.

L’avènement de l’informatique, nous avons tous trouver cela génial. Les premiers ordinateurs individuels des années 80, le traitement de texte, les tableurs, etc. Cela nous rendait la vie plus simple. Au diable les machines à calculer sur lesquelles, à la moindre erreur, il fallait tout reprendre ! Les premières disquettes souples, puis les petites rigides, et enfin les clefs USB, un fantastique progrès, nous avions tout notre travail dans la poche.

L’IPhone, puis les smartphones et les tablettes ont progressivement tout chamboulé, sans parler du développement d’Internet. On peut pratiquement travailler depuis n’importe quel endroit dans le monde et se connecter à ses bases de données personnelles ou collectives. Nos téléphones ont désormais plus de fonctions que celle simple de téléphoner, un véritable ordinateur de poche, qui prend des photos et enregistre des films, remplace (en plus petit) l’écran de la télévision et prend en note nos textes sous la dictée. Un outil qui en remplace bien d’autres que nous trouvions, il y a moins d’un demi-siècle déjà fabuleux, appareil-photo, caméra, magnétophone, radio portative, téléphone fixe…

Outil fabuleux d’un quotidien qu’on se sent maîtriser, et surtout outil fabuleux par sa perpétuelle évolution ! Chaque trimestre apporte sa nouveauté, et chaque année apporte souvent le regret de ne pas disposer des dernières améliorations, capteur photographique plus précis, rapidité du micro-processeur, capacité de la mémoire, ergonomie, taille de l’écran, etc.

Et de ce fait, nous voilà aspirés par une frénésie de consommation qui nous incite à changer très souvent de téléphone, pour des raisons essentiellement dues à la publicité et aux messages diffusés sur les réseaux sociaux du « fast web ». Toujours plus, de la technologie et des données, toujours plus vite, en accès et en calcul, toujours plus moderne et surtout toujours plus dans le ton de ce que disent les influenceurs.

Une exception fréquente dans cette frénésie, l’envie d’avoir une autonomie à tout le moins stable, si ce n’est en progression !

Pour reprendre les propos de la première partie, il est temps aujourd’hui d’organiser un « slow web » dans le domaine des outils permettant l’accès aux données. Il faut, notamment, lutter contre l’obsolescence programmée. Reprenant l’exemple de l’autonomie, on sait que nombreux sont les changements de smartphone, non pas pour accéder à des améliorations précises, mais pour redonner vie à un appareil à peine vieux de deux à trois ans dont la batterie ne tient plus la charge plus d’une demi-journée !

L’enjeu est de taille quand on voit l’impact désormais mondial de la pénurie de composants qui met à l’arrêt des chaînes complètes de fabrication de voitures. Il faut en déduire qu’il est plus rentable de fabriquer des puces complexes pour nos Smartphones 5G et nos serveurs de Cloud, quand ce n’est pas ceux qui servent au minage de Bitcoins. Cela démontre que le numérique est avant tout basé sur une ressource physique et non renouvelable : les terres rares. Si nous continuons sur ce rythme effréné, et que nous laissons nos jeunes générations toujours plus dépendantes du digital, il faut savoir que, d’ici le milieu du siècle, il leur faudra arbitrer entre se soigner en consacrant les dernières terres rares à produire des équipements médicaux d’avant-garde comme des IRM, et se divertir en continuant à s’abreuver de contenus et de post sur les réseaux sociaux, ceux-là même qui nous transforment déjà aujourd’hui en consommateurs et en citoyens grégaires.

Loin des dogmes inutilement politisés de l’écologie, l’essayiste Pierre Rabhi avait déjà pressenti cela en publiant en 2010 un ouvrage intitulé « vers la sobriété heureuse ». Il y rappelait qu’au lieu de nous préoccuper seulement de la planète que nous allons laisser à nos enfants, il nous fallait nous soucier plutôt des enfants que nous allions laisser à notre planète.  

Focus : Vers quel modèle de « slow web » ?

On a tous entendu parler des Fast Food ? synonyme de piètre qualité. Certains restaurateurs, notamment des jeunes chefs, ont décidé de créer des établissements servant de la « slow food » qui est l’art de servir des produits de qualité en consacrant le temps qu’il faut à leur préparation.

Comme pour le « slow food », ceux qui seront les moteurs du « slow web » vont s’intéresser d’abord et avant tout à la qualité en rejetant la mode du « tout, immédiatement, et trop vite ». Il devient donc opportun de s’interroger de la façon dont les données sont produites et comment elles doivent utilement être consommées.

Rien ne viendra des GAFA ou des actuels producteurs de matériels et de datas, si les consommateurs eux-mêmes ne viennent pas, par leurs actes, limiter les effets pervers et déliquescents du Web rapide. Réagissons! Comme pour la « malbouffe », réveillons les consciences à défaut ..des papilles..

Bernard CHAUSSEGROS


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