Sa vie ressemble à un scénario hollywoodien. Millionnaire à moins de 30 ans dans l’euphorie du Wall Street des années 90, il a tout perdu dans la foulée du 11 septembre. Mais Jean-Christophe Conticello a rebondi en multipliant les success stories. Son objectif désormais ? Transformer le monde du travail avec Wemanity.
Votre parcours ne semble pas être un long fleuve tranquille… ?
Venant d’un milieu de commerçants marseillais (son père était boucher, NDLR), je suis entré à la Montpellier Business School en 1996, puis je suis monté à Paris. J’ai d’abord travaillé à la Bourse de Paris sur les produits dérivés, à une époque où il y avait encore la corbeille. Puis, étant obnubilé par les Etats-Unis et la finance, je suis parti à New York en 1998 pour travailler dans le secteur des fusions-acquisitions et en capital-risque.
Fin 1998, vous rejoignez une jeune agence, Oven Digital, et débutez une nouvelle aventure.
J’en suis devenu actionnaire. J’ai développé l’ entreprise sur une dizaine de villes américaines (San Francisco, Los Angeles…), puis à l’international (Australie, Japon, France…). Nous étions au début de la vague Internet. Fin 2000, j’ai revendu pour créer Nexouth, plateforme de trading dans l’ énergie entre Etats-Unis et Moyen-Orient.
Ce projet a bien fonctionné, nous avons réalisé plusieurs levées de fonds. Sur la première, j’avais mis tout ce que j’avais avec plusieurs associés. Sur la deuxième, j’étais même allé jusqu’à emprunter de l’argent pour montrer aux investisseurs que j’y croyais. Le 18 septembre 2001, je devais clôturer et signer une autre très grosse levée de fonds. Tout était calé. Autour de la table, j’avais des fonds américains et arabes. Je vous laisse imaginer que quelques jours après les attentats du 11 septembre, je me suis retrouvé un peu seul…
Cela s’est mal passé ?
Quelques semaines plus tard, j’avais les huissiers à la maison. L’ aventure était terminée, je n’avais plus rien.
Vous étiez vraiment ruiné ?
J’avais tout perdu, il ne me restait plus que mon sac à dos. Je n’avais plus de logement, je suis retourné chez ma petite amie, et je suis même devenu porteur de presse pendant quelques jours… Mais je suis très heureux d’avoir vécu cet épisode. Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. J’avais 25-26 ans, j’avais côtoyé le monde de la finance, Wall Street, les levées de fonds… On parlait de valorisation en milliards de dollars. À cet âge-là, vous perdez la tête… Grâce à ce que j’ai vécu, j’ai très vite retrouvé le chemin de l’humilité.
Est-ce le moment le plus dur de votre carrière ?
J’ai eu la chance de vivre les trois dernières crises à chaque fois dans le mauvais domaine (rires). L’explosion de la bulle Internet en 2000, le 11 septembre et la crise financière de 2008. Mais celle de 2001 fut sans conteste la plus dure.
Comment avez-vous encaissé le changement de train de vie ?
C’est très dur de passer de la vie de CEO d’une start-up qui marche à… plus rien. Je gagnais beaucoup d’argent… Quand on se retrouve sans rien, on est obligé de demander de l’argent à tout le monde…
Quelle leçon personnelle en avez-vous tirée ?
Peu importe la réussite que j’aurai en tant qu’ entrepreneur, je suis capable d’encaisser la chute et de rebondir. À chaque fois que j’ai créé, j’ai tout remis en jeu. C’est la vie. En 2008, la peur de tout perdre est revenue… L’ entreprise et mes équipes ont vacillé, mais on a su surmonter l’écueil.
Votre regard sur la gestion d’une entreprise a-t-il évolué à la faveur de ces crises ?
Le plus important pour une entreprise, ce n’est pas de lever de l’ argent, c’est de développer du chiffre d’ affaires et d’avoir une traction du marché. C’est plus sain. Sinon, vous vivez à crédit. Cela étant, la levée de fonds peut aussi permettre d’accélérer, comme je l’ai fait avec Wemanity il y a deux ans.
Je n’avais pas besoin de ces fonds – il m’en reste encore la moitié –, ils m’ont juste permis d’aller plus loin. La deuxième règle, c’est d’avoir une entreprise rentable. En 2008, lors de la crise financière, je travaillais dans la finance, mes clients étaient les banques, qui étaient touchées de plein fouet. Sauf que comme je restais sur 4 ans de forte croissance, j’ai juste eu à faire le dos rond pendant la durée de la crise.
Comment avez-vous redressé la barre ?
Je suis rentré chez Alten (société de conseil, NDLR), où j’ai rapidement pris de grosses responsabilités, en développant l’activité IT. Au bout d’un an et demi, cette activité a généré du profit, nous sommes montés jusqu’ à 120 personnes. J’ étais revenu dans le vert, c’était le moment pour recréer quelque chose.
En 2004, vous fondez Adneom Technologies, une société de conseil spécialisée dans la finance de marché.
Nous développions des logiciels de trading pour des banques. Ça a duré 9 ans. Adneom s’est bien développé. En 4 ans, d’abord à Paris, puis à l’étranger (Belgique, Luxembourg, Pays-Bas, Angleterre…), on est monté à 400 ingénieurs et 40 M€ de chiffre d’affaires. Finalement, au bout de 9 ans, nous étions 1000 pour 80-90 M€ de CA. En parallèle, j’avais lancé une activité d’investissement dans les start-up.
En 4-5 ans, j’ai dû accompagner et développer une dizaine de start-up. En 2013, j’ai revendu la société à mes associés et mes activités d’incubation. C’est alors que j’ai eu l’envie de créer une activité pour changer le monde du travail et promouvoir la transformation digitale, cela s’est concrétisé par la fondation de Wemanity. On ne guérit pas du virus de la création !
Quel est l’ADN de Wemanity ?
Il y a 5 ans, j’ai voulu créer une entreprise différente, une entreprise alternative, un mouvement. Je suis parti d’une vision long-termiste, à horizon 2050 : nous voulons changer le monde du travail grâce à la force de l’agile, de l’innovation et de la coopération.
Quel objectif vous êtes-vous fixé ?
Devenir la référence mondiale de la transformation agile en 2020. En tant que pure player de l’agilité, nous sommes déjà le leader européen et le seul acteur pan-européen à pouvoir intervenir à grande échelle. Il n’y a aucun équivalent. Nous sommes présents en France, en Belgique, aux Pays-Bas, au Luxembourg et en Suisse, et nous intervenons également dans 23 autres pays.
Wemanity ne s’intéresse pas seulement à la transformation agile, mais est aussi une sorte d’incubateur de start-up. Comment avez-vous développé cette activité ?
Je voulais faire de Wemanity un écosystème d’innovation. Notre start-up studio interne nous permet de créer de nouvelles entreprises en fonction du contexte et du marché. On laisse libre cours aux équipes pour innover, co-créer et co-construire. En 5 ans, nous avons créé 17 start-up dans des domaines variés (IA, IoT, robotique, drones…).
Certaines font quelques dizaines de milliers d’ euros, d’autres quelques millions, certaines se sont développées à l’international… On est même allés jusqu’à créer des start-up en joint-venture avec des grands groupes, comme le Crédit Agricole.
Croyez-vous à ce modèle de développement à l’avenir ?
Beaucoup. Je parle souvent de l’ entreprise du futur comme d’une « corp-up » (mélange de « corporation » et « start-up »,
NDLR). L’entreprise partagera quelques services – juridique, finance, RH… – avec les start-up de son écosystème.
Qui sont vos clients ?
En France, le CAC 40 (BNP, Société Générale, Engie, Accor, Orange…), mais aussi Oui.Sncf, Meetic… À l’international, le Fortune 500 (classement des 500 premières entreprises américaines, NDLR), mais aussi ABN Amro (Pays-Bas) ou Proximus (Belgique). Si nous avons des start-up, les grands groupes restent notre cœur de cible.
Quel est votre plan pour les prochaines années ?
Wemanity double de taille chaque année : nous voulons maintenir cette croissance. On souhaite aussi accentuer la croissance à l’international.
Comment fait-on concrètement pour transformer une multinationale ?
Nous avons une équipe de conseils spécialisés en transformation, une sorte d’unité d’élite. Ils ont entre 15 et 25 ans d’expérience. Notre méthode de transformation a été éprouvée chez une centaine de clients internationaux. L’idée est de fonctionner par vagues successives constituées de 3 à 20 coachs. On monte des équipes pluridisciplinaires, car on ne croit pas aux silos, pour remettre le client au centre.
Sur quelle temporalité travaillez-vous ?
Sur des cycles très courts. Entre l’idée et la concrétisation d’un projet, il s’écoule entre 3 et 4 ans dans une grande entre&prise, 3 et 4 mois dans une start-up et une semaine chez Amazon. Pourquoi ? Parce que toute l’équipe est autour de la table et que le produit est lancé très vite. En fonctionnant par itérations et en recueillant les feedbacks des clients futurs, on est capable au bout d’une semaine de montrer une démonstration à ses clients futurs.
Quel est l’objectif final ?
Notre objectif est de le rendre autonome. Il doit faire émerger leurs propres leaders en interne, lesquels prendront en main la transformation de l’entreprise.