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- Une équipe de chercheurs d’élite, dont un prix Nobel de physique parmi les cofondateurs de Pasqal. Comment évoquer votre technologie simplement ?
- Quels sont vos premiers clients et premières applications ?
- Vous avez également un partenariat avec IBM ?
- Où en sont vos concurrents (QuEra, AtomComputing, Planqc, Infleqtion…) ?
- Le quantique est-il écologique ?
- La France dispose de cinq startups quantiques, soit autant que les États-Unis. La souveraineté est-elle un sujet ?
- Quelle est l’ambition de Pasqal ?
Le fait d’avoir travaillé chez un industriel (Safran) pendant plusieurs années est-il un avantage par rapport à un parcours académique ?
Georges-Olivier Reymond : Les deux sont indispensables. Lorsque nous avons créé Pasqal, la technologie était encore en laboratoire. Or, laboratoires et industries poursuivent différents objectifs, avec leurs propres contraintes. Pour réussir à transférer la technologie, il vaut mieux connaître les deux mondes. Chez Pasqal, nous arrivons à joindre ces deux aspects : avoir une forte capacité d’innovation tout en étant pragmatique, orienté vers les cas d’usage pour les entreprises.
Chez Safran, j’ai expérimenté les projets d’industrialisation, pris des leçons du terrain. Ce groupe m’a impressionné par ses méthodes, son souci du détail et de l’optimisation, qui tend vers la création d’un système simple, épuré et compréhensible. Je m’en inspire. Le parcours académique reste nécessaire, car on se heurte à des problèmes complexes qui nécessitent de revenir à la physique pour trouver les solutions.
Une équipe de chercheurs d’élite, dont un prix Nobel de physique parmi les cofondateurs de Pasqal. Comment évoquer votre technologie simplement ?
G.-O. R. : Très concrètement, l’informatique quantique est une nouvelle façon, plus rapide et plus durable, de faire du calcul de très haute performance avec une puissance décuplée, au service de l’économie réelle. Pasqal développe des ordinateurs quantiques à atomes neutres, une technologie que de récents travaux de recherche identifient comme particulièrement prometteuse en matière de résilience aux erreurs.
Cette innovation permet à Pasqal de franchir la porte de l’entreprise. Cette technologie est le fruit de recherches menées par Alain Aspect, qui a obtenu son prix Nobel pour la démonstration de l’intrication, un phénomène prédit par la mécanique quantique, totalement contre-intuitif et difficile à appréhender. À l’époque, Einstein et Bohr n’avaient pas pu vérifier leurs hypothèses. Alain a pu les valider à l’Institut d’Optique d’Orsay et a ensuite travaillé avec un autre prix Nobel, Claude Cohen-Tannoudji, sur le refroidissement des atomes, une brique fondamentale pour la technologie de Pasqal.
Chez Pasqal, quarante ans après cette récompense, nous sommes parvenus à appliquer ce concept, qui est au cœur du calcul quantique, dans nos produits. Notre technologie est assez incroyable, elle nous permet de manipuler les atomes un par un dans l’objectif de les industrialiser. Nos premières machines sont déjà installées sur site, notamment au CEA. Sur ce créneau, deux initiatives émergent actuellement, en Italie et au Japon.
Quels sont vos premiers clients et premières applications ?
G.-O. R. : Nous venons de nouer un partenariat avec CMA CGM pour une application logistique, à des fins d’optimisation de trajets et de chargements, un sujet sur lequel l’ordinateur quantique de Pasqal excelle. CMA CGM s’est introduit dans le quantique via l’applicatif.
Notre premier client, EDF, était venu de façon plus classique via la recherche. Il s’agissait de travailler sur la distribution d’électricité, un sujet majeur avec les nouveaux enjeux de mobilité. Imaginons 30 millions de véhicules électriques en France, qui doivent être rechargés pendant la nuit. Impossible que cela se fasse simultanément, et pour piloter intelligemment la grille, il faut résoudre un problème de calcul extrêmement complexe.
EDF est aussi intéressé par notre offre pour la question du vieillissement des matériaux, un phénomène que le quantique peut aider à comprendre, en envisageant l’invention de nouveaux matériaux.
De son côté, le Crédit Agricole nous a confié un problème de gestion du risque sur les crédits financiers, domaine où il est essentiel d’anticiper une dégradation possible. Ils utilisaient un algorithme classique, et pour la première fois au monde, nous avons réussi à traiter ce cas à l’échelle, démontrant dans un premier temps que nous pouvions faire aussi bien que l’existant avant de passer à l’étape d’amélioration. Il est essentiel pour les entreprises de s’intéresser à l’expérience quantique dès à présent, car une fois la décision prise, deux ans sont nécessaires pour former les équipes à l’applicatif. Ensuite, le cercle vertueux est lancé et tout s’accélère.
Vous avez également un partenariat avec IBM ?
G.-O. R. : C’est une alliance entre leaders dont nous sommes très fiers. À court terme, nous travaillons ensemble avec IBM sur une approche très pragmatique. L’idée est de joindre nos forces pour offrir plus de services à nos clients et démocratiser l’accès au calcul quantique, le rendre disponible au plus grand nombre de professionnels. À long terme, d’ici trente à quarante ans, l’ambition est de parvenir à une harmonisation, à un ordinateur quantique universel, mais le processus sera long.
Où en sont vos concurrents (QuEra, AtomComputing, Planqc, Infleqtion…) ?
G.-O. R. : Tous font un travail incroyable. Je suis le premier surpris de voir combien cela progresse vite, avec des technologies différentes qui vont dans la bonne direction.
L’informatique quantique va changer le monde d’échelle. Nous avons besoin d’un écosystème allant de la recherche aux startups, des entreprises aux investisseurs pour aller au bout de cette transformation. Les écosystèmes français et européens sont incroyablement dynamiques. Il y a cependant un point qui rend Pasqal unique : nous sommes capables d’avancer sur la technologie ET d’industrialiser.
Pasqal commence à récolter les fruits de son approche, nous avons une quarantaine de clients, des machines que nous sommes capables de livrer sur site et que nous fabriquons de mieux en mieux, à Massy et dans notre nouvelle unité au Canada.
Récemment, nous avons conclu un contrat avec Saudi Aramco, qui a décidé d’acheter un ordinateur quantique. Le groupe a choisi Pasqal, car ce choix leur garantit un accès privilégié. Nous allons les former à l’usage du quantique, et non pas à la technologie en tant que telle.
Le quantique est-il écologique ?
G.-O. R. : Oui, car le quantique permet de résoudre des problèmes complexes au service de la transition écologique, notamment de nombreuses économies d’énergie. Par exemple, il permet une transition vers des mobilités plus douces, une meilleure utilisation des sources d’énergie renouvelables, ou encore la création de nouveaux matériaux. Le quantique peut aussi aider à dessiner un avion moins gourmand en carburant.
Nous avons souhaité créer des processeurs particulièrement sobres : l’ordinateur quantique de Pasqal consomme l’équivalent de 5 sèche-cheveux, à l’inverse d’un supercalculateur qui exige une centrale électrique dédiée et un puissant système de refroidissement. Le quantique va ainsi améliorer le bilan énergétique de l’IA générative. De plus, sa fabrication est simple, avec une électronique sur étagère, sans process industriel complexe. Quant à son installation, elle nécessite aujourd’hui au maximum six mois, contrairement à des machines qui impliquent des travaux sur quatre à cinq ans. Notre approche est écologique, nous avons écrit un livre blanc sur le sujet.
La France dispose de cinq startups quantiques, soit autant que les États-Unis. La souveraineté est-elle un sujet ?
G.-O. R. : Effectivement, la puissance de calcul est devenue une clé de la compétitivité pour les entreprises comme pour les États. De fait, il existe des enjeux et un bénéfice immense à être parmi les premiers dans une compétition mondiale. La France a raté certaines batailles technologiques récentes, mais grâce à son écosystème, elle peut remporter celle de l’ordinateur quantique et créer un acteur de premier plan.
Parmi les cinq startups françaises actuelles, il y a peut-être un futur GAFAM. Nous sommes sur un point d’inflexion, quittant le monde des startups. Les premières consolidations vont avoir lieu aux États-Unis, et il va nous falloir bien prendre ce virage. Jusqu’à présent, si nos financements n’ont pas été simples, ils ont réussi. Nous avons levé 140 millions d’euros auprès d’investisseurs de qualité : le fonds Temasek, la BPI, l’EIC (le fonds européen pour l’innovation), sans oublier Quantonation, le fonds français leader mondial sur le quantique. À ce jour, nous sommes compétitifs par rapport aux Américains.
Quelle est l’ambition de Pasqal ?
G.-O. R. : Nous voulons devenir le leader mondial du quantique. Notre ambition est d’être le Nvidia du quantique. Cette trajectoire est possible dans le quantique.