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Jérémy François : « Beaucoup de gens se méprennent sur le growth hacking »

Entreprendre - Jérémy François : « Beaucoup de gens se méprennent sur le growth hacking »

Parisien de naissance, Jérémy François a passé la majeure partie de son enfance aux Antilles. Diplômé dans plusieurs domaines (analyse financière, marketing, digital, développement Web), cet entrepreneur est un spécialiste du growth hacking.

Comment est née votre passion pour les technologies ?

Mon premier contact avec la technologie s’est produit assez tôt, lorsque j’étais collégien. Mes camarades fréquentaient les cours de français et de maths, mais je préférais aller au CDI télécharger des tutoriels afin de cracker des consoles de jeux. J’achetais des cartes mémoires à Montgallet sur lesquelles je gravais des jeux et je revendais ensuite les consoles. C’était en quelque sorte mon premier business.

Pourquoi avoir décidé de sortir de votre zone de confort en renonçant à une carrière dans le secteur bancaire ?

À 19 ans, j’ai suivi un Master en analyse financière qui m’a conduit à travailler dans le secteur bancaire dans lequel j’aurais pu avoir un avenir professionnel tout tracé. Mais au bout de quelques mois, j’ai compris que j’avais fait le tour du sujet et je ne m’imaginais pas poursuivre toute ma vie dans ce secteur.

En 2017, vous partez vivre une aventure de six mois en Australie. Qu’avez-vous retenu de cette période ?

Je n’avais pas de plan précis en tête, je ne connaissais personne sur place. Je suis parti avec quelques économies en poche et j’ai loué une chambre d’hôtel pour démarrer cette aventure. J’ai enchaîné les petits boulots dans la restauration, le BTP, le jardinage… Ce fut l’une des plus belles expériences de ma vie.

À l’occasion de votre séjour en Australie, vous avez une révélation en rencontrant des « digitals nomads ». Comment ce déclic s’est-il produit ?

J’ai constaté que mes deux colocataires utilisaient énormément leur PC. L’un était développeur Web, le second faisait du e-commerce. J’ai pris conscience qu’ils pouvaient travailler aux quatre coins de la planète grâce à leur PC sans contrainte de localisation ou de temps. L’idée a fait son chemin et j’ai souhaité m’inscrire à l’université en Australie, mais les 60 000 euros demandés à l’inscription ont mis un terme définitif à ce projet…

J’ai donc décidé de revenir en France me former. Je me suis recentré sur mes études durant les deux années qui ont suivi en me focalisant uniquement dessus. Lorsqu’on a identifié un projet et que l’on sait ce que l’on souhaite faire, il faut être capable de sacrifices pour y parvenir.

A quel moment vous êtes-vous lancé dans l’aventure entrepreneuriale ?

J’ai commencé à monter une structure en parallèle de mes études (Master en marketing digital, MBA e-business et stratégie digitale et diplôme en développement Web) grâce à Romain qui fut mon mentor. Je l’avais eu comme professeur. Deux mois après le début des cours, il m’avait incité à devenir freelance. Je ne m’estimais pas légitime à l’époque, mais il m’avait rassuré en disant qu’il m’aiderait.

Qu’appréciez-vous dans l’entrepreneuriat ?

Le freelancing et l’entrepreneuriat offrent une liberté précieuse. Il est grisant de se lever chaque matin pour faire ce qui nous passionne et mesurer l’impact de ce que l’on fait sur les autres. Dans le secteur bancaire, je jouais avec les chiffres et je faisais des placements mais j’aspirais à autre chose. J’apprécie particulièrement le contact avec les clients et la dimension commerciale associée à l’entrepreneuriat.

Entreprendre est exigeant et suppose un travail très important, mais il est tellement plaisant de se lever chaque jour le sourire aux lèvres à l’idée de faire ce que l’on aime. L’entrepreneuriat offre également la liberté de travailler avec d’autres entrepreneurs avec qui j’avais envie de travailler. La dimension humaine est essentielle, elle crée un cadre favorable à la réussite des projets et fédère les énergies autour d’une envie commune de faire de belles choses.

Vous avez conservé une activité salariale tout en poursuivant votre aventure entrepreneuriale en parallèle. Pourquoi avoir fait ce choix hybride ?

Mon activité d’indépendant m’offre un espace de liberté pour réaliser les projets qui me tiennent à cœur et auxquels je crois. Nous évoluons aujourd’hui dans un monde hybride. Il y a 50 ou 60 ans, créer une entreprise supposait de mobiliser tout le capital de la famille, de mettre sa maison en hypothèque et de croiser les doigts pour que l’affaire fonctionne. Aujourd’hui, il est désormais possible d’opter pour un format hybride en conjuguant le salariat et l’entrepreneuriat.

Pour autant, les formations que je dispense en « growth hacking » (activité consistant à « activer la croissance » d’une entreprise, Ndlr) et en coaching en tant que salarié restent dans le même univers et s’inscrivent dans la même philosophie. Travailler en tant qu’indépendant ouvre le champ des possibles et m’offre l’opportunité de travailler avec des clients qui sont dans d’autres pays, de travailler le soir ou sur mon temps libre.

Sur quels types de missions intervenez-vous ?

J’interviens principalement sur deux types de mission. Du coaching en growth hacking pour les entrepreneurs qui se lancent et qui doivent trouver leurs dix premiers clients, mais également pour des entreprises établies qui sont dans une phase de stagnation et cherchent des leviers pour décupler leur chiffre d’affaires. J’interviens également sur la création d’applications web de type Airbnb ou SAAS (Software As A Service). Mon parcours est fortement teinté d’une dimension technologique. Je tiens cette volonté de créer de ma passion pour la technologie.

Quelle réalité se cache derrière les méthodes de growth hacking ?

Elles sont encore très « nouvelles » en Europe, particulièrement en France. Beaucoup de gens se méprennent en réduisant le growth hacking à une technique d’acquisition de nouveaux clients. Cette vision est réductrice par rapport à la promesse que porte le growth hacking. Il va en effet bien au-delà de la simple conquête de nouveaux clients. On travaille sur le framework AARRR qui est l’acronyme des cinq étapes modélisant le cycle de vie client : l’acquisition, l’activation, la rétention, la recommandation et le revenu. Un client peut ne pas avoir de difficulté sur la partie acquisition mais souhaiter travailler sur la partie rétention afin d’inciter les clients ayant déjà commandé chez lui à passer de nouvelles commandes. L’utilisation de ce framework vise à optimiser le taux de conversion d’une étape à l’autre du funnel marketing (manière de représenter le tunnel d’acquisition, Ndlr) pour avoir un levier sur le revenu.

Quelle valeur ajoutée apportez-vous à vos clients ?

J’ai constaté à travers mes différentes missions que beaucoup de personnes fonctionnent à l’intuition et au feeling et poursuivent leur tâche à l’identique, estimant que cela fonctionne bien ainsi et qu’il n’est pas opportun de changer. Ils ne se rendent pas nécessairement compte qu’ils passent à côté de plusieurs millions d’euros. Mon rôle est donc de mettre en lumière les leviers de revenus en analysant la donnée et en décortiquant le funnel.

Loin de s’appuyer sur une simple intuition, notre démarche repose sur la donnée. Nous en tenant compte pour identifier où se situe le problème – au niveau de l’acquisition, de l’awareness (la rétention, Ndlr), du referral (la recommandation, Ndlr)… Grâce à cette analyse qui permet de cibler le drop (perte de client, Ndlr), nous sommes en mesure d’agir rapidement en travaillant sur cette zone de fragilité dans le cycle du funnel. Disposer d’un plan de tracking constitue déjà une étape essentielle pour les équipes, il permet de voir ce qui se passe sur un site, de mesurer combien d’internautes remplissent le formulaire, combien vont jusqu’à l’acte d’achat, etc.

Quelles sont les spécificités de votre méthodologie ?

J’apporte également une dimension de growth mindset (état d’esprit, Ndlr) en privilégiant des expérimentations rapides. Plutôt que de fonctionner sur un budget annuel de marketing donnant lieu à quatre évènements, je préfère organiser des sprints de deux semaines durant lesquelles on va, par exemple, tester un nouveau canal d’acquisition ou une nouvelle méthode. La méthode agile permet ces phases d’expérimentation courtes. Si l’expérimentation est concluante, on peut alors augmenter le budget alloué et activer le levier de business.

Des outils comme Google Analytics permettent de tracker ce qui se passe sur un site web : je peux ainsi savoir sur X personnes ayant visité mon site, combien ont rempli le formulaire, combien ont acheté, etc. Ces outils permettent donc de donner des indicateurs quantitatifs. Mais il faut ensuite poursuivre la réflexion et s’intéresser aux données qualitatives pour comprendre le comportement des internautes, ce qui les a motivés à venir sur le site, à renseigner le formulaire, etc. La question du « pourquoi » est essentielle.

Cette phase d’analyse peut se faire au travers d’interviews classiques d’utilisateurs ou en s’appuyant sur l’outil Hotjar qui permet de voir visuellement comment les internautes se comportent sur les différentes pages de votre site avec des cartes de chaleur. Cet outil d’analyse comportementale offre des enregistrements d’écran, des moyens de sonder et de savoir où et quand les internautes cliquent, les pages qu’ils regardent, combien de temps ils passent durant chaque session…

Quelles sont les limites du growth hacking ? Considérez-vous qu’il s’agisse d’une pratique « borderline » ?

Nous utilisons des outils tels que Dropcontact pour enrichir la base d’adresses mails en utilisant exclusivement des données publiques. La conformité et le respect des normes RGPD est un prérequis important. Le growth hacking s’inscrit dans le cadre légal, contrairement aux idées reçues et aux associations d’idée liées au terme « hacking ». Nous allons « hacker » la croissance et non les systèmes informatiques. Nous respectons les règles déontologiques en vigueur et nous nous défendons par exemple de récupérer les adresses mails personnelles pour contacter les personnes.

Beaucoup d’agences de marketing digitales disent faire du growth hacking. En font-elles réellement ou s’agit-il juste d’un concept d’affichage ?

Comme dans tous les secteurs d’activité, certains acteurs font bien leur travail et d’autres surjouent. Certaines agences ne font donc pas réellement du growth hacking. Pour ma part, je travaille sur l’ensemble du funnel de conversion, mais la plupart des agences qui disent faire du growth hacking n’interviennent en fait que sur l’acquisition. Ils se contentent de faire venir des gens sur votre site web et de les faire s’inscrire à un formulaire, visionner une démo ou consulter une brochure. Le growth hacking va au-delà : il s’agit d’aller chercher de la rétention, de la recommandation et du revenu. Ces agences font plus du traffic management en générant du lead grâce à des outils tels que Google Ads ou Facebook Ads et non du growth hacking. Ce n’est pas vraiment le même métier.

En quoi votre démarche est-elle disruptive ?

L’idée est d’aller plus loin que le simple constat d’un trafic existant sur un site grâce à des méthodes innovantes et différenciantes. La donnée est le paradigme central. Nous allons analyser la donnée sur un site web ou sur un business. Toutes les réponses sont présentes dans la donnée. Grâce à l’outil UsabilityHub, nous sommes en mesure de tester le niveau de compréhension au niveau de la page d’atterrissage d’un site. Le principe consiste à montrer la page d’accueil d’un site web durant cinq secondes à un pool de personnes afin d’évaluer si elles ont compris ce que vous vendez et votre « Unique Selling Proposition » (promesse, Ndlr) qui vous différencie de vos concurrents. Tant que vous n’atteignez pas un taux de compréhension de minimum 80%, on estime que votre page n’est pas forcément compréhensible car les internautes ont très peu d’attention sur le web.

Si un acteur génère du trafic sur sa page d’accueil grâce à des outils tels que Facebook Ads et possède un bon taux de compréhension, mais que malgré ces indicateurs au vert, les internautes sont peu nombreux à charger sa brochure ou à renseigner le formulaire proposé, il peut en déduire que le problème se situe ailleurs, au niveau du trafic qu’elle envoie car il a pris soin en amont de vérifier son taux de compréhension. Les personnes envoyés ne sont pas nécessairement qualifiées ou ne correspondent pas à son « persona » type (personnage imaginaire représentant un groupe de clients ou prospects idéaux, Ndlr).

Comment s’adapter aux évolutions permanentes des techniques et solutions que vous utilisez ?

S’adapter suppose de regarder le framework de base dans la mesure où les aspects techniques tels que les algorithmes, les Facebook Ads ou le SEO, évoluent continuellement. Il est important d’avoir une bonne méthodologie qui elle ne change pas : il faut regarder dans la donnée ce qui se passe et prendre des mesures à partir de ces données pour aller impacter le chiffre d’affaires, la conversion, etc. Le monde évolue très rapidement et cette évolution à marche forcée est encore plus marquée dans l’univers du digital et du growth hacking.

On distingue deux profils dans le monde digital. Les personnes qui scrollent chaque matin pour se tenir informés de ce qui se passe et scrutent méthodiquement les newsletters. L’autre profil, auquel je m’identifie, fonctionne différemment. Je me suis constitué un réseau assez conséquent dans l’écosystème digital, et je me suis rendu compte qu’en échangeant avec ces acteurs — des experts Facebook, Google Ads, des spécialistes de la conversion et de la rétention… —, j’avais déjà un filtre riche concernant ce qui se passe dans le monde du digital. Nous échangeons sur nos expériences, nous partageons nos réflexions, nous phosphorons ensemble et cette émulation me semble plus enrichissante que la lecture d’un article de 3 ou 4 pages sur un algorithme.

Quid du marketing digital de demain ?

Le marketing digital est en enjeu majeur. La crise sanitaire a favorisé une prise de conscience importante concernant le rôle central de la transformation digitale. Les petits commerçants se sont éveillés au digital, dont ils ont compris le sens et le potentiel en cette période de crise. Aujourd’hui, ne pas être présent sur le digital est préjudiciable. Un client qui vous cherche en vain sur le web se tournera vers vos concurrents capables de lui apporter une réponse. Vous laissez donc la part belle à vos concurrents qui leur répondront à votre place.

Nous assistons à une véritable démocratisation dans la création de sites web qui exige désormais beaucoup moins de compétences techniques. Un nombre croissant de personnes sont en capacité de créer leur site grâce à des outils de CMS comme WordPress, Wix ou Squarespace… Les algorithmes tendent à se simplifier et deviennent si puissants qu’une ou deux journées de formation suffisent pour être capables de lancer vos premières campagnes de pub sur Facebook, Google ou Twitter.

L’aspect psychologique des utilisateurs et des clients est un point névralgique. Le fait de travailler dans un écosystème digital ne doit pas conduire à négliger et oublier l’importance de la relation client et la dimension humaine. Avoir un produit et bien traiter son client demeurent la base.

Je pense que le marketing digital est amené à évoluer. Les entreprises continueront à vouloir faire plus de croissance et il y aura toujours cette méthodologie qui consiste à travailler sur l’ensemble de funnel de conversion afin d’identifier à quel niveau se situe le problème et évaluer comment on peut impacter cette métrique en faisant croître le taux de conversion.

La crise sanitaire et économique a-t-elle été un levier d’accélération pour le digital ?

La pandémie a eu pour effet d’accélérer la transformation digitale : on a gagné cinq années en l’espace de deux ans. Le télétravail s’est largement démocratisé et la crise a participé activement à l’adoption de ce nouveau schéma de travail à distance.

Propos recueillis par Isabelle Jouanneau


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