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La Guyane et ses entrepreneur·es


La Guyane, seul territoire français en Amérique du Sud, paraît bien loin pour les métropolitains, plus familiarisés avec les Antilles qu’avec cet outre-mer si différent, au nord de la grande Amazonie. Pourtant, la vie économique (290 000 habitants) s’y concentre sur la frange littorale et le long du fleuve Maroni avec quelques belles réussites entrepreneuriales.

Vincent Reboul CEO et Fondateur de la start-up Mobapi, implantée à Cayenne (Guyane).

La Guyane, seul territoire français en Amérique du Sud, paraît bien loin pour les métropolitains, plus familiarisés avec les Antilles qu’avec cet outre-mer si différent, au nord de la grande Amazonie. Pourtant, la vie économique s’y concentre sur la frange littorale et le long du fleuve Maroni avec quelques belles réussites entrepreneuriales.

La Guyane, seul territoire européen en Amérique du Sud, est formidablement riche en matière de faune et de flore, et elle a assez rapidement créé des réserves naturelles, au nombre de sept. Grande comme le Portugal, sa densité de population est extrêmement faible, de l’ordre de 3,5 habitant par km2. La diversité est l’une des caractéristiques de la population avec 40% de Créoles guyanais, 25% de Businengés, 12% de Français de métropole, 5% d’Amérindiens (5%), sans oublier les Cambodgiens (H’Mongs) et les Chinois.

La seconde région française

En termes de superficie, la Guyane est la seconde région la plus vaste après la Nouvelle-Aquitaine. Elle est cependant totalement atypique des autres ; sa surface étant couverte à 97% par une forêt primaire équatoriale. Ses frontières sont délimitées par des fleuves tels l’Oyapock et le Maroni, le nord est sur l’Océan Atlantique, le sud ayant été tracé sur la ligne de partage des eaux. Entourée du « petit » Surinam et du géant brésilien, les relations entre voisins ne sont pas toujours totalement cordiales, du fait notamment d’une immigration illégale difficile à gérer.

Cayenne est évidemment le principal centre d’activité et concentre presque la moitié des 300 000 habitants de la Guyane. Kourou, second pôle, est connu internationalement de par la présence du Centre Spatial. Saint-Laurent du Maroni complète le trio de tête des centres urbains les plus importants et se distingue des deux autres de par son implantation près du fleuve ainsi que par son multiculturalisme.

Une population qui a doublé

La population a doublé en 25 ans, et l’on anticipe 570 000 habitants d’ici vingt ans étant donné la forte natalité. Les moins de 20 ans représentent 40% de la population (25% en France métropolitaine). Ces chiffres sont à la fois porteurs d’espoir et de crainte. Voir la population augmenter est un élément positif pour l’économie à condition que celle-ci soit à même d’insérer et de former ses nouveaux actifs. Or le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté est de plus de 40%, lié à un taux de délinquance particulièrement élevé par rapport aux autres régions françaises.

L’organisation politique

La Guyane dispose d’une Assemblée de 51 membres élus pour six ans qui élisent en leur sein un président. Une commission permanente suit les affaires courantes, elle est composée du Président de l’Assemblée de Guyane et de vice-présidents (de 4 à 15). D’autres membres peuvent y participer dans la limite de 15. Elle est également représentée par deux députés et deux sénateurs. Ce territoire si particulier fait également appel aux chefs coutumiers amérindiens et aux Grands Mans Businengués afin de garantir la survivance et le respect des rites. Ils ont également un rôle de médiateur et de juge pour les conflits spécifiques concernant ces populations.

Un peu d’histoire…

Habitée dès 5000 ans avant JC par différentes tribus amérindiennes, elle a fait l’objet de plusieurs tentatives d’annexion. Son territoire hostile la protège pendant longtemps même si en 1604, elle est finalement baptisée France équinoxiale. Considérée comme une contrée dure, de par les maladies notamment, les révolutionnaires français décident d’y créer le fameux bagne près de Cayenne. Une institution qui va se perpétuer jusqu’en 1946, date de sa fermeture.

La présence indispensable de l’État

Le 21 avril 2017 était signé un « accord Guyane » consécutif à plusieurs semaines de désordres et de malaise social. 1 milliard d’euros était mis sur la table pour le plan d’urgence ainsi que 2,1 milliards devant faire l’objet de mesures supplémentaires. Cet investissement était prévu pour répondre à des problèmes liés à l’insécurité, à l’équipement de la santé, à la modernisation du secteur du transport et de l’éducation, alors que la croissance démographique est en forte hausse. Des efforts largement nécessaires vu l’état des infrastructures et le petit nombre de bacheliers.

Un plan d’urgence toujours en cours

Fin 2019, 23 des 25 engagements du Plan d’Urgence étaient réalisés ou en cours de réalisation. Certains grands projets n’ont cependant pas vu le jour, comme celui de la centrale électrique au port du Larivot. Autre grand projet qui été rejeté par Emmanuel Macron, celui de la Montagne d’Or pour des raisons environnementales. Il convient également de noter que l’Etat est le premier employeur de Guyane, les fonctionnaires touchent des rémunérations largement supérieures à celles du continent, du fait de la cherté de la vie et de l’enclavement.

Difficile de faire un point sur ce début d’année si étrange, mais les rapports 2019 sont quant à eux disponibles. Si la consommation des ménages restait dynamique, et le taux de chômage en baisse, les experts ont cependant noté que les investissements ne progressaient pas, notamment à cause du BTP et de la fin du chantier Ariane 6, et que le climat des affaires était en régression sur la fin de l’année. L’inflation n’y est que de 0,9%, le taux d’interdits bancaires est en nette diminution.

Autres signaux positifs, les créations d’entreprise ont cru de 1,8% (1857) et l’emploi salarié a progressé de 2,3%. Ceci ne doit pas faire oublier que le taux de chômage est de 20% de la population active, soit 17 700 chômeurs, dont un tiers de 15-24 ans. Les exportations d’or, de bois, de crevettes et de poissons sont en forte baisse, alors que la demande est pourtant bien présente.

Un territoire à fort potentiel

Le territoire guyanais est riche de ressources minières, biologiques, énergétiques sans oublier la ressource halieutique. Si la base de Kourou compte pour plus de 10% du PIB, les autres activités principales sont les activités traditionnelles telles que l’agriculture, la pêche, l’extraction d’or, le bois, le BTP, mais aussi le commerce de détail, détenu en majorité par les Chinois, sans oublier l’écotourisme qui se déploie.

Cette activité mythique fait partie de la réalité guyanaise. L’orpaillage est un secteur bien vivant depuis longtemps. Il a d’ailleurs causé et cause encore bien des soucis à l’administration qui lutte contre les chantiers illégaux. Ces chantiers parviennent à extraire plus de 10 tonnes d’or dans de mauvaises conditions, provoquant ainsi l’empoisonnement au mercure du fleuve. On a aussi cherché du pétrole dans les eaux de la Guyane, mais Total a mis fin à ses recherches il y a peu.

L’impact de la crise sanitaire

La Guyane a été frappée par la crise sanitaire dès le début de l’année, ce qui a déstabilisé les entreprises du secteur du BTP, du bois et de la pêche. Les dispositifs d’activité partielle ont fonctionné à plein régime, tout comme le report de cotisations sociales et d’échéances fiscales. Cette situation a entraîné des retards dans les travaux à Kourou sur le pas de tir qui ont mené à annuler le tir d’Ariane 6 cette année pour le déplacer sur la deuxième moitié de 2021.


Des entrepreneurs qui osent

Aujourd’hui encore, la classe moyenne supérieure ou les grandes familles aux affaires sont relativement rares, même si les populations d’origine asiatique notamment ont fait preuve d’audace entrepreneuriale.

Un bel exemple de HSM

L’image emblématique de ce type de réussite est la société HSM (HO Shiang Ming, 51 millions de CA) dirigée par Ho Cho Shu, grossiste alimentaire et importateur de vins. Les H’mongs ont réussi une belle intégration après leur arrivée en dépit de conditions très difficiles. Installés en forêt, ils ont défriché, semé, planté et récolté pour livrer Cayenne par tous les moyens en fruits et légumes. Ils sont aujourd’hui à la tête de nombreuses petites entreprises alimentaires.

Vincent Reboul (Mobapi)

Vincent Reboul a créé l’entreprise Mobapi en 2014. Sa cible est constituée par les acteurs de l’énergie et le service consiste à proposer un logiciel ad hoc capable d’aller récupérer des données énergétiques à partir de différentes sources pour les transformer et fournir des tableaux de bord aux dirigeants. Il est également président de French Tech Guyane, ou Guyane Tech, qui rassemble les acteurs de l’innovation digitale, afin de promouvoir le numérique sur place. Son association est labellisée « Communauté Frech Tech » depuis le 4 mai 2020.

Jessica Robeiri (Jolotte)

Jolotte ou « l’appli qui vous veut du bien » permet de mieux connaître les produits cosmétiques en recensant les ingrédients, les péremptions, voire les effets indésirables. Jessica Robeiri n’est pas restée inactive pendant le confinement. L’entrepreneuse a créé une association à but non lucratif avec d’autres jeunes créateurs pour lancer une plateforme d’achats groupés. Une idée sous tendue par la volonté de défendre et aider les consommateurs à aller vers des commerçants qu’ils n’ont peut-être pas l’habitude de fréquenter et sauver ainsi des affaires en difficulté.

Walid Mostafa (Altoa)

Altoa, fondée par Walid Mostafa, s’est spécialisée depuis 1999 sur un concept particulier, le Lidar, soit l’altimétrie par laser aéroporté. Il s’agit d’une technique topographique innovante permettant d’obtenir des résultats précis, fiables et bon marché. Souvent utilisée pour les zones difficiles d’accès, ce système très opérationnel peut être utilisé y compris dans des circonstances climatiques difficiles. L’entreprise travaille en Guyane, mais aussi dans les Antilles, en métropole ou dans les pays voisins.

Philip Byron (Solamaz)

Ancien ingénieur agronome, Philip Byron a créé une entreprise à succès. Il vend à peu près partout dans le monde des lampadaires solaires depuis 2013. Il a même signé un contrat avec les Nations-Unies qui lui a permis d’installer ses produits au Soudan comme en Afghanistan pour les camps de réfugiés. Le lampadaire Solamaz est un produit idéal et autonome qui permet de fournir de l’éclairage dans des zones où les réseaux électriques n’existent pas, comme cela est souvent le cas en Guyane où les populations amérindiennes ou créoles vivant dans des zones isolées n’avaient pas de réseau.

Les lampadaires sont fabriqués à la pépinière des entreprises innovantes de Guyane. Le créateur de Solamaz a une formule qui peut résumer la situation pour les entrepreneurs : « La Guyane est un territoire intéressant car il est situé à côté d’un grand pays émergent, le Brésil, et du Surinam, tout en étant inclus dans un système européen qui est stable, ce qui est appréciable pour la gestion de l’entreprise. »

Frédéric Vevaud (Aéroprod Amazonie)

Cette société de production audiovisuelle est positionnée sur la prise de vue aérienne par drone pour des films publicitaires, de la cartographie, de l’analyse thermique afin de repérer des anomalies, etc. Cedric Vevaud est le fondateur et souhaite ainsi promouvoir le tourisme et l’économie locale guyanaise grâce à sa vingtaine de drones. Un business d’avenir qui a le vent en poupe et qui prouve qu’on peut aussi entreprendre en 2020 en Guyane sur de nouvelles activités numériques et multimedia.

V.D.

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