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Hervé Morin : « Notre technocratie ne supporte pas la décentralisation »

À 57 ans, l’ancien ministre de la Défense, actuel président des Centristes, plaide pour une plus grande autonomie des régions.

Entreprendre - Hervé Morin : « Notre technocratie ne supporte pas la décentralisation »

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Pourfendeur du jacobinisme, l’ancien ministre plaide en faveur d’une plus grande autonomie des collectivités territoriales. Sur le plan politique, il soutient « une coalition avec la droite » pour « donner une vraie alternative aux Français ». Entretien.

La France est-elle trop centralisée ?

Hervé Morin : On est beaucoup trop jacobin, notamment par rapport à l’économie, aux entreprises et à la construction d’écosystèmes. Une collectivité régionale a une réactivité sans commune mesure avec l’État. Une décision, je la prends dans la journée. L’État met 6 mois avec trois arbitrages et cinq objections de Bercy…

Concrètement, sur quels types de dossiers, la région peut-elle être plus réactive et efficace que l’État ?

Quand je mets en place un dispositif comme Arme (Anticipation, redressement, mutations économiques) en Normandie pour aller au secours d’entreprises saines qui rencontrent des problèmes de fonds de roulement ou de trésorerie, je sauve 470 entreprises du dépôt de bilan grâce à un système réactif avec 95% de survie à deux ans et demi. L’État est incapable de faire ça. On est également capable de bâtir des modèles qui permettent, par exemple, à un groupe coréen de s’installer en Normandie. On a créé un écosystème en rentrant dans le capital des boîtes ou en lançant un fonds de prêt participatif pour améliorer le bilan des entreprises. La décision est prise par un comité d’engagement composé de chefs d’entreprises qui sont des références dans la région. L’État est incapable de bâtir ce type de structures.

« En Allemagne, les land redistribuent dix fois plus d’argent aux PME et ETI que les régions françaises »

Jusqu’où devrait aller l’autonomie des régions ?

Comme en Allemagne. L’État doit rester l’interlocuteur des grands groupes, il doit être en charge des grandes questions de restructuration industrielle, il doit être là où les problématiques transcendent l’espace régional, comme le débat autour des batteries électriques, par exemple. L’État est un architecte. Pour le reste, il faut nous fiche la paix et nous donner la totalité des moyens. Les land redistribuent dix fois plus d’argent aux PME et ETI allemandes que les régions françaises. En Allemagne, ce n’est pas l’État central qui gère ce genre de choses.

Faudrait-il permettre aux régions d’avoir une politique fiscale autonome ?

Non. Ce n’est pas à nous de gérer la fiscalité. Je suis même hostile à l’idée que nous levions l’impôt. Quand on tend vers un système accordant beaucoup d’autonomie aux collectivités, on peut, comme en Allemagne, avoir une autonomie fiscale très faible, mais avec des ressources garanties par la loi et la constitution.

Vous soutenez François Baroin, président de l’ Association des maires de France (AMF), qui en appelle à un « choc culturel » sur la décentralisation…

Oui. Notre technocratie n’a jamais supporté la décentralisation. Cela ne fait plus aucun doute. Sur la PAC (Politique agricole commune), à chaque fois qu’il y a eu des avancées, nous avons assisté à des tentatives de remise en cause. Par ailleurs, derrière cette idée de choc culturel, nous avons un problème de confiance. L’ État a beaucoup décentralisé depuis 30 ans, mais en maintenant des bribes de compétences, de services, comme si on n’avait jamais voulu aller jusqu’au bout. On considère toujours les élus comme des démagos irresponsables sur qui il faudrait garder la main.

Les dernières élections européennes modifient-elles les équilibres au parlement européen ?

Nous n’aurons plus seulement le duopole PPE-Parti socialiste, et l’ ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe) sera probablement le parti charnière. De toute façon, le schéma européen est bâti sur des consensus. Enfin, n’oublions pas que si le Parlement européen vote les lois, les textes sont d’abord l’œuvre des États membres.

« Ce sont les Etats qui ont rendu l’Union européenne technocratique »

Quel regard portez-vous sur la montée des partis eurosceptiques ?

La progression est moins forte qu’on ne l’ annonçait, elle n’ est pas généralisée, mais il reste des sujets réels. Quand un peuple dit non par référendum à un traité (en 2005, lors du référendum sur le projet de Constitution européenne — ndlr) et qu’on piétine cette décision, comment voulez-vous ne pas générer des frustrations… Le sentiment qu’il y a trop de dysfonctionnements dans le système persiste. Pour l’agriculteur, c’est le produit phytosanitaire qui lui est interdit mais pas chez le voisin ; pour le chef d’entreprise, ce sont les règles sur les travailleurs détachés ; c’est enfin l’impuissance de l’ Europe sur des sujets où on l’ attend, comme l’immigration.

L’Union européenne est-elle devenue technocratique?

Ce sont les États qui l’ont rendu technocratique, elle ne l’est pas devenue seule. Ensuite, et je le constate à chaque fois que je vais à Bruxelles, l’administration européenne fait davantage preuve de bienveillance que les services de l’État. Il y a une vraie volonté de trouver des solutions et de ne pas donner de leçons, contrairement à ce qu’on peut voir dans les ministères…

Que faudrait-il faire pour sortir le projet européen de l’ornière ?

Il faut que l’Europe se concentre sur les grands sujets, qu’elle affirme son identité et qu’elle devienne plus efficace.

Propos recueillis par Thibaut Veysset


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