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La chronique économique hebdomadaire de Bernard CHAUSSEGROS
En démocratie, le vrai fondement de la légitimité, outre l’élection au suffrage universel, c’est la confiance. Nombreux sont les Français qui font le parallèle entre ces deux termes, démocratie et confiance. Et souvent, ils s’égarent sur la signification étymologique de la démocratie, en rappelant pompeusement que ce régime politique est littéralement « le pouvoir par le peuple ». Certes, pris au sens que lui donnait les athéniens du siècle de Périclès, la démocratie était « directe » et la chose publique se débattait sur la place publique, l’Agora. Mais il ne faudrait pas oublier qu’elle se limitait aux seuls hommes nés de père athénien et libres et excluait les femmes et les enfants, les métèques, en l’occurrence les étrangers, et les esclaves, ce qui rend le régime moins universel et idéal qu’on le pense.
Dans les nations occidentales, le régime politique le plus répandu est celui de la démocratie représentative, puisque le pouvoir est attribué à des élus désignés lors d’élections prévues par la Constitution. On ne peut donc plus parler de démocratie, mais d’oligarchie, ce qui est amusant, dans la mesure où l’on croyait ce mot réservé à des pays comme la Russie où le terme « oligarques » désignent les membre d’un système par lequel quelques personnes se sont emparées du pouvoir économique.
En réalité, la France et la plupart des nations occidentales, celles du vieux monde, n’ont rien à envier à la Russie : le pouvoir appartient effectivement à une caste assez peu identifiable mais qui détient le pouvoir économique et politique. Mais contrairement à la Russie ou à la Chine, les élections qui animent la vie constitutionnelle peuvent à tout moment bouleverser les équilibres politiques cachés dans l’ombre du pouvoir financier. Et c’est donc là qu’intervient le rôle de la « confiance » !
« Et je vous fais confiance, et je nous fais confiance pour y arriver ». Tels sont les mots par lesquels le président de la République a clôturé son discours du lundi 17 avril 2023. Eh oui, la confiance ! Et en évoquant cette intervention télévisée du chef de l’État avec un parent plus âgé, lui reviennent alors en mémoire quelques vieux souvenirs d’une autre époque. Automne 1965. Il revoit les reportages du journal télévisé sur la campagne électorale destinée à élire le président de la République française pour un mandat de sept ans.
Sous la Ve République, c’était la première élection présidentielle qui allait se dérouler au suffrage universel direct, le premier président ayant été élu en 1958 par un collège électoral de grands électeurs. Au premier tour, six candidats étaient en lice. Au second tour, le général de Gaulle est réélu avec 55,2 % des suffrages exprimés face à François Mitterrand.
Et en même temps, il se souvient de l’irruption brutale dans sa vie du phénomène des Beatles à l’été 1965. Un nouveau monde musical vient de naître et va s’imposer à tous, y compris avec les Stones ou Bob Dylan.
Dans cette France des années 60 qui se dirigeait un petit pas vers la révolte de mai 68, il y avait comme une confiance dans l’avenir, une confiance dans les institutions, une confiance dans le monde économique puisque le taux de chômage était au plus bas, une confiance dans l’évolution culturelle vers plus de liberté d’expression et de création. Cela ne pouvait que nous emporter pleins d’espoirs vers un avenir radieux, sereins et confiants dans le progrès des idées, l’harmonie de l’humanité et la recherche d’une plus grande sagesse.
La confiance perdue
Comme je l’ai souvent écrit, ces espoirs seront malheureusement assez vite déçus dès les années 70, notamment avec la première crise du pétrole, et surtout, avec la prise de pouvoir progressive de l’économie mondialisée. C’est en effet à cette époque que, petit à petit, sournoisement, la valeur « travail » qui sous-tendait et fondait la société humaniste a été remplacée par la valeur « financière », la recherche des profits faciles et immédiats, et que, parallèlement, le monde culturel a commencé à être noyé dans la médiocrité. Tout cela est lié, bien évidemment, dans la mesure où il est difficile de faire cohabiter la qualité et la rigueur avec la rentabilité immédiate et la satisfaction des plaisirs fugaces.
En détournant la citation attribuée à Lavoisier (« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »), on peut soutenir que la richesse peut se créer en partant de rien, qu’elle peut se transformer mais, bien évidemment, qu’elle peut se perdre. Dans la théorie économique keynésienne, on fait référence au coefficient multiplicateur de la croissance. Ce n’est pas un miracle, car cette croissance implique une augmentation du nombre de consommateurs, ce qui de fait généralement au détriment des valeurs fondamentales de notre république, que sont la liberté et l’égalité.
Le 17 avril 2023, le président de la République a voulu clore le chapitre de la réforme des retraites, et indiqué à l’opinion publique qu’il avait accéléré le processus de réforme sur trois grands thèmes, le travail, la justice, et le progrès des institutions. Il s’agit, on l’a bien compris, de sujets qui nécessitent effectivement la confiance des citoyens. Or, dans les chroniques que j’ai publiées ces derniers mois, j’ai souvent attiré l’attention sur l’impérieuse nécessité qui s’impose à notre pays pour renouer avec la croissance, celle de s’appuyer sur une démarche active et enthousiaste de ses citoyens et surtout de ses entrepreneurs.
Mais pour entreprendre, pour participer à la création de valeur, pour accepter de contribuer en commun à l’amélioration du bien-être collectif, il faut que soit rétablie la confiance globale des citoyens du pays, ou, pour être plus simple, notre confiance à tous.
Avant de se confronter à la réforme des retraites, il aurait été plus judicieux de s’attaquer d’abord à la réforme du travail, à son évolution dans un monde en plein bouleversement, à la rémunération cohérente de ceux qui travaillent et à la plus juste répartition des fruits de la croissance même si des efforts ont été fait dans ce sens au cours de ces dernières années.
La justice
Mais pour cela, les Français comptent sur l’État dont les fondements reposent sur la complémentarité de deux pouvoirs, l’exécutif et le législatif, et d’une autorité, la justice. Contrairement à ce que beaucoup croient savoir, la justice n’est pas un pouvoir, et la « république des juges » n’est qu’une méprisante théorie complotiste. Les français sont en demande d’une justice impartiale et humaine et ils critiquent souvent les errances de l’institution judiciaire, ces lenteurs ou l’inégalité apparente dans le traitement des affaires.
On accuse fréquemment les magistrats, procureurs comme juges, d’être dans l’excès, ou trop durs, ou trop laxistes. Il s’agit là d’une confusion savamment entretenue par le pouvoir afin de s’exonérer de ses propres responsabilités. De nombreux articles de presse le disent depuis longtemps, tous les livres de documentation juridique l’expliquent clairement, mais je crois qu’il faut à nouveau insister pour que cette idée finisse par faire son chemin. Les magistrats n’ont aucun autre pouvoir que celui d’appliquer la loi, et ce, sans réels moyens !
Et la loi, ce ne sont pas les juges qui la font, même si on tente d’égarer les citoyens en évoquant la jurisprudence des cours et tribunaux. Ce sont les parlementaires (le pouvoir législatif) qui, en général sur proposition de l’exécutif, ont le pouvoir de légiférer, discutent, amendent, et votent les lois, lesquelles, dès qu’elles sont promulguées, s’imposent aux juges.
Ce que l’on demande alors aux juges, c’est d’appliquer les textes, ce qui ne va pas sans poser de nombreuses difficultés. La première d’entre elles, c’est de s’adapter à l’inflation perpétuelle du nombre de textes (nouveaux et souvent redondants), lois comme règles de procédure, qui font du système juridique français un château de cartes branlant, instable, parfois incompréhensible et très souvent difficile à appliquer. Les moyens nécessaires ne sont pas mis en œuvre, et pour beaucoup, ne me semble pas être de la compétence des juges.
Une seconde difficulté tient au fait que les magistrats sont accablés de dossiers auxquels ils ne peuvent pas forcément faire face, soit par manque de moyens et d’effectifs, soit beaucoup plus prosaïquement parce qu’il ne s’agit pas de problèmes simplement juridiques à traiter par le droit. C’est ainsi qu’il faut savoir que, statistiquement, 60 à 70 % des affaires dont sont saisies les tribunaux concernent la conduite des véhicules sous l’influence de l’alcool ou de psychotropes, avec ou sans accident, avec ou sans les drames dont tout le monde a conscience. Il va de soi que, parfois, l’emprisonnement est la seule réponse à donner face à l’émoi populaire suscité par l’hécatombe routière. Cela étant dit, il faut dire clairement que la question sous-jacente est une question de santé publique, et il me parait assez incohérent de demander à des juges qui ont suivi une formation juridique d’environ 7 années, à l’université puis à l’école nationale de la magistrature, de régler des problèmes d’addiction qui sont plutôt du ressort de la médecine ou de la psychiatrie, et cela, en étant largement sous-payés.
On l’a compris, il est bien pratique de confondre délinquance et maladie, délinquance et comportement déviant, et de ce fait, personne ne se pose plus la question. Bien au contraire, on peut suspecter que cet afflux de dossiers sans grand intérêt juridique qui noient des magistrats hyper formés sous le nombre, évite que ces derniers ne s’intéressent de trop près à des dossiers bien plus brûlants dans le domaine de la finance et de la délinquance « en col blanc ». La liste est longue des affaires complexes pour lesquels l’institution judiciaire ne parvient pas à trouver le temps et les moyens d’enquêter et de poursuivre.
Si la confiance des citoyens fait défaut dans l’institution judiciaire, la confiance est également défaut chez les magistrats dans leurs relations aux institutions. Certains finissent par comprendre qu’ils servent d’alibi institutionnel pour camoufler de réelles atteintes à la démocratie. Et si les citoyens, tout autant que les magistrats, doutent de leur justice, que la confiance dans les institutions semble s’être perdue, c’est qu’il est sans doute temps d’envisager une réforme profonde du rôle et de l’organisation de l’État dans ce pays.
Le travail
Le monde évolue, certes. C’est une évidence, des métiers disparaissent, d’autres apparaissent, et le progrès technologique de laisser croire à certains qu’on aura bientôt plus besoin d’autant de travailleurs pour faire fonctionner un pays comme le nôtre.
Ce genre de vision, notamment à l’échelle mondiale, quand on voit la misère qui accable une grande partie des pays du globe, est fondamentalement erronée. Le problème, dans les pays occidentaux et, en tout cas, dans les pays développés, est de faire la part des choses entre le besoin de travailler, le sentiment qu’il faut consacrer du temps aux loisirs ou à la famille, le spectacle des inégalités qui offrent un contraste saisissant entre ceux qui travaillent pour un SMIC et ceux qui détournent des surprofits. Mais surtout, la brutale irruption de l’Intelligence Artificielle dans notre monde nous oblige à réfléchir très vite aux bouleversements qu’elle va entraîner, en laissant se développer un monde sans effort !
Durant la deuxième moitié du XXe siècle, tout particulièrement à l’époque de la guerre froide, deux systèmes de pensée s’opposaient, le libéralisme et le communisme. Les tenants du second professaient une répartition égalitaire de toutes les richesses du monde, idée insensée et inapplicable. L’histoire de l’humanité montre à quel point la notion d’égalité ne concerne pas la possession des biens de ce monde, mais s’impose dans l’application des lois et des règlements dont chacun doit tirer bénéfice. Cela étant, une trop extrême disparité entre les revenus des uns et des autres ne peut que susciter un sentiment d’injustice, ce qui nous amène à poser la question de la juste rémunération des fruits du travail et de leur plus saine répartition.
Cette question n’est pas l’apanage des sociétés démocratiques capitalistes dont le pouvoir est en réalité détenu par des oligarques. Dans les pays communistes, qui sont des dictatures, Russie, Chine ou Corée du Nord, c’est également une caste similaire qui détient le pouvoir et l’argent. Une façon de prouver que, quelle que soit la nature du régime politique en place, l’objectif des dirigeants est avant toutes autres choses de maximiser les profits et de négliger la valeur « travail ».
Cette question est d’autant plus fondamentale qu’elle induit d’innombrables conséquences sur le niveau de vie, tant pour les classes sociales les plus défavorisés que pour ce qu’il est de coutume d’appeler les classes moyennes. Les effets induits de la guerre en Ukraine ne participent qu’à la marge à la hausse des prix et à l’inflation qui accablent les citoyens les moins fortunés. En réalité, les difficultés grandissantes auxquelles se trouvent confrontés bon nombre de ménages sont directement causées par les abus de ceux qui profitent du système, et tout particulièrement de ceux qui font métier de l’intermédiation.
On peut se féliciter de ce que l’inflation soit limitée en France aux alentours de 6 %, mais on évite à la fois de dire qu’il ne s’agit que d’une moyenne, et de citer tous les produits qui désormais ont augmenté de plus de 20 %, devenant ainsi inaccessibles à bien des familles. On oublie aussi de dire qu’un peu partout, en France, à Paris comme en province, mais aussi à l’étranger, l’inflation, l’évolution des modes de vie et la recherche systématique du profit empêche désormais énormément de familles de se loger correctement à des prix décents.
Pour rester sur l’exemple de la citation attribuée à Lavoisier en l’appliquant au fonctionnement du marché boursier, il convient d’affirmer que s’il y a profit, il y a pertes à l’autre bout de la chaîne. Faut-il rappeler la crise des « Subprimes » et les scandales autour des politiques bancaires en matière de titrisation, et se souvenir de tous ces ménages, notamment aux USA, qui ont perdu leur maison du fait de ces escroqueries organisées.
La presse, depuis plusieurs décennies, nous informe de l’augmentation régulière du nombre de millionnaires et de milliardaires, un peu partout dans le monde, mais aussi, notoirement, en France. Les moyens financiers existent. Ils sont, de toute évidence, mal répartis. Et on peut se demander ce que leurs bénéficiaires, parvenus à un tel niveau de revenus, peuvent en faire en fin de compte. Comme le disait un de mes anciens professeurs, au demeurant philosophe : « On ne mange qu’une fois ».
On doit s’interroger sur les excès de l’appropriation de la création de valeur au bénéfice de quelques-uns. Il ne leur en coûterait guère de consacrer systématiquement une petite partie de leurs fortunes à l’amélioration du bien-être collectif. Dans cette période de bouleversements climatiques de toute nature, dans cette période de grande sécheresse qui favorise des incendies traumatisants, dans cette période où l’on prend conscience de la pénurie des ressources en eau annoncée, on pourrait ouvrir de nombreux chantiers dans ces domaines, ce qui permettrait de créer de très nombreux emplois permettant ainsi, par le travail, par son financement, de protéger nos espaces et notre biodiversité et surtout d’alimenter l’écosystème économique et de le rendre vertueux.
Les collectivités locales ont un rôle à jouer et certaines communes donnent déjà exemple en s’engageant sur l’entretien du territoire dont on chargeait autrefois les agriculteurs, les bergers des montagnes, où les cantonniers. On pourrait imaginer de créer ainsi un très grand nombre d’emplois dans le domaine aux frontières illimitées de la protection de l’environnement. À l’époque où le service militaire était obligatoire, il n’était pas rare de faire intervenir des appelés du contingent dans les communes rurales sur les missions simples, débroussailler un chemin ou un sous-bois, renforcer un mur ou nettoyer un cours d’eau. Nos anciens l’avaient bien compris en se définissant comme le locataire temporaire de l’espace où ils vivaient, un territoire à entretenir.
Aujourd’hui que le monde n’est plus un monde fondé sur la protection de la collectivité, mais un monde d’individualités égoïstes, on pourrait imaginer que l’engagement citoyen devienne un symbole politiquement soutenu par les responsables politiques. Mais « tout travail demande salaire ». On s’étonne que de nombreux emplois ne soient pas pourvus, mais on ne s’interroge pas toujours sur ce qui explique cet état de fait. On dit que les « gens » ne sont pas courageux, que les métiers dont durs…. On peut aussi répondre : « Si vous voulez que les gens travaillent, payez-les décemment » ! on éviterait sans doute, le recours à « l’argent facile », où de jeunes « guetteurs » gagnent en un jour qu’un ouvrier spécialisé..
Les institutions
Il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer que nos institutions sont perpétuellement remises en cause, tant par les oppositions politiques que par l’opinion publique qui se manifeste dans la rue. Depuis l’adoption de la loi sur la réforme des retraites à l’issue d’une procédure mal expliquée qui a donné l’impression à l’opinion de n’avoir été, ni écoutée, ni entendue, la première ministre comme le président de la République ne peuvent pas faire un pas hors des palais nationaux sans se voir conspués, hués, ou accueillis par des concerts de casseroles.
Certains y voient une symétrie criante avec les événements qui se sont déroulés aux États-Unis d’Amérique lors de l’attaque du Capitole par des opposants refusant de reconnaître la légitimité du vote présidentiel. Cette dérive est particulièrement inquiétante et dangereuse. Pour en rester à l’exemple français, il est impossible dans notre État de droit de prétendre que les différentes décisions sont illégitimes ou illégales. La constitution et les procédures légales ont été respectées. Les différentes élections se sont déroulés dans le respect de la loi et ces élus sont donc légitimes.
Même si on peut le regretter, même si on peut l’analyser de façon critique, l’impact de l’abstention ne peut pas avoir d’influence sur le caractère légitime ou illégitime du résultat des votes. En revanche, ce qui peut être troublant aux yeux des électeurs, c’est de constater qu’un président « mal » élu et qu’un gouvernement ne disposant pas d’une majorité visible puissent ne pas tenir compte, dans la méthodologie employée, de l’immense opposition populaire qui s’est manifestée dans le cadre de la vie parlementaire de cette réforme.
Les résultats de l’élection présidentielle de 2022, compte-tenu du taux d’abstention s’élevant à 28,01 %, auraient dû inciter le chef de l’État à mieux prendre en compte l’opinion publique générale. Car ces résultats, comme ceux des législatives suivantes sont une illustration assez claire du déficit important de confiance du peuple pour ses dirigeants. C’est pourquoi il est au fond assez surprenant de voir proposer, espérer ou solliciter plus de confiance entre le peuple et les élus !
De tout temps, il était considéré que les parlementaires portaient la voix de leurs électeurs.
Le fonctionnement actuel des institutions montre au contraire que ces élus, une fois en place, portent avant tout la voix du parti politique auquel ils appartiennent, qu’ils ne votent plus désormais que selon les consignes qui leur sont données, de la même manière que leurs interventions, par exemple sur les plateaux de télévision, ne sont que la déclinaison des éléments de langage qui leur sont de toute évidence fournis par l’exécutif.
On peut d’ailleurs en dire autant du rôle de la presse. Les journalistes sont nombreux à nous rappeler que le droit à l’information est inhérent au principe de la démocratie. Mais, sous couvert de faire respecter ce droit fondamental, on se rend souvent compte que pour certains d’entre eux, être journaliste, c’est également être enquêteur, policier, expert, analyste, juriste, procureur et juge. D’où un mélange des genres qui finit par transmettre un message déroutant, incohérent, qui mélange parfois tout, l’information, la dénonciation et l’analyse simpliste.
Ce qui se remarque le plus, c’est cette façon d’aborder systématiquement les sujets sous l’angle de la polémique qui permet de « faire de l’audience », en organisant ou en suscitant des contestations et même parfois des scandales. Durant cette procédure parlementaire qui a abouti à la promulgation de la loi sur la réforme des retraites, on peut être particulièrement surpris par la façon dont le sujet a été traité avec force redondance. À chaque épisode, on avait l’impression d’une sorte « d’Intervilles » où devaient être désignés les gagnants, en fonction du nombre de dégradations et d’incendies de poubelles ou d’automobiles, ou plus simplement du nombre de manifestants présents en augmentation ou en diminution dans les rues. Le summum de l’émotion étant, à chaque fois, atteint lors de l’apparition sous l’œil des caméras de casseurs vécus de noir, de policiers violents frappant les passants, ou d’un ministre de l’intérieur accusé d’être « en roue libre ».
On aurait pu s’attendre à ce que les spécialistes aussi cultivés sur les sujets de politique et de démocratie, s’extraient un peu des débats sur la comptabilité des incidents, pour prendre un peu de hauteur, pour évoquer des sujets mieux documentés et pour réunir, comme cela s’est fait parfois, bien que trop rarement, de vrais penseurs et des spécialistes pondérés, sur des préoccupations beaucoup plus vitales, comme la valeur travail, la rémunération du travail, la répartition des fruits du travail, la lutte contre les profiteurs de l’intermédiation.
Il ne faut pas oublier qu’il y a dans notre monde des principes fondamentaux de liberté, d’égalité et de fraternité. La démocratie a besoin de s’appuyer sur des fondations solides , et que la représentation de ces institutions soit à la hauteur des enjeux présents et à venir.
Bernard Chaussegros